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Actualités - REPORTAGE

Armée rouge : verdict le 31 juillet Les avocats plaident l'innoncence de leurs clients et réclament pour eux l'asile politique (photos)

«Une fois de plus, c’est à la justice de rattraper les erreurs des politiciens et des services de sécurité. Messieurs, pour l’honneur et la dignité du Liban, vous devez déclarer les 5 inculpés japonais innocents des charges qui leur sont imputées et rendre hommage à leur courage et à leurs sacrifices pour la cause libanaise et arabe». Par cette phrase et par bien d’autres dans le même style, le député Najah Wakim, avocat des grandes causes, a donné hier le ton de la dernière audience du procès des membres de l’Armée rouge — et de la Libanaise Oumayya Abboud arrêtée avec les Asiatiques mais jugée pour exercice illicite de la médecine — avant celle du verdict fixée au 31 juillet.

Les plaidoiries pleines d’émotion des multiples avocats (dix ont pris la parole) des Japonais et de la Libanaise — dont la plupart sont des volontaires — ont presque fait oublier le réquisitoire du procureur Bitar, concis mais précis, dans lequel ce dernier avait requis les peines maximales contre les inculpés, conformément à l’acte d’accusation établi par le premier juge d’instruction, M. Saïd Mirza.
D’ailleurs, le réquisitoire, que le procureur général a prononcé sans regarder ses papiers, n’a pas apporté d’éléments nouveaux, se contentant de confirmer l’acte d’accusation, alors que les plaidoiries des avocats ont largement mis l’accent sur les irrégularités commises lors de l’arrestation et de la détention préventive des accusés. Najah Wakim a même parlé «d’un bazar» qui aurait été conclu entre certains membres du service de Sûreté de l’Etat et des parties japonaises. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être interrompu par le président de la cour, le juge Souheil Abdel Samad, qui lui a demandé «de sauter ce paragraphe». Me Béchara Abou Saad, lui, a eu ce mot terrible: «Si Kozo Okamoto (unique survivant de l’opération contre l’aéroport de Tel-Aviv en 1972) avait accompli son acte en faveur des Israéliens, comparaîtrait-il aujourd’hui devant un tribunal israélien ou bien serait-il protégé avec tous les honneurs dus à un héros? Ne soyons donc pas un peuple ingrat, qui frappe dans le dos ceux qui viennent du bout du monde pour l’appuyer...».
En conclusion, et avant de regagner leur cellule à la prison de Roumié, les 5 inculpés ont demandé que soit reconnue leur innocence, précisant qu’ils n’ont jamais voulu violer la loi libanaise. Haro Wako — qui selon certaines informations aurait entraîné aussi bien les Fedayine palestiniens que les résistants libanais — a même déclaré: «Je crois être en droit de réclamer l’asile politique au Liban pour moi et mes compagnons». Car ce n’est pas tout de reconnaître leur innocence, il faut encore les protéger d’une demande d’extradition des autorités japonaises, qui multiplient les démarches en ce sens...
Le feuilleton japonais commencé le 15 février dernier — date de l’arrestation des «Asiatiques» et d’Oumayya Abboud — est sur le point de s’achever, au moins au niveau de la Cour criminelle de Beyrouth, présidée par le juge Souheil Abdel Samad et ayant pour assesseurs les juges Georges Rizk et Oussama Ajouz. Après trois audiences pendant lesquelles le souci principal de la cour et du parquet était d’éviter les questions épineuses et politiques, hier, les avocats de la défense ont pu s’en donner à cœur joie, exprimant leur révolte devant l’arrestation, selon eux injustifiée, de «ces héros de la cause nationale, libanaise et arabe».

Les prisonnières arrivent
avec une heure de retard

Toutefois, l’élément le plus insolite de l’audience d’hier est le retard des deux inculpées, Mariko Yamamoto et Oumayya Abboud. En effet, la cour a dû patienter près d’une heure avant d’ouvrir l’audience, le temps que le fourgon arrive de la prison de la rue de Verdun au Palais de justice et c’est sans doute la première fois dans l’histoire des cours que des magistrats doivent attendre des prisonniers...
Les dix avocats qui ont pris la parole (trois pour Oumayya Abboud et sept pour les Japonais) ont tous évoqué ce qu’ils ont appelé le ridicule de l’arrestation et des charges imputées aux inculpés, d’autant que, selon Najah Wakim notamment, depuis 1985, les autorités libanaises savaient parfaitement que Kozo et ses compagnons se trouvaient sur le territoire libanais. Le député a même exhibé des coupures de presse d’interviews des membres de l’Armée rouge, réalisées sur le territoire libanais après l’opération d’échange de prisonniers entre les Israéliens et les organisations palestiniennes — qui avait d’ailleurs permis à Kozo Okamoto de sortir de sa geôle israélienne après 13 ans de détention.
La défense a ainsi réfuté les allégations des témoins du parquet, notamment les membres de la Sûreté de l’Etat qui avaient arrêté les Japonais, en affirmant qu’ils ignoraient leur identité véritable et que, pour eux, il ne s’agissait que d’une histoire de faux papiers. De son côté, le procureur Bitar a préféré se cantonner dans les charges retenues contre les inculpés et qui sont au nombre de 4: falsification de passeports, de visas et de permis de séjour, entrée et présence illicites au Liban, utilisation et imitation de sceaux et tampons officiels et usurpation d’identités.
Si Masao Adachi — qui est véritablement le chef du groupe — et Haro Wako suivaient attentivement l’audience, demandant constamment des précisions à la traductrice-journaliste Lina Saïdi, Mariko Yamamoto et Oumayya Abboud (vêtue de rouge comme à l’accoutumée) devisaient tranquillement et Kazuo Tohira couvait comme d’habitude Kozo Okamoto. Ce dernier, véritable héros de l’audience, ressemblait plus que jamais à un «martien» perdu parmi les terriens. Avec la petite mèche qui retombe sur son front et ses yeux ronds, il avait l’air particulièrement isolé, réagissant à peine chaque fois que son nom était prononcé par les avocats et se demandant sans cesse quelle attitude adopter. Son regard vague errait sur les présents, essayant d’accrocher quelque chose mais ce n’est qu’en apercevant, à partir de la fenêtre de la salle, un hélicoptère volant au-dessus des immeubles qu’une lueur d’intérêt s’y est allumée...
D’ailleurs, les avocats ont insisté sur l’état mental de Kozo, après son long séjour dans les prisons israéliennes. Et Me Khalil Abou Saad, le fils de Béchara, a même déclaré, s’adressant à la cour: «Que croyez-vous que je ressente lorsque, dans sa prison, Kozo Okamoto me demande qui sont les autres détenus et que je dois lui répondre qu’ils sont condamnés pour collaboration avec Israël? Je vous avoue que j’ai honte devant lui, de ces autorités qui mettent sur le même plan un héros de la cause nationale arabe et un agent de l’ennemi...».
Pendant la pause, les inculpés japonais ont d’ailleurs confié à Mme Saïdi qu’ils étaient très bien traités à Roumié et qu’ils étaient tous dans la même cellule, mais qu’ils souffraient de ne pas recevoir des visites — excepté celle de leur avocat une fois par semaine — et de la nourriture particulière. Selon eux, ils seraient donc peu en contact avec les autres détenus de la prison, mais cela ne les empêche pas d’éprouver de la curiosité à leur égard.

Un réquisitoire
très ferme

A l’ouverture de l’audience, c’est le procureur Bitar qui a pris la parole en premier. Et si, pour l’aider à résister contre la chaleur accablante de la salle, les avocats lui ont donné de l’eau fraîche, cela ne l’a nullement amadoué en faveur des inculpés. Pour lui, c’est clair, ils sont coupables d’avoir violé la loi libanaise, d’avoir menti aux autorités et cela, indépendamment de leurs activités «nationales». De même, selon lui, Oumayya Abboud exerce la médecine chinoise sans licence et possède même une clinique. «L’époque où le Liban était le refuge des hors-la loi est révolue», a-il dit, avant d’ajouter que les inculpés ont utilisé les faux papiers pour des objectifs personnels et non pour des mobiles politiques.
Najah Wakim a été le premier avocat de la défense à plaider, pour cause de séance plénière au Parlement. Il a rappelé les «actions héroïques» des inculpés et il a précisé que c’était un immense honneur pour lui d’avoir à les défendre.
Wakim s’est longuement étendu sur les circonstances de leur arrestation et sur le cafouillage des autorités à cette époque. Il a même précisé que dix jours après l’arrestation d’Oumayya Abboud, le procureur général près la Cour de cassation avait déclaré qu’il n’était au courant de rien et qu’il n’avait pas d’information à son sujet. Il a aussi rappelé les déclarations contradictoires du ministre de l’Intérieur, du ministre des Affaires étrangères et du ministre de l’Agriculture au sujet de «l’affaire dite japonaise».
Enfin, le député a affirmé que si les inculpés ont été en possession de faux passeports, il s’agissait pour eux d’une question de légitime défense, insistant sur le fait que les autorités étaient au courant de leur situation.

Les miracles médicaux
du père Tardiff

Au sujet d’Oumayya Abboud, Wakim a déclaré qu’aujourd’hui, tout le monde exerce la médecine, le pharmacien, le voyant «et jusqu’au père Tardiff qui guérit les inguérissables et fait tomber enceintes les femmes stériles...». Il s’est enfin posé la question suivante: «Si Soha Béchara (détenue à la prison de Khiam pour avoir tenté d’assassiner le chef de l’ALS, Antoine Lahd) était dans les régions libérées, serait-elle aussi dans le box des accusés pour port d’armes illégal?».
Me Salah Bakri, avocat d’Oumayya Abboud, a surnommé sa cliente la «sœur des pauvres» parce qu’elle leur a consacré sa vie, tout comme ses deux cousines, Lola Abboud et Souha Béchara, ont consacré leurs vies à la cause nationale. Selon lui, l’exercice illicite de la médecine ne s’applique pas à elle, puisque l’acupuncture ne fait pas partie des «actes médicaux définis par la nouvelle loi sur les professions médicales». Il a même exhibé deux lettres officielles, l’une de l’ordre des médecins et l’autre du ministère de la Santé confirmant ce fait.
Me Béchara Abou Saad, lui, s’est longuement étendu sur l’aspect légal des charges imputées aux Japonais pour aboutir à la conclusion qu’à ses yeux, ils n’ont accompli aucun acte criminel. Il a ensuite souligné le fait que les Japonais n’ont pas eux-mêmes falsifié leurs papiers — ils les ont reçus déjà falisifiés — et ils ne les ont même pas utilisés. Pourquoi se sont-ils installés au Liban? Parce que, depuis 1972, leur compagnon Kozo Okamoto était détenu en Israël et que la scène libanaise est favorable à la lutte pour la cause arabe.
Mes Hassan Chamseddine, Bouchra Khalil et Hussein Haïdar se sont étendus sur l’aspect politique de ce procès, réclamant l’asile politique pour les Japonais. Me Rafic Hajj a rappelé les cas de Fouad Chémali et Walid Alouane, assassinés par le Mossad, le premier à Genève et l’autre à Beyrouth, parce qu’ils avaient conservé leur véritable identité.
Le dernier avocat à prendre la parole est Me Hani Sleimane, défenseur d’Oumayya Abboud, qui a expliqué que l’acupuncture, qui est une des formes de la médecine chinoise, ne figure pas parmi les branches médicales définies par la loi. D’autant que celui qui la pratique ne procède à aucun examen du patient. Il ne fait pas non plus un diagnostic et ne prescrit pas de médicaments. C’est dire qu’elle n’a pas d’effets secondaires et qu’elle ne cause aucun dommage au corps humain.

Avant de lever l’audience, clôturant ainsi le procès, le président a demandé aux inculpés s’ils avaient encore quelque chose à dire. Masao Adachi a clamé son innocence, Mariko Yamamoto a précisé qu’elle n’a jamais voulu violer la loi libanaise et porter atteinte à la souveraineté du pays. Kasuo Tohira et Haro Wako ont réclamé l’asile politique pour eux et pour leurs compagnons alors que Kozo Okamoto, l’air un peu dépassé, a déclaré qu’il était innocent. Oumayya Abboud a aussi clamé son innocence et le président, après avoir consulté ses assesseurs, a fixé l’audience du verdict au 31 juillet.
Avant de lever l’audience, il a décidé d’octroyer aux deux traductrices la somme de 400.000 L.L. chacune pour les services qu’elles ont rendus à la cour. «Payables par la partie qui perdra le procès», a-t-il précisé. Et, dans un éclat de rire, tous les avocats se sont tournés vers le procureur général.: «Préparez-vous à payer, M. Bitar».
Cette plaisanterie deviendra-t-elle une réalité? Beaucoup au Liban l’espèrent, ne serait-ce que pour faire oublier les cafouillages du début de l’affaire dite japonaise. Mais le mot de la fin appartient à la cour.

Scarlett HADDAD
«Une fois de plus, c’est à la justice de rattraper les erreurs des politiciens et des services de sécurité. Messieurs, pour l’honneur et la dignité du Liban, vous devez déclarer les 5 inculpés japonais innocents des charges qui leur sont imputées et rendre hommage à leur courage et à leurs sacrifices pour la cause libanaise et arabe». Par cette phrase et par bien...