Carnet de route Vous avez dit crédibilité ?

M. Mikhail Daher, ancien député et ministre, commence, déclare-t-il, à «douter» de la crédibilité du gouvernement. En d’autres termes cet homme politique, très estimé de beaucoup, perçoit quelque invraisemblance dans l’attitude du pouvoir, et partant, dans la série de décisions et d’indécisions qui frappent, depuis quelques semaines la société libanaise menée à hue et à dia par les différentes instances du pouvoir: instances dont la moindre n’est pas le ministère de l’Intérieur (donc de la police, même si ce dernier titre ne figure pas dans les attributions officielles de M. Murr n’est pas Fouché qui veut).
On menace en effet de faire donner la troupe, armée et FSI de concert, contre les affamés de la Békaa, par exemple, on envoie les bérets rouges contre des militants pacifiques (même s’ils ont toutes les qualités d’une agit’prop, et l’agit’prop est un phénomène qui fait partie du droit des civils après tout) réclamant tout bêtement... des élections municipales (!!!), on a failli poursuivre un député en justice pour reculer aussitôt devant les textes régissant l’indemnité parlementaire, bref, M. Daher en a, comme tout le monde, gros sur la patate (un ancien ministre de l’Education nationale se doit de connaître cette expression d’argot francophone). Comment le lui reprocher? Confondre M. Paul Achkar, paisible journaliste, avec un dangereux terroriste à la «Carlos», pointer le fusil sur des ventres au moins à moitié vides, faire de M. Najah Wakim un bouc émissaire sans même prévoir la protection immédiate dont il était évident qu’il bénéficierait, cela est en effet mauvais pour la crédibilité de l’Etat tout entier.
Mais l’invraisemblance libanaise, qui donc s’en plaint! Des Libanais, hommes et femmes, pétris de critères politiques appartenant aux grandes et petites démocraties occidentales, droits de l’homme et séparation des pouvoirs, suffrage universel et responsabilité devant le peuple, la liste est longue. Il est normal que par rapport au vocabulaire des divers bébés Thémis, l’élite libanaise crie au scandale devant l’interprétation que le Liban officiel en fait. Quant à la majorité de la population, des «couches populaires» du pays, pour n’avoir plongé dans Montesquieu ni dans Francis Bacon, elle ne se pose pas la question de la vraisemblance, et si elle crie au scandale, elle c’est au nom de sa morale, voire de son honneur et de sa vérité bafoués. Il y a pire en dictature? Soit. Est-ce, donc, une raison pour que l’Exécutif soit sur le point de verser dans l’anarchie à force de retournements, d’arbitraire et de ploutocratie au pourcentage?

*
* *
Pour en revenir aux désordres que le gouvernement réprime, évoquons la pétition pour les municipales, dont personne n’ignore qu’elle a été conçue par des (relativement) jeunes qui sont, par ailleurs, des partisans de M. Nassib Lahoud. Comment peut-on, d’ailleurs, ne pas suivre Nassib Lahoud? Le député du Metn, depuis son entrée dans l’arène politique, fait figure d’un OVNI égaré au Liban. Jusqu’à nouvel ordre, et plus ample connaissance des défauts qu’il ne peut manquer d’avoir, il a été parfait: pas une faute, même pas de goût, pas une intervention inadéquate, l’attitude d’un démocrate chevronné qui s’est pourtant directement propulsé de l’ingénierie au service de sa petite patrie (appuyé, il est vrai, sur une tradition familiale pénétrée de politique). Il est en droit de nourrir les plus hautes ambitions mais il est peu probable, la géopolitique restant en l’état, qu’il arrache l’indispensable parrainage qui l’autoriserait à accéder à la tête de l’Etat. Il est peut-être plus souhaitable d’ailleurs qu’il se tienne, avec quelques autres, à l’écart de la servilité ambiante, lui qui a voulu nous convaincre qu’il était un homme libre.

Amal NACCACHE