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Actualités - REPORTAGE

Tabbarah l'a constaté au cours d'une tournée hier La grande misère du palais de justice de Baabda Peu de moyens, manque de place et une maison d'arrêt surpeuplée

Mille plaintes par semaine et plus de 150.000 dossiers accumulés au fil des années et d’un certain laisser-aller... Le Palais de justice de Baabda a beau avoir fait peau neuve avec la nouvelle équipe issue des dernières permutations judiciaires, il continue à avoir du mal à répondre à l’attente de tout le mohafazat du Mont-Liban qu’il est censé couvrir. C’est d’ailleurs en raison des multiples plaintes et doléances qui lui sont parvenues que le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, a décidé de s’y rendre hier pour une tournée d’inspection. Certes, le Palais de justice de Baabda est trop petit pour les fonctions qu’il doit remplir, mais quand on voit la situation de la maison d’arrêt, située au sous-sol du bâtiment, l’étroitesse des lieux devient un détail. Le ministre a d’ailleurs promis de trouver rapidement une solution au moins partielle au manque de place, mais qui essaiera d’améliorer la situation des prévenus, dans la maison d’arrêt? La question est posée au ministère de l’Intérieur.
Accompagné du directeur général de son ministère, M. Wagih Khater, M. Tabbarah est arrivé au Palais de justice de Baabda vers 9 heures. Il a été accueilli par le premier président de la cour d’appel du Mont-Liban, M. Mouhib Maamari, par le procureur général du mohafazat, M. Chucri Sader, et par de nombreux magistrats. Le ministre a visité les salles des tribunaux et les bureaux des magistrats (qui sont installés à deux et trois par chambre), ainsi que le dépôt du palais où des dossiers poussiéreux sont entassés dans des armoires branlantes. Il s’est longuement entretenu avec MM. Maamari et Sader et avec le premier juge d’instruction du Mont-Liban, M. Fawzi Dagher. Les magistrats se sont plaints du manque de place, du manque d’équipements et du mauvais état des lieux. Selon M. Chucri Sader, «le Palais du justice du Mont-Liban accueille 45% des procès du Liban et il doit donc être aménagé d’une manière décente».
Le ministre a répondu qu’ayant eu vent de ces doléances, il a voulu voir sur place l’étendue des problèmes. Il a ainsi promis de régler au plus vite la question du dépôt et de créer un département pour l’impression et la photocopie, doté de 5 ordinateurs, «afin, a-t-il dit, de conserver le patrimoine de nos tribunaux». Concernant le manque de place, M. Tabbarah a proposé deux solutions: la construction d’un étage supplémentaire ou l’édification d’un bâtiment annexe. La première option étant plus rapide, c’est sur elle que s’est porté le choix pour l’instant.
Le procureur général et les avocats généraux du Mont-Liban se sont plaints d’un problème de communication avec les commissariats, les instructions étant données par téléphone, parfois, les commissariats passent outre ou ne les appliquent pas à la lettre. Le ministre a alors décidé d’installer des fax entre les procureurs et les commissariats. Ainsi toutes les instructions seront données par écrit. De même, le ministre a décidé d’envoyer sur place quatre magistrats stagiaires afin d’aider les avocats généraux à étudier les dossiers accumulés au cours des années précédentes.

Aux arrêts: 35
personnes
par cellule

Reste le grand problème de la maison d’arrêt. Le ministre Tabbarah a tenu à la visiter et il en est ressorti bouleversé. Il est vrai que le spectacle est terrifiant. Située dans un sous-sol, elle regroupe 5 cellules dont une est totalement désaffectée, parce qu’elle a été inondée récemment par une fuite dans les égouts de Baabda. Et c’est le procureur général M. Chucri Sader — qui venait de prendre en charge ses fonctions — qui a demandé à la municipalité de la localité de régler le problème des fuites. Mais pour l’instant, la salle est encore inutilisable. Une autre est consacrée aux femmes et elle n’abrite actuellement qu’une Nigérienne entrée illicitement au Liban, qui attend son jugement, allongée sur un matelas posé à même le sol. La troisième salle est consacrée aux prisonniers de Roumié qui viennent à Baabda pour comparaître devant les tribunaux. A travers la petite lucarne en fer, on aperçoit des dizaines de personnes entassées les unes sur les autres dans une chambre sombre. Alertées par le bruit dans le couloir, elles se battent pour s’approcher de la lucarne et c’est à qui interpellera le ministre pour lui dire qu’il est injustement emprisonné ou pour lui demander de se rendre à Roumié, voir comment y sont traités les détenus.
De l’autre côté du couloir, il reste encore deux cellules, pleines à craquer de silhouettes hurlantes. Selon les gardiens, il y aurait quelque 35 personnes par salle. Les prévenus sont si nombreux que, souvent, ils n’ont pas de place pour s’étendre tous en même temps et ils doivent le faire à tour de rôle. Selon les gardiens, aucun prévenu ne reste plus de quatre jours aux arrêts. Mais le ministre Tabbarah a feuilleté le registre et il a constaté que certains sont là depuis 20 jours. Un Egyptien s’approche de la lucarne et crie au ministre qu’il est arrêté illégalement puisqu’il a tous ses papiers et l’argent nécessaire pour obtenir un visa. Il est là depuis la veille et il ne comprend pas pourquoi on le garde ici. Le ministre s’enquiert auprès des gardiens qui lui assurent que son cas sera réglé au plus tôt. D’autres veulent aussi exposer leurs cas. Mais le gardien referme brutalement la lucarne et explique à M. Tabbarah que la plupart sont arrêtés pour émission de chèques sans provision. M. Sader demande alors au ministre de revoir la loi qui fait de cette infraction un délit pénal passible de prison. «Les gens nous utilisent, dit-il, comme moyen de pression afin de récupérer leur argent, mais nos prisons sont surchargées et avant d’en arriver au délit pénal, il faudrait essayer de régler le problème devant les tribunaux civils». Le président Maamari explique à son tour qu’en France, on a de moins en moins recours à la détention préventive, justement à cause de la surpopulation carcérale. Selon lui, nous devrions en faire de même au Liban et le ministre estime de son côté qu’il faudrait essayer d’interpréter la loi d’une manière moins stricte. Il s’enquiert ensuite des douches des arrêts. Et il s’entend répondre qu’elles sont désaffectées. «Où se lavent donc les prévenus?» demande-t-il, et le gardien déclare: «Ils ne le font pas. De toute façon, ils restent très peu de temps...». Quant aux toilettes, il y en a une dans chaque salle... La situation est si désastreuse que le directeur général du ministère s’écrie: «Si on nous confie maintenant l’administration des prisons, nous ne devons pas accepter, car c’est un bien lourd héritage».

Situation
inacceptable

Pas de moyens, locaux trop petits, dossiers en suspens, le drame est terrible, d’autant que les prévenus ne sont pas encore condamnés et qu’ils peuvent être innocentés par le juge d’instruction. Ils auront donc vécu cette expérience pour rien. Mais même s’ils sont coupables, doivent-ils forcément être traités de cette façon? Hier, tout le monde était d’accord pour juger cette situation inacceptable...
De retour à son bureau, le procureur général est sollicité par un agent du commissariat de Hadeth. Celui-ci lui raconte qu’une Ethiopienne a été trouvée ce (hier) matin, gravement blessée devant l’hôpital Ste-Thérèse, à Hadeth. Les médecins lui ont donné les premiers soins, mais son état nécessite une longue hospitalisation et l’hôpital ne peut se charger des frais, alors l’administration a contacté le commissariat. L’agent demande ce qu’il doit faire de la femme, d’autant qu’elle est quasiment inconsciente. Un ancien greffier suggère de l’emprisonner et le procureur s’exclame horrifié: «Comment pourrais-je l’emprisonner? Elle n’a commis aucun délit. Au contraire, c’est une victime». Le ministère de la Santé ne prenant en charge que les Libanais, personne n’est prêt à payer les frais d’hospitalisation de la malheureuse... Une histoire banale au Palais de justice de Baabda où s’expose, chaque jour, toute la misère du monde. Comment, face à tant de cas déprimants, les magistrats peuvent-ils continuer à faire leur métier? Le monde de la justice est parfois si injuste pour les individus, mais aussi pour ceux qui sont censés rétablir le droit.

Scarlett HADDAD
Mille plaintes par semaine et plus de 150.000 dossiers accumulés au fil des années et d’un certain laisser-aller... Le Palais de justice de Baabda a beau avoir fait peau neuve avec la nouvelle équipe issue des dernières permutations judiciaires, il continue à avoir du mal à répondre à l’attente de tout le mohafazat du Mont-Liban qu’il est censé couvrir. C’est...