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Actualités - ANALYSE

Au passif du système, un lourd déficit économique et financier

Même la caste politique, alertée par le réflexe nerveux du dernier Conseil des ministres, commence à s’en apercevoir et à s’en émouvoir: le Liban est en train de couler économiquement et financièrement. Le Budget, malgré les estimations dopées à l’optimisme des officiels, est en pleine déconfiture et son déficit réel dépasse les 50%. A titre de comparaison, et pour bien comprendre combien le fardeau est accablant, les critères de Maastricht pénalisent tout déficit bud Si l’Europe a son serpent monétaire, le Liban financier ressemble à un reptile qui se mord la queue: pour couvrir des dépenses improductives à 90%, l’Etat ne cesse d’emprunter... et pour payer les traites, il s’endette encore, à coup d’émissions de bons du Trésor. l’autre remède, encore pire que le mal, est d’accabler la population d’impôts ou de surtaxes, et de l’appauvrir. Circonstances aggravantes: les sempiternelles querelles entre dirigeants, la corruption généralisée et les projets somptuaires déployés dans le cadre d’une stratégie de reconstruction qui misait, erreur fatale, sur une paix rapide dans la région... Tous ces éléments font que la confiance, moteur indispensable de tout redressement économique, fait défaut aussi bien à l’intérieur qu’au dehors, c’est-à-dire par rapport aux capitaux extérieurs qui ne se risquent pas à investir dans un pays aussi instable à tous points de vue.

Prévenir l’implosion

Partant de là, certains mentors préconisent la mise sur pied d’une sorte de «comité de salut public» pour traiter l’urgence économique. Un organisme qui regrouperait des experts et qui établirait, pour le compte du gouvernement libanais, la ligne à suivre en tenant compte des variations mondiales, régionales et locales. Ce «Cabinet parallèle spécialisé», veillerait selon les auteurs de la proposition à «prévenir par de sages mesures, avant qu’il ne soit trop tard, l’implosion socio-économique du pays». A leur avis «il est inadmissible de laisser le Liban sans aucune planification sur ce plan vital que sont les finances publiques. On ne peut prolonger indéfiniment le double stratagème de l’endettement et des ponctions fiscales». Ils suggèrent donc que, comme dans de nombreux pays, on fasse appel à des économistes renommés, pour seconder une équipe de travail qui comprendrait en outre des représentants de la Banque centrale, du ministère des Finances, du Conseil de la Fonction publique, de l’Association des banques et des organismes économiques. Cette commission «commencerait par un audit effectif pour nous dire, en chiffres précis, quelle est la vraie situation économique et financière du pays, pour nous indiquer quel est le montant exact de la dette publique, intérieure et extérieure et nous révéler objectivement l’étendue du déficit budgétaire... Ensuite, affirment ces sources, le comité en question trancherait une fois pour toutes la polémique sur les priorités, dirait quels sont les projets gouvernementaux qu’on doit annuler et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour assurer si possible la promotion des prestations sociales ainsi que des secteurs de production nationale».

Lettre morte

Et de rappeler que, «dans sa déclaration ministérielle, le gouvernement a promis de poursuivre l’exécution des projets de développement, d’accélérer la croissance, de dynamiser toute l’activité économique du pays, de mieux canaliser les dépenses publiques, d’accroître les recettes de l’Etat, de renforcer la stabilité financière et monétaire... Les mois ont passé et selon toute apparence rien n’a été mis en train. La Chambre des députés a dû intervenir pour obliger le gouvernement à appliquer le principe du contrôle préalable sur un endettement qui a fini par dépasser largement le taux permis par la loi des finances publiques. La Chambre a également fait opposition à cette pratique illégale qui consiste à consentir des avances du Trésor à des institutions ou offices non productifs, c’est-à-dire qui ne peuvent évidemment rien rembourser de ce qu’on leur «prête». Mais ces palliatifs restent très minces en regard de la catastrophe budgétaire; le gouvernement a avancé pour l’exercice en cours une prévision d’un déficit de 37,5%... or pour le premier trimestre ce déficit a été de plus de 60% et de quelque 55% pour le deuxième trimestre».
«Une situation d’autant plus alarmante, ajoutent ces politiciens, qu’on se montre toujours évasif du côté gouvernemental au sujet non seulement du montant exact de la dette publique mais aussi de son utilisation. Car il semble qu’une partie des emprunts contractés serve à empêcher l’inflation monétaire, à maintenir la stabilité de la livre; tandis que l’autre partie sert à payer les intérêts aux créanciers, en majorité des souscripteurs aux bons du Trésor, ce qu’on appelle le service de la dette. C’est très alarmant car c’est là une spirale sans fin qui peut nous mener à la faillite...»
Appréhension partiellement partagée par l’Association des banques dont le président, M. François Bassil, a mis en garde contre une accumulation de dettes publiques qui finirait par liquider tout ce qui a été réalisé dans le pays après la fin des événements.

Les assurances des officiels

Mais, pour sa part, le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, tout en reconnaissant que la dette s’accroît, ne trouve pas qu’il y ait de quoi s’alarmer. A son avis tant que la dette publique reste essentiellement intérieure, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Il veut dire par là que les Libanais étant les principaux créanciers de leur propre Etat ne vont jamais lui demander de déposer son bilan. M. Hariri ajoute que la solution est simple: augmenter les recettes du Trésor pour réduire le déficit du Budget. Ce qui implique à son sens une augmentation du revenu national...
Ou ce qui sous-entend qu’on continuera à pressurer le consommateur et le contribuable, comme on vient encore de le faire à travers la surtaxation douanière des voitures et de certains produits agroalimentaires.
— Toujours est-il que le gouverneur de la Banque centrale M. Riad Salamé reconnaît pour sa part que l’accroissement du déficit du Budget stoppe la réduction des taux d’intérêt, autrement dit garde la dette à son niveau le plus lourd. Il relève que l’économie libanaise mise toujours sur des facteurs saisonniers et ne parvient pas à évoluer de manière à s’assurer de secteurs produisant de façon constante à destination de l’exportation ou du tourisme. Cependant, M. Salamé affirme que, sur le plan financier, et par conséquent budgétaire, la barre commence à se redresser, que les finances publiques sont en voie d’assainissement, que l’inflation reste maîtrisée à moins de 10%, que pour la première fois depuis des années la balance des paiements libanaise connaît un excédent et... que l’on a confiance dans la solvabilité de l’Etat libanais. Il conclut que si le gouvernement réussit à respecter le taux de déficit qu’il s’est fixé pour le Budget (mais n’est-il pas déjà trop tard?), ce serait un signal positif fort à l’adresse des marchés et cela permettrait de réduire les taux d’intérêt, d’alléger donc le service de la dette publique qui est essentiellement intérieure.
— Quant au premier vice-gouverneur, M. Nasser Saïdi, il souligne que la Banque centrale contrôle le curseur qui fait varier les taux d’intérêt et régule donc le marché, ce qui est un élément rassurant pour les capitaux et pour que Beyrouth redevienne une plaque tournante financière. Il ajoute qu’il faut régler le lourd handicap que constitue la situation de l’Administration libanaise. A son avis, en effet, le pourrissement et l’archaïsme dans ce domaine constituent l’une des plus grandes entraves à la libération des capacités compétitives de l’économie libanaise.
— Last but not least, M. Fouad Siniora, grand argentier du pays, place dit-il ses espérances dans les aides promises au Liban, dans les prêts privilégiés que certains Etats se sont engagés à lui octroyer. A partir de là, il estime qu’on pourra relancer la roue de la fortune, entendre de l’activité économique bénéficiaire, accroître la production locale, créer de l’emploi, augmenter les recettes du Trésor pour en réduire progressivement le déficit et commencer à rembourser le capital de la dette publique...
En effet, il n’est pas interdit, il est même fortement recommandé, de rêver... quand on ne peut pas agir. Car pour le moment les aides mirifiques attendues par le ministre sont aussi bloquées que le processus de paix régionale.
E.K.
Même la caste politique, alertée par le réflexe nerveux du dernier Conseil des ministres, commence à s’en apercevoir et à s’en émouvoir: le Liban est en train de couler économiquement et financièrement. Le Budget, malgré les estimations dopées à l’optimisme des officiels, est en pleine déconfiture et son déficit réel dépasse les 50%. A titre de comparaison, et pour...