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Actualités - REPORTAGE

Oubour, un téléfilm de Lara Saba Les jeunes face à l'après-guerre (photos)

Diplômée de l’Institut d’études scéniques et audiovisuelles (IESAV) de l’USJ, Lara Saba, 25 ans, vient de sortir son premier téléfilm d’une heure, «Oubour» (Passage), projeté pour un soir au cinéma Concorde. Pour cette production, elle s’est battue jusqu’au bout. Grâce à une équipe de jeunes, «de vrais amis qui y croyaient», elle a pu réaliser «le premier pas d’un rêve», sans l’aide de personne. En se contentant d’un budget gagné à la sueur de son front.
La guerre est finie. Pas pour Fady (Rudy Rahmé), qui vit encore avec des images, des souvenirs: ses amis disparus, ses compagnons de combat... Nour (Zéna Saab di Melero) n’a pas connu la guerre. Installée à l’étranger avec sa famille, elle a grandi loin des obus. Aujourd’hui, elle revient au pays pour «comprendre». Elle tourne un reportage sur les jeunes et la guerre. C’est ainsi qu’elle rencontre Fady, qui accepte de témoigner pour elle. Une histoire d’amour naît entre eux. Nour essaye de sortir Fady de son monde, lui se débat avec ses souvenirs. Il tente d’exorciser son «mal», de tourner la page: sur son computer, il revit en «réalité virtuelle» (trois dimensions) toutes les scènes qui l’ont marqué. Nour tombe enceinte. Lorsque l’enfant pousse son premier cri, son père a arrêté de vivre, devant son écran d’ordinateur.
Cheveux châtains, vive, fraîche, pleine d’enthousiasme, Lara garde les pieds sur terre et parle de son film avec réalisme et modestie. «Ce film n’est pas parfait, dit Lara, mais je l’ai réalisé avec les moyens du bord. J’y ai mis toute mon énergie, mes rêves, mes espoirs. Et surtout, j’y ai dit ce que j’avais à dire. Aujourd’hui, je me sens à la fois «vidée» et plus ambitieuse que jamais. Je ne m’arrêterai pas là».
Son diplôme en poche, Lara Saba se lance dans le travail. «On ne peut pas dire que je sois restée inactive», dit-elle. «J’ai réalisé des documentaires et des reportages pour une société de production; des «extérieurs» d’épisodes pour des programmes télévisés locaux... En collaboration avec le ministère de la Culture, j’ai réalisé des documentaires sur des régions du Liban, pour des télévisions locales, avec Zaki Nassif... Cependant, au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’avais mis en veilleuse mon rêve: faire un film. J’ai alors tout arrêté».
En juin 96, le scénario de «Passage» est bouclé. Il faut alors constituer une équipe: une vingtaine de techniciens et autant d’acteurs. «Ce sont tous des amis, des jeunes, qui ont travaillé gratuitement», souligne-t-elle. «J’avais juste assez d’argent pour louer le matériel nécessaire: une caméra Betacam, des micros, un bon éclairage, un générateur pour l’éclairage en extérieurs et des rails».
Rachad Itani propose de coproduire. Repérages, préparations, répétitions... on tourne!
«Nous avons sillonné le pays: Laklouk, Baalbeck, Byblos, Les Cèdres, Beyrouth... L’équipe a été formidable. Nous travaillions 18h par jour.
Nous avons passé de merveilleux moments», dit Lara Saba. «Ça planait».
«La chute n’est est que plus brutale lorsqu’après 15 jours de tournage, le budget est épuisé. Plus un rond pour la post-production. «J’ai dû tout interrompre pendant deux mois, pour «faire des sous». Ensuite, encore trois mois de travail, puis quatre jours pour le mixage final». Des problèmes? «J’en ai eu des tonnes, à croire que le ciel était contre moi. Mais j’ai tenu bon».
Le téléfilm est fin prêt en avril 97. Reste à trouver des sponsors pour la location d’une salle, d’une projectionneuse-vidéo et pour imprimer des cartons d’invitation...
«Dans notre beau pays», déplore Lara, «les grosses entreprises n’ont pas de budget prévu pour sponsoriser un projet de ce genre. Le cinéma libanais? Cela n’existe pas pour eux».
Enfin, deux mois plus tard, alors qu’elle est à deux doigts de renoncer, elle trouve un «parrain» en la Fondation Fayez Mouawad. «Je n’étais toutefois pas encore au bout de mes peines: il fallait encore trouver une salle de cinéma». Chose qui ne s’avère pas évidente. «Nous ne passons pas de films libanais dans nos salles», s’entend-elle répondre.

Observation

«Beaucoup de films ont été tournés sur la guerre», dit Lara Saba. «Personnellement, j’ai voulu faire un film sur l’après-guerre. Aujourd’hui, les jeunes ont envie de «vivre» et je comprends qu’ils veuillent passer à autre chose. Cependant, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ils sont paumés, perdus. La vie leur semble vide, superficielle. Ils ne se parlent pas, ils suivent les mêmes courants, en parallèle, sans se croiser. Or je crois que la vraie richesse naît des «frottements» avec les autres».
Pour Lara Saba, on ne peut pas oublier la guerre sans résoudre ses problèmes; sans prendre le temps de réfléchir sur ce qu’on a vécu. «Beaucoup de jeunes ont quitté le pays une fois la paix revenue. Le Liban pacifié ne les intéresse plus. La guerre avait un côté irréel, une intensité, une authenticité qui leur manquent…».
«Je crois que la «génération de la guerre» a mal grandi. Les jeunes sont restés des enfants, ils n’ont pas pris le temps de grandir…», poursuit-elle. «Fady, le personnage principal du film, est resté l’adolescent qui défendait une cause. Il s’accroche à son rêve, il ne veut pas l’oublier. Ou n’y parvient pas. Ce qui me plaît en lui, c’est ce côté «Antigone» qui se révolte, qui refuse d’accepter. Pour lui, le monde n’est plus pur. Il lui faut le purifier pour pouvoir accueillir son enfant. Il n’y arrivera pas, car l’absolu n’est pas de ce monde. Il mourra sans voir son fils».
On peut également interpréter la fin autrement: Fady meurt pour que vive son fils. Il emporte avec lui la guerre, le malaise qu’elle a engendré. La vie peut alors prendre le dessus. La relève.
«Oubour» est actuellement en sous-titrage. «Je l’enverrai à tous les festivals possibles, à l’étranger», dit Lara. «J’essayerai également de le vendre à une télévision locale. Cependant, ce qui m’intéresse surtout, c’est de continuer à produire. Je prépare actuellement un téléfilm pour septembre. Plus tard, lorsque j’aurai assez d’expérience et de maturité, je pourrai enfin réaliser mon premier film de cinéma. Mais pour cela, il faut des millions…».
Et de conclure: «Je voudrais pour le moment que tout le monde voit de quoi nous, jeunes diplômés, sommes capables. Nous ne manquons ni de talent, ni d’imagination, ni d’énergie, ni d’enthousiasme. Nous avons seulement besoin qu’on nous fasse confiance et qu’on nous soutienne. Nous en avons assez d’être «des voix qui crient dans le désert…».
A bon entendeur…

Natacha SIKIAS
Diplômée de l’Institut d’études scéniques et audiovisuelles (IESAV) de l’USJ, Lara Saba, 25 ans, vient de sortir son premier téléfilm d’une heure, «Oubour» (Passage), projeté pour un soir au cinéma Concorde. Pour cette production, elle s’est battue jusqu’au bout. Grâce à une équipe de jeunes, «de vrais amis qui y croyaient», elle a pu réaliser «le premier...