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Actualités - CHRONOLOGIE

Au théâtre Gulbenkian (LAU) "L'heure du lou" d'Ingmar Bergman : la déchirure ... (photo)

Que ceux qui ont encore en mémoire des images du film «L’heure du loup» d’Ingmar Bergman se hâtent de les oublier... Pour en recevoir de nouvelles à la charge émotive aussi puissante, aussi troublante, aussi belle dans les cris et les larmes, que celles greffées sur la pellicule en 1969 par l’auteur de «Scènes de la vie conjugale». Ici au théâtre Gulbenkian grâce à l’«Humanities Division» et surtout à Elie Chalhoub, ce jeune metteur en scène diplômé en «Art Communication», féru de Kierkegaard et selon ses propres termes «victime» de Nietszche. Le superbe et déchirant film de l’auteur de «Cris et chuchotements» est transposé, en anglais avec doigté et un éclat ténébreux, à la scène. Elie Chalhoub confie, en toute simplicité, qu’il ne s’agit pas ici uniquement d’adaptation dramaturgique. Pour rendre le langage bergmanien ou les situations, plus perceptibles, il s’est permis quelques «ajouts».
Expérience fort concluante car les jeunes acteurs, tous amateurs éclairés, portent admirablement sur leurs épaules un texte intense, complexe et d’une violence verbale inouïe, teinté d’une étrange poésie. On ne raconte bien entendu jamais linéairement une histoire de Bergman. Dans un flot étourdissant de paroles, lumineuses comme un rai de lumière ou blessantes comme des lames de rasoir, un couple s’aime d’amour fou et se déchire. Johan et Alma vivent de ces drames passionnels où les tourments de la chair, de la fidélité, de l’infidélité, de la créativité et d’une société carnassière sont autant d’images fortes et insoutenables. Alma dépasse difficilement l’abandon de son peintre de mari au passé trouble et troublant. Alcool, folie, besoin d’absolu et de transcendance sont d’inutiles palliatifs où éclatent dans un combat dur et sanglant tous les conflits qu’on tente en vain d’étouffer...
Confrontation terrible avec soi-même et les autres, voilà Bergman au sommet d’un art où la confidence et l’impudeur atteignent les faîtes d’une révélation si ce n’est salutaire, du moins mortellement libératrice...
Traitée avec un sens aigu de l’esthétique, la pièce est éclairée par cette déchirure intérieure des protagonistes, en proie à un effroyable mal de vivre. Il y a là une atmosphère diffuse où s’entrechoquent la lutte sourde du mal contre le bien, où les égarements de la chair osent défier la transparence du divin et où la mort et la vie se séparent comme l’aube quitte la nuit, c’est-à-dire dans l’angoisse et la violence d’une incroyable éclaboussure... C’est justement l’heure du loup où les hommes meurent, où les enfants naissent et où les cauchemars nous hantent...
Les acteurs, (notamment Alan El Hajj, Dima Al Ansari, Mia Bitar et Alec Al Hajj) sont irréprochables et rendent crédibles cette atmosphère lourde et complexe. Hommage doit être également rendu à la finesse de l’éclairage (Riad Chirazi), aux choix des intermèdes musicaux et surtout à la culture et la maîtrise d’un metteur en scène au style d’une remarquable sobriété. Plus qu’un spectacle commun ou réservé au «happy few». «Hour of the woolf» dans sa complexité, son analyse audacieuse du couple et de l’être humain et son symbolisme nous tend, frémissant d’émotion, le miroir du tragique de la vie. On sort de cette pièce le souffle coupé, littéralement ébloui. Un grand moment d’excellent théâtre.

Edgar DAVIDIAN
Que ceux qui ont encore en mémoire des images du film «L’heure du loup» d’Ingmar Bergman se hâtent de les oublier... Pour en recevoir de nouvelles à la charge émotive aussi puissante, aussi troublante, aussi belle dans les cris et les larmes, que celles greffées sur la pellicule en 1969 par l’auteur de «Scènes de la vie conjugale». Ici au théâtre Gulbenkian grâce à...