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Actualités - INTERVIEWS

Le rassemblement du 4 juillet maintenu pour lancer la révole des affamés Cheikh Sobhi Toufayli à l'Orient Le Jour : je n'ai pas de projet politique et je ne veux pas renverser le gouvernement (photos)

Non, il n’est pas question qu’il renonce à «sa» journée historique du 4 juillet — car, selon lui, le gouvernement ne peut prendre des mesures concrètes en un si court laps de temps — non, il ne cherche pas à diviser le Hezbollah et non, il ne veut pas renverser le gouvernement. Avec ces trois «niet», cheikh Sobhi Toufayli définit les grandes lignes de la révolte des affamés qu’il affirme avoir lancée le 4 mai (c’est-à-dire avant les élections présidentielles iraniennes — même s’il nie l’existence d’un lien quelconque entre les deux événements) et qui devrait se concrétiser vendredi prochain par un rassemblement devant le sérail de Baalbeck et l’annonce de la désobéissance civile par les habitants de la région.
Son appartement de la banlieue-sud est pratiquement devenu un lieu de pèlerinage pour les «affamés» du Liban (il affirme à cet égard que de nombreux chrétiens sont venus le voir pour appuyer son action) qui souhaitent participer à la journée du 4 juillet. C’est à qui louera un bus ou proposera une voiture — bien sûr bringuebalante — pour emmener le plus grand nombre de personnes, alors que les partisans du cheikh, barbus et pieds nus, essaient d’organiser les départs, de donner des conseils et surtout de demander aux gens de faire preuve de civisme et de ne pas s’en prendre aux biens d’autrui.
Ponctuel, cheikh Sobhi Toufayli fait son entrée à l’heure exacte du rendez-vous. Pieds nus, lui aussi, un peu fatigué, mais les yeux vifs et la riposte rapide, il répond avec une grande habileté aux questions, sans jamais élever la voix ou les juger trop insolentes.
La première question s’impose d’elle-même. L’initiateur de«la révolte des affamés» a-t-il lui-même faim?
«Je souhaite sauver ceux qui ont faim».
Pourquoi maintenant? «Parce que les gens ont faim et qu’il est devenu nécessaire d’agir. N’est-ce pas votre sentiment? Le pays est dans une situation dramatique, les gens n’arrivent pas à trouver du pain. Ils viennent se confier à moi et je sais combien leurs conditions de vie sont difficiles».
On dit plutôt que le timing de la «révolte des affamés» serait lié à l’échéance électorale au sein du Hezbollah, le mandat de l’actuel secrétaire général expirant à la mi-juillet...
«Il n’y a aucune échéance électorale au cours des prochains mois au Hezbollah. Mais même si l’on me suppliait de redevenir secrétaire général de ce parti, je refuserais. Il n’y a donc aucune raison pour que l’on cherche des motivations personnelles à «la révolte des affamés». Je suis un cheikh et c’est normal que les gens me confient leurs problèmes. Ce qui compte pour moi, c’est de les aider à recouvrer leurs droits. Je n’ai aucun projet ni intérêt personnel dans cette affaire».
Qu’y a-t-il de vrai dans ce que l’on dit sur ces mauvaises relations avec l’actuel secrétaire général du Hezbollah, sayyed Nasrallah, qu’il accuserait de népotisme et de favoritisme à l’égard du Sud aux détriments des chiites de la Békaa?
«Je ne souhaite pas parler du Sud et de la Békaa. On devrait interdire ce thème et en tout cas, personnellement, je le déteste».
Son mouvement a pourtant commencé dans la Békaa.
«C’est un mouvement libanais qui a pour point de départ la Békaa. Tout comme le Hezbollah a commencé son action dans cette même plaine, sans être un mouvement békaîote. «La révolte des affamés» concerne tous les Libanais, musulmans et chrétiens, nordistes, sudistes, beyrouthins et autres».
Pense-t-il pouvoir mobiliser tous ces gens?
«J’ai certes des partisans dans toutes les régions du pays, mais certaines sont plus mobilisées que d’autres».
«Notre mouvement a été lancé le 4 mai et le 4 juillet n’est qu’une étape dans notre action. La désobéissance civile sera annoncée dans la Békaa, et nous adopterons d’autres mesures pour obtenir satisfaction».
Pense-t-il que c’est le bon moyen pour obtenir gain de cause? Le dialogue ne serait-il pas plus efficace?
«Croyez-vous réellement que l’on puisse donner aux gens leurs droits par le dialogue?»
A-t-il essayé?
«Nous l’avons fait pendant 5 ans et cela n’a rien donné».
Il veut donc renverser le gouvernement?
«Non. Certes, c’est un gouvernement corrompu, qui sème la misère, la pauvreté et le désordre, qui vole le pays, mais cela devient un sujet politique. Or, je ne veux pas utiliser la révolte des affamés pour atteindre des objectifs politiques. Ce mouvement doit rester sans identité politique, car ainsi, il exclurait certains affamés qui ne sont pas d’accord avec le projet politique, tout en se sentant concernés par les revendications sociales. Dans le cadre de cette révolte, nous n’avons pas d’objectifs politiques, et notre plafond est uniquement social».
Ce plafond n’est-il pas plutôt dû à certaines lignes rouges?
«Pas du tout. A mon avis, c’est une erreur dans la vie publique de politiser des revendications sociales».
Est-ce une critique directe à l’action de la CGTL (fraction Abou Rizk)?
«A mon avis, elle a effectué une confusion entre le politique et le social. Et c’est une erreur».
Il est tout de même un homme de religion musulman et comme, dans l’islam, religion et politique sont liées, dans quelle mesure peut-il rester éloigné de la politique?
«J’ai certes mes opinions et mes ambitions politiques. Mais dans le cas de «la révolte des affamés», je dois séparer le social du politique. Et tous les participants à cette révolte doivent être convaincus que je servirai honnêtement leurs intérêts, sans chercher des objectifs personnels. Je n’ai pas le droit de trahir la confiance placée en moi».
Quelles sont ses ambitions politiques?
«Elles sont nombreuses et bien sûr pas personnelles. Par exemple, je ne crois pas dans l’accord de Taëf et, par conséquent, tout ce qui en est issu ne me paraît pas valable. Mais cela n’a rien à voir avec la révolte des affamés».
Que fera-t-il si le gouvernement confie le maintien de l’ordre dans la Békaa à l’armée libanaise, le 4 juillet?
«Je ne crois pas que quelqu’un songe à nous affronter. Nous n’avons pas de projet politique et nous ne représentons une menace pour personne. L’Etat ne peut tirer sur des gens qui ont faim. S’il le fait, il ne pourra plus se targuer d’être un Etat, et il aura commis une bêtise inouïe. Le gouvernement qui songerait à prendre une telle décision ne pourrait plus trouver une place au Liban pour y enfouir sa tombe. Sans parler d’y vivre».
Mais concrètement, que se passera-t-il?
«Rien, rassurez-vous. Les gens se rassembleront, déclareront la désobéissance civile et prendront les instructions pour l’action future. Il n’y aura pas d’affrontements. Les FSI et les soldats sont nos fils. D’ailleurs, ce sont aussi leurs intérêts que nous défendons. Un soldat a-t-il les moyens de faire soigner son fils à l’hôpital?»
Et si le gouvernement chargeait les soldats syriens d’empêcher tout rassemblement à Baalbeck, le 4 juillet?
«Je suis sûr que Hafez el-Assad ne combattra pas les siens et ne tirera pas sur les affamés. Il n’y aura pas d’affrontement. L’Etat est sensé et protégera ses fils. Au contraire, il cherche à répondre à nos revendications. Mais nous lui demandons de ne pas mentir. Car nous n’aimons pas les menteurs...»

Haschisch et cultures
de substitution

Y a-t-il eu un dialogue au sujet des revendications entre l’Etat et lui-même?
«Il faut attendre».
Se pourrait-il donc qu’il renonce à la manifestation du 4 juillet?
«Pensez-vous que le gouvernement pourrait résoudre nos problèmes en une semaine? Une simple promesse ne suffira pas, en tout cas, à nous faire annuler le rassemblement du 4 juillet».
Dans ses récentes déclarations, il a pratiquement encouragé la reprise de la culture du haschisch...
«Moi? c’est l’Etat qui encourage la reprise d’une telle culture, alors que j’y suis totalement opposé. L’Etat tient un discours clair. Il se demande pourquoi au Maroc et en Turquie, par exemple, les Américains ont donné des compensations financières à l’arrêt de la culture de la drogue. Alors que, nous, au Liban, nous avons éradiqué cette culture, sans attendre les compensations. D’ailleurs, cette culture s’était développée dans la Békaa, grâce à l’encouragement de l’Etat. Aujourd’hui, on dirait que le même phénomène doit se reproduire. Mais si l’Etat encourage réellement la reprise de cette culture, il sera en train de commettre un crime envers son peuple. Car ce n’est pas ainsi que l’on construit les patries. L’Etat doit penser à des cultures de substitution à la drogue et au tabac et mettre les bases d’une économie saine».
Sait-il si les habitants de la Békaa ont recommencé à cultiver le haschisch?
«Je n’en ai pas la moindre idée».
Y a-t-il une alliance entre lui et sayyed Fadlallah contre le Hezbollah?
«Les membres du Hezbollah sont mes fils et mes frères. Ils croyaient simplement que mes méthodes ne pouvaient donner des résultats positifs. Je crois qu’ils sont sur le point de changer d’avis et d’annoncer leur appui à mon mouvement. Quant à sayyed Fadlallah, lui et tous les ulémas ne peuvent être que du côté des pauvres et de ceux qui souffrent».
Que demande-t-il exactement au Hezbollah? De ne plus donner la priorité à la résistance pour la donner au dossier social?
«Il n’y a pas de priorités. La résistance en est une et le dossier social une autre. Nous devons nous occuper des deux sans problèmes».
Il y a actuellement une campagne américaine contre le Hezbollah. En menant cette action, n’est-il pas en train de servir cette campagne en affaiblissant le Parti de Dieu?
«Si je comprends bien, vous m’accusez d’être aux côtés des Américains? Comment avez-vous pu aboutir à cette conclusion?»
C’est dans la logique des choses...
«Attendez un peu. La campagne de l’appauvrissement du Liban est menée par les Américains. Ceux-ci avaient détruit l’URSS, non pas par les armes mais par des moyens économiques. Ils utilisent les mêmes méthodes aujourd’hui, à travers certains pôles du pouvoir au Liban. En nous opposant à la politique économique du pouvoir, nous nous opposons à la politique américano-sioniste. Lutter contre l’occupation sioniste et s’opposer à la politique économique font partie d’un même projet».
En somme, son mouvement n’affaiblit-il pas le Hezbollah?
«Non. Il renforce au contraire tous ceux qui se tiennent aux côtés du peuple».
Où en sont ses contacts avec le commandement du Hezbollah?
«J’espère qu’ils aboutiront bientôt à un résultat positif et que le Hezbollah se tiendra à nos côtés».
D’où vient son financement?
«Je n’ai pas d’argent».
Est-ce pour cela qu’il a lancé son mouvement?
«Je suis endetté et je n’accepte pas que l’on me donne de l’argent».
Comment vit-il et paie-t-il ses gardes du corps?
«C’est le Hezbollah qui les paie. Je suis membre de ce parti. Je suis le père des membres de ce parti. Ils ne m’ont pas retiré mes gardes du corps et ils continuent à assurer mes frais. Je n’ai pas de sources propres de financement. Aujourd’hui, certains pauvres se proposent d’utiliser leurs maigres économies pour affréter des bus pour Baalbeck le 4 juillet».
Si un richard voulait lui faire un don, l’accepterait-il?
«Si j’ai des doutes sur ses motivations, non».

Les relations avec la Syrie

Est-il appuyé par un courant radical en Iran? «Il y a des courants, mais nous ne sommes pas appuyés par un courant en particulier. Ce n’est pas ainsi que je vois mes relations avec les frères iraniens».
Se sent-il plus proche de l’actuel président ou de son rival, Nateq Nouri?
«Ce sont tous mes amis et pour moi, il n’y a aucune différence entre les deux».
Aujourd’hui, se sent-il plus proche de la Syrie que de l’Iran?
«Plus ils appuient la vérité et plus je me sens proche d’eux. De plus, nous devons beaucoup aux Iraniens et aux Syriens. Même si en somme, il était de leur devoir de faire ce qu’ils ont fait pour le Liban, nous les en remercions vivement. Et aujourd’hui, je suis aussi proche de la Syrie que de l’Iran».
Même avec son président actuel? «Oui».
Finalement, n’est-ce pas la Syrie qui le pousse à mener son action?
«Franchement, cela fait longtemps que je n’ai pas rencontré des responsables syriens».
Il était pourtant à Damas depuis environ trois semaines, où il aurait rencontré sayyed Nasrallah en présence de l’ambassadeur d’Iran dans la capitale syrienne.
«J’ai beaucoup d’amis à Damas et si je les rencontre, cela ne signifie pas que ce pays appuie mon action ou la dicte. Je me rends d’ailleurs souvent en Syrie, vous savez que pendant longtemps, la Békaa avait plus de liens avec Damas qu’avec Beyrouth. Surtout que les formalités aux frontières étaient réduites au minimum. C’est maintenant qu’elles se sont compliquées».
De toute façon, il utilise la voie de passage «militaire».
«Certainement. Mais cela fait longtemps que je n’ai pas rencontré des responsables syriens, surtout depuis que je n’ai plus de responsabilités ni un rôle politique. Enfin, je n’ai pas confirmé la réunion que vous évoquez. Il y a un dialogue permanent entre sayyed Nasrallah et moi-même, mais cela ne veut pas dire que je l’ai rencontré à Damas. Contrairement à ce que vous croyez, nous sommes en contact permanent».
Ne prépare-t-il pas l’émergence d’un nouveau Hezbollah?
«Pas du tout. Il n’y a ni Hezbollah ni Ansarallah. Je n’ai pas un projet politique propre et je ne permettrai pas que l’on nuise au Hezbollah».
Pourquoi cela semble-t-il si difficile à croire?
«Pourquoi pensez-vous qu’il est impossible que quelqu’un se soucie réellement des misères du peuple, sans songer à en tirer des profits personnels?»
N’y a-t-il pas une part de démagogie dans «sa révolte des affamés»?
«Alors, selon vous, les déshérités ne méritent pas que l’on se sacrifie pour eux? Personnellement, je pense que oui. Et autant que je vous le sachiez, je suis prêt à mourir pour eux. Mon seul projet, c’est l’intérêt du peuple».
Que demande-t-il réellement à l’Etat?
«L’enseignement gratuit, les soins médicaux gratuits, la réduction des impôts sur les personnes à revenus limités, l’exemption des pauvres de certaines taxes, un plan agricole cohérent — et non pas comme celui qui vient d’être adopté et qui aggrave le problème, une réglementation des prix de manière à protéger l’agriculteur et le consommateur, assurer du travail aux chômeurs et régler le problème des terrains sur lesquels l’Etat a mis la main, sans payer à leurs propriétaires, ni les exploiter, arrêter le monopole et alléger les formalités officielles... Toutes ces revendications ne peuvent être satisfaites en une semaine. Quant aux récentes mesures, elles montrent à quel point le gouvernement est ignorant en manière d’économie et d’agriculture. Elles peuvent provoquer une nouvelle catastrophe».
Qu’éprouve-t-il en voyant que toute la République s’est déplacée jusqu’à Nabi Chit (proche de Brital, son QG), rien que pour lutter contre lui?
«J’ai remercié les responsables. Même s’ils ont un peu de retard et j’espère que cette visite témoigne de leur souci sérieux de régler le problème social».
A-t-il reçu des menaces ou craint-il pour sa vie?
«Rien ne peut modifier mes convictions et ma détermination à poursuivre la lutte en faveur des affamés. Mais je dois dire que je n’ai pas reçu de menaces».

Propos recueillis par
Scarlett HADDAD
Non, il n’est pas question qu’il renonce à «sa» journée historique du 4 juillet — car, selon lui, le gouvernement ne peut prendre des mesures concrètes en un si court laps de temps — non, il ne cherche pas à diviser le Hezbollah et non, il ne veut pas renverser le gouvernement. Avec ces trois «niet», cheikh Sobhi Toufayli définit les grandes lignes de la révolte des...