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Actualités - OPINION

Rose flou

Quand, de clairement tracées, les lignes de partage entre les programmes politiques se font zigzagantes, ou même s’estompent au point dans bien des cas de disparaître totalement, il ne reste à l’électeur, déjà passablement désorienté par le flou des idées, qu’à se laisser tenter par le mouvement de l’alternance. Et à vouloir proposer — à la hussarde — le changement, il y avait un risque, nettement apparu dès le 25 mai, de voir le Français moyen prendre l’offre à la lettre, non pas comme un challenge mais comme un remède contre une lassitude à laquelle, en désespoir de cause tant elle paraissait inexplicable et injustifiée, on avait fini par donner le nom de morosité.
Dans l’étrange consultation populaire des deux dernières semaines, tout dès le départ avait contribué à brouiller les donnes. D’abord le fait que cette potion imposée de force aux Français, l’apothicaire n’avait su ni convaincre de son utilité, ni choisir le moment de l’administrer. Mais reconnaissons-le: en d’autres temps, ce Florentin de François Mitterrand n’avait pu lui non plus éviter les pièges, quelque peu différents il est vrai, qui lui étaient tendus. Ensuite, le mode de scrutin — uninominal, par circonscriptions, à deux tours — faisait du Front national de Jean-Marie Le Pen l’unique arbitre s’agissant d’une quarantaine de sièges au moins. De ce fait enfin, le jeu des reports a permis au parti socialiste de profiter, à son corps défendant, mais c’était tout de même bon à prendre..., d’un apport de voix non négligeable.

L’erreur, impardonnable, a été de n’avoir pas retenu une double leçon, pourtant tirée en son temps par tous les observateurs: celle d’abord de la présidentielle américaine de l’an dernier, quand Bill Clinton avait sollicité et obtenu un nouveau mandat de quatre ans sur la base d’idées largement empruntées à son adversaire républicain; celle, plus récemment, de la campagne précédant le scrutin britannique du 2 mai, menée tambour battant par le travailliste Tony Blair au nom d’un thatchérisme, bon teint certes et quelque peu édulcoré, mais que l’on croyait, tout comme le reaganisme des années quatre-vingts, quelque peu dépassé.
«Nous sommes orphelins de nos idées», se désolait avec une touchante candeur, dès hier soir, le chef du Mouvement pour la France Philippe de Villiers. Quand il était bien tard pour le reconnaître...
Pour n’avoir pas saisi à temps la portée des changements intervenus dans le discours d’une certaine gauche, voici Jacques Chirac condamné à subir une cohabitation dont mieux que quiconque il connaît les difficultés, l’ayant expérimentée entre 1986 et 1988, puis ayant vu Edouard Balladur, avec davantage de bonheur il faut l’admettre, la pratiquer dans la période de 1993-1995. Cette coexistence institutionnelle s’annonce d’autant plus chaotique que Lionel Jospin a déjà fait savoir qu’«il faudra laisser le gouvernement gouverner» et que désormais, il ne saurait y avoir, pour le chef de l’Etat, de «chasses gardées», en l’occurrence les Affaires étrangères et les questions de sécurité nationale, réservées à l’Elysée conformément à une tradition instaurée par le général de Gaulle.
Vainqueur incontesté dans l’immédiat — qu’en sera-t-il demain? — l’homme qui a réussi le tour de force de dépoussiérer le PS et de restaurer sa crédibilité, plutôt écornée par les dernières années de la trop longue ère mitterandienne, va se trouver bien vite confronté à des problèmes qui ont eu raison de son prédécesseur.
Outre, au plan intérieur, un taux de chômage qui atteint 12,8 pour cent de la population active et une immigration perçue différemment suivant les couches de la société, il y a, à l’échelle européenne, cet euro qui pointe à l’horizon 99 et dont apparemment nul ne veut, pas plus les Hexagonaux que les autres Européens, hormis l’Allemagne. Encore que cette dernière est rien moins qu’assurée de faire le bon choix dans dix-huit mois, maintenant qu’un nouvel élan, plus mesuré, moins sentimental, vient d’être imprimé à l’effet Maastricht.
Face à une gauche, unie pour l’instant — en attendant les premiers couacs avec le parti communiste —, il y a tout lieu de craindre, conséquence prévisible de la débâcle d’hier, une désorganisation des rangs de la droite, dont les premiers signes apparaissaient dès dimanche, à travers les déclarations de certains de ses leaders.
Cela, c’est l’autre pari que Jacques Chirac aura perdu. Et non, pour lui, le moins important.

Christian MERVILLE
Quand, de clairement tracées, les lignes de partage entre les programmes politiques se font zigzagantes, ou même s’estompent au point dans bien des cas de disparaître totalement, il ne reste à l’électeur, déjà passablement désorienté par le flou des idées, qu’à se laisser tenter par le mouvement de l’alternance. Et à vouloir proposer — à la hussarde — le...