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Actualités - ANALYSE

Les réponses à Toufayli

Que penser du mouvement de cheikh Sobhi Toufayli? Même si l’on sait, et c’est presque une certitude, que Toufayli bénéficie de l’appui occulte de certains adversaires politiques du président du Conseil, il serait faux de croire que «ce n’est que du folklore». Le phénomène appelle deux genres de réflexions, l’une politique, l’autre historique.
Politiquement, le mouvement de désobéissance civile de Toufayli est un défi direct à l’autorité de l’Etat. Délibérément, le dignitaire religieux se situe en dehors de la légalité. Ce qui le distingue toutefois d’un hors-la-loi, c’est qu’il ne le fait pas pour des raisons crapuleuses, mais pour des raisons politiques.
Ce faisant, toutefois, il est en train de dépouiller l’Etat d’un de ses principaux attributs, l’usage de la force. Nous sommes là, hélas, dans une sorte de régression. C’est l’un des épisodes tardifs du «désarmement des milices» qui est en train de se jouer. Les armes, destinées en principe à combattre l’ennemi, se retournent contre l’Etat et défient son autorité. Sans ces armes, sans le risque réel de voir des armes utilisées et le sang couler, qu’est-ce qui empêche en effet les forces de l’ordre d’appréhender Toufayli?
Par contraste, on peut voir une opposition radicale au pouvoir œuvrer, à travers les institutions, pour changer les choses. Avec Toufayli, on est en présence de quelqu’un qui ne croit pas aux moyens démocratiques (Toufayli était hostile à la participation du Hezbollah aux élections législatives), et qui a recours à une «action directe» hors institutions, comme la désobéissance civile. Il s’agit, objectivement, d’une situation pré-insurrectionnelle.
C’est pourquoi, dans l’absolu, l’usage de la force, par l’Etat, se justifie. C’est de son droit. Il est indispensable que l’Etat rétablisse son prestige bafoué, et son autorité défiée. Dans le même temps, toutefois, il ne faut pas faire valoir la lettre de la loi, sans en faire valoir L’esprit: l’exigence de justice, le règne de la paix sociale.
Le mouvement de désobéissance civile appelle donc deux sortes de réponse: une réponse dans laquelle l’Etat rétablirait son prestige atteint, et son autorité de fait, une autre dans laquelle il réparerait l’injustice qui a légitimé cette désobéissance.
Or la mise en place d’un plan de développement pour la région déshéritée où Toufayli a lancé son appel à la désobéissance laisse penser que l’Etat a pris conscience de sa négligence. C’est heureux, encore que les responsables donnent trop l’impression que pour céder, pour accorder le droit, il faut qu’on leur fasse violence.
En ce qui concerne le rétablissement de l’autorité de l’Etat, la situation reste confuse, bancale. Certes, il faut tenir compte de tous les contacts qui se prennent en sous-main et des calculs qui se tiennent dans les antichambres. Jusqu’à présent, toutefois, l’Etat a manœuvré très maladroitement. Après avoir fait preuve d’une indulgence irresponsable, il a mis en place, tardivement, un dispositif militaire, en attendant d’engager des poursuites judiciaires, en vertu de mandats d’amener que délivrerait le parquet. On cherche sans doute à «respecter les formes» et à faire croire que l’on est dans un Etat de droit. Mais en réalité, c’est par faiblesse, parce qu’il ne peut faire autrement, que l’Etat agit ainsi. Il suffit de suivre les bulletins télévisés pour s’en rendre compte. On veut réduire le phénomène de la désobéissance civile à un phénomène judiciaire, alors qu’il s’agit d’un phénomène politique. Ce faisant, on place la justice en porte-à-faux, en lui faisant assumer une responsabilité qui ne lui appartient pas. Tout cela est accompagné de relents de «sécurité à l’amiable» du plus mauvais effet.

Transformation du monde

Venons-en à l’histoire, ou plutôt à la philosophie de l’histoire. Que ce soit au nom de la justice, de l’égalité, la fraternité ou du développement, il n’y a pas de transformation du monde sans un changement du cœur. Sinon, on remplacerait une tyrannie par un autre.
Il y a là une loi historique que les sanglantes révolutions qui se sont succédé en plus de deux siècles, au nom des idéologies les plus diverses, ont toutes, et sans exception, confirmée. L’oublier, c’est oublier l’histoire, et se condamner tragiquement à en répéter les erreurs ou, plus objectivement, les errements.
Le ton autoritaire utilisé par Toufayli en est témoin. Certaines de ses phrases, même si on imagine qu’elles sont dites pour les besoins de la cause, font frémir en ce qu’elles laissent entrevoir de dureté sanguinaire. Dans les débordements et excès de langage de Toufayli, il y a un reflet de ce que son mouvement promet d’arbitraire et de justice sommaire.
Est-ce étonnant? C’est plutôt le contraire qui le serait. C’est en effet, depuis Lénine, un lieu commun: pour évincer un système, il faut lui opposer un autre système, aussi dur, sinon davantage.
La réponse «politique» à Toufayli est laissée à l’Etat, avec l’espoir qu’elle sera moins timorée qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. La réponse historique, elle, se trouve dans le développement, «cet autre nom de la paix», et dans la conscience que la «transformation du monde» dont rêvent tous les Marx de l’histoire restera une utopie sanglante, tant qu’elle n’aura pas trouvé la clef du changement du cœur de l’homme.

Fady NOUN
Que penser du mouvement de cheikh Sobhi Toufayli? Même si l’on sait, et c’est presque une certitude, que Toufayli bénéficie de l’appui occulte de certains adversaires politiques du président du Conseil, il serait faux de croire que «ce n’est que du folklore». Le phénomène appelle deux genres de réflexions, l’une politique, l’autre historique.Politiquement, le...