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Actualités - CHRONOLOGIE

Le parquet se mobilise contre les instigateurs des mouvements de désobéissance civile Déploiement imminent de l'armée à Baalbeck-Hermel


Le pouvoir a-t-il enclenché réellement, dans la pratique, son opération de rétablissement du «prestige» et de «l’autorité» de l’Etat, face aux appels à la désobéissance civile lancés par certains responsables intégristes? Deux développements intervenus hier laissent supposer que tel est effectivement le cas. Les informations en provenance de Baalbeck ont fait état hier soir d’importantes concentrations d’unités régulières dans les casernes d’Ablah et de Rayak. Auparavant dans la journée, le Parquet avait chargé par commissions rogatoires les différents services de sécurité, dans les divers mohafazats du pays, de recueillir les éléments d’informations disponibles concernant tous les cadres et responsables politiques qui ont incité la population à «troubler l’ordre public» ou à se livrer à la désobéissance civile.

A en croire les milieux officiels cités en soirée par l’Agence nationale d’information, les mouvements de troupes signalés hier à Ablah et Rayak sont le prélude à un déploiement de l’armée libanaise ce matin même dans la région de Baalbeck-Hermel, en application de la décision du Conseil des ministres de mettre un terme aux mouvements de contestation dans le pays et d’engager des poursuites contre les commanditaires de toute fronde populaire.
Dans l’immédiat, le déploiement des forces régulières se limitera aux grands axes routiers de la Békaa. Selon des sources généralement bien informées, les unités régulières éviteront dans un premier temps de pénétrer à l’intérieur des villages ou dans les quartiers internes des grandes localités afin d’éviter des frictions avec les miliciens et les partisans des courants intégristes. Les opérations de police visant à réprimer les infractions à la loi seraient ainsi confiées, notamment, aux Forces de sécurité intérieure. Cette répartition des tâches pourrait cependant être remise en question au cas des mandats d’arrêt qui seraient lancés contre certains hauts responsables intégristes.
A l’évidence, le déploiement massif des forces régulières à Baalbeck et au Hermel vise essentiellement à étouffer dans l’œuf la désobéissance civile proclamée le 4 juillet dernier par l’ancien secrétaire général du Hezbollah, cheikh Sobhi Toufayli. Celui-ci avait l’intention d’étendre son mouvement à Beyrouth et à la banlieue-sud à la fin du mois en cours, mais il a annoncé dimanche qu’il avait ajourné au 13 septembre prochain l’escalade de son action contestatrice.
Tout en marquant ainsi un temps de pause dans son mouvement de fronde, cheikh Toufayli continue d’inciter la population à ne pas payer les taxes, les impôts et les factures relatives aux services publics, de même qu’il encourage toujours les habitants à construire «sur leur propre terrain» sans se procurer au préalable des permis de construction.
Le pouvoir possède, de ce fait, suffisamment d’éléments en main pour justifier des poursuites judiciaires contre cheikh Toufayli. Mais parviendra-t-il à s’engager sur cette voie, compte tenu de la forte assise populaire (et milicienne) dont bénéficie le chef intégriste? L’Etat aura-t-il les moyens de sa politique et parviendra-t-il à engager une épreuve de force dans une région où la plupart des habitants (surtout les jeunes) sont solidement embrigadés et encadrés par la mouvance intégriste? Quelle serait l’attitude des forces sécurités (notamment l’armée) si les partisans de cheikh Toufayli décidaient d’avoir recours aux armes et de croiser le fer avec les unités régulières? Samedi dernier, le chef intégriste a effectivement appelé ses partisans à porter les armes. «Ouvrez le feu d’abord et ensuite demandez qui va là», avait-il lancé.
Reflétant la «fermeté» affichée publiquement par le pouvoir sur ce plan, le président Elias Hraoui affirme que l’Etat est déterminé à aller jusqu’au bout dans son entreprise de rétablissement de son «prestige» et de son «autorité». Reste à savoir s’il bénéficie de la couverture syrienne à ce propos («realpolitik» oblige...). A en croire les milieux loyalistes, le président syrien Hafez el-Assad a affirmé au premier ministre Rafic Hariri, lors de l’entretien qu’ils ont eu dimanche à Damas, le soutien de la Syrie aux mesures politico-sécuritaires décidées la semaine dernière par le gouvernement.
Autre fait significatif qui pourrait s’inscrire dans le cadre des préparatifs au grand «coup de pied dans la fourmilière» actuellement en gestation: une réunion discrète s’est tenue vendredi loin des feux de la rampe entre M. Hariri et les dirigeants du Hezbollah. Cette rencontre a sans doute porté sur la situation explosive au Liban-Sud, mais il n’est pas exclu qu’elle ait permis de paver la voie à l’opération policière apparemment enclenchée par le pouvoir. Cheikh Toufayli, rappelle-t-on sur ce plan, est en désaccord avec le directoire actuel du Hezbollah et son mouvement (qui a adopté pour leitmotiv «la révolte des affamés») constitue désormais une sérieuse concurrence pour le courant pragmatique représenté par le commandement actuel du parti intégriste.
Toujours dans le cadre des démarches préliminaires précédant le «come back» de l’Etat dans la Békaa, notons qu’à la veille du déploiement de l’armée à Baalbeck-Hermel, M. Hariri a présidé hier soir une réunion de la commission ad hoc chargée d’appliquer un programme d’aides à la population de la Békaa (VOIR PAR AILLEURS).

Une action globale

En tout état de cause, l’éventuelle mise au pas de cheikh Toufayli et de ses partisans semble dépasser (au cas où elle se concrétise réellement dans les faits) le cadre d’une opération ponctuelle et ciblée. Elle paraît plutôt s’inscrire dans le sillage d’une action plus globale visant tous les courants frondeurs (principalement intégristes) dans l’ensemble du pays. De fait, les procureurs généraux dans tous les mohafazats ainsi que le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire ont chargé par commissions rogatoires les services de sécurité de recueillir les informations et les preuves à charge concernant «les appels à la désobéissance civile et les prises de position diffamatoires à l’égard du président de la République».
Les forces de l’ordre ont notamment été chargées de déterminer l’identité de tous ceux qui ont appelé à la révolte et qui ont pris à partie le chef de l’Etat. Cette mission dépassera le cadre de la Békaa et englobera plus particulièrement le Liban-Nord. Dans la journée d’hier, une réunion élargie a ainsi groupé au Palais de Justice de Tripoli le procureur général du Liban-Nord Walid Eido et les principaux responsables des services de sécurité au Nord. De source officielle, on indique que les services de sécurité ont été chargés de recueillir toutes les informations et les preuves concernant «la nature des réunions qui se sont tenues à Tripoli et au Nord, afin de déterminer si des appels à la révolte et à la désobéissance civile ont été lancés».
Notons dans ce cadre que la plupart des radios et des télévisions tenues par les courants intégristes au Nord continuent d’émettre, en dépit de la récente décision du Conseil des ministres, de fermer les médias audiovisuels n’ayant pas obtenu de licence d’exploitation. Selon l’ANI, certaines radios nordistes qui avaient cessé d’émettre en application des résolutions du Conseil des ministres ont même repris hier leurs programmes. Les sources officielles indiquent que des investigations ont déjà été entamées au Nord afin de déterminer les identités des responsables politiques ou religieux nordistes qui «incitent à la rébellion» contre l’Etat (LIRE AUSSI EN PAGE 4).
C’est sur base des diverses investigations menées par les services de sécurité que des mandats d’amener seront lancés et que les poursuites judiciaires seront effectivement engagées. Le Procureur général de la République Adnane Addoum a indiqué en soirée à «L’Orient-Le Jour» que les investigations qui seront faites conformément aux commissions rogatoires doivent viser principalement «les hauts responsables et les cadres supérieurs» (et non pas les simples militants) des mouvements contestataires. M. Addoum a refusé de préciser le délai prévu pour ces investigations, soulignant qu’il avait donné ses instructions pour que les procureurs généraux soient informés «sans retard» des premiers éléments de l’enquête en base desquels le Parquet pourrait engager ses poursuites.
Le pouvoir se trouve ainsi confronté à un grave défi, et ce qui reste de sa crédibilité est, une fois de plus, en jeu. Fort du soutien de son parrain syrien, il pourrait, certes, réussir cette opération de rétablissement du «prestige» de l’Etat. Mais les dirigeants devront ensuite accomplir le plus important (si, toutefois, ils ont la possibilité de le faire): s’attaquer aux problèmes de fond et trouver une solution sérieuse au déséquilibre national et communautaire qui mine plus que jamais l’édifice de Taëf et qui ne cesse de creuser le fossé entre une large frange de l’opinion libanaise et l’establishment politique imposé au pays.

M.T.
Le pouvoir a-t-il enclenché réellement, dans la pratique, son opération de rétablissement du «prestige» et de «l’autorité» de l’Etat, face aux appels à la désobéissance civile lancés par certains responsables intégristes? Deux développements intervenus hier laissent supposer que tel est effectivement le cas. Les informations en provenance de Baalbeck ont fait état...