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Actualités - OPINION

Impair et manque

Sages et même humbles, les caciques des partis, au lendemain d’un premier tour qui en aura vu de toutes les couleurs, du rose au vert en passant par le rouge Hue, le bleu et, pour les nostalgiques Chouans de Philippe de Villiers, le blanc frappé du lys royal. Nul pour l’heure ne veut crier victoire, encore moins parler de défaite. C’est que l’électeur-cabri vient d’administrer une leçon de modestie aux stratèges du Landernau politique qui se sont ingéniés, vingt-et-un jours durant, à vouloir, dans un sens ou un autre, forcer sa décision.
Aujourd’hui, il y a ceux qui disent: «Ce camouflet subi par la droite ne pourra que lui être bénéfique, car il provoquera dimanche prochain un sursaut dont elle a besoin, un ralliement massif qui lui permettra de surmonter son handicap. Vous allez voir...». Et les événements à venir leur donneront peut-être raison.
Et puis il y a ceux qui s’en vont répétant: «L’élan imprimé en ce 25 mai est irréversible. Les Français qui n’étaient hier ni communistes, ni même socialistes et encore moins «écolos» vont se hâter de prendre le train en marche au vu des résultats du galop d’échauffement. Quoi que fasse l’autre camp, la partie est gagnée pour nous». Et peut-être n’ont-ils pas tort.
A écouter les péroreurs de la longue nuit électorale, à lire les commentaires savants qu’elle aura inspirés, à prendre connaissance des projections des oracles-sondeurs, force est de constater que d’ici à cinq jours, toutes les options sont possibles théoriquement, le maintien en place de l’actuelle coalition comme une cohabitation, qui pourrait après tout ne pas s’avérer aussi désastreuse que certains s’évertuent à le faire croire.
Déjà les socialistes — sous l’impulsion d’un Lionel Jospin à qui le nouveau marathon, après celui de la présidentielle miraculeuse de 1995, semble avoir donné des ailes — ont entrepris le ravalement d’une façade que quatorze années de mitterrandisme ont laissée en piteux état. Gages aux inconditionnels de Maastricht, sérénité face à la plongée, lundi, de la Bourse, certitude affichée (ce n’est jamais mauvais pour le moral des troupes que l’on mène au combat) quant à l’avenir immédiat: tout cela est de bon aloi et estompe quelque peu le souvenir des innombrables faux-pas des années où, la rose s’étant très vite fanée, les «révélations» sordides et les «affaires» qui ne l’étaient pas moins avaient suscité un malaise dont souffre encore la France et provoqué un désenchantement profond qui vient de se traduire par un taux record d’abstentions.
Quand l’imagination, cet indispensable outil de l’homme politique, se retrouve en panne, il ne reste plus que les chiffres à faire parler. A en écouter ces jours-ci la monotone énumération, ils sont inquiétants. Oublions l’espace d’un instant les trois millions de chômeurs, le désastre au Zaïre et ailleurs en Afrique, les petites guerres avec l’Amérique, pour ne retenir que ceci: une mobilisation sans précédent, encore que réduite à trois semaines, n’aura débouché que sur une douzaine de vainqueurs au premier tour.
C’est le pays tout entier, serait-on tenté de dire, qui est en ballottage, c’est-à-dire ne sachant quel bulletin déposer dans l’urne et optant, en désespoir de cause, par lassitude ou dépit — si ce n’est dans un souci de dérision — pour les thèses de Jean-Marie Le Pen. Le patron du Front national talonne désormais le RPR en pourcentage (16,81 pour celui-ci, contre 15,09 pour l’extrême-droite), ce qui fait de lui, bien plus que le PS, le tombeur de la majorité et en tout cas le balancier qui déterminera la physionomie du second tour. Sans pour autant, ironie d’un découpage jadis taillé aux mensurations des grandes formations, espérer plus qu’un maximum de trois sièges dans la future assemblée.
Il reste, certes, la possibilité qu’ayant voulu, dans un premier temps, marquer leur désapprobation de la ligne suivie par Alain Juppé, les Français impriment au round décisif un mouvement de barre qui ramènera au pouvoir la majorité actuelle, mais réduite à quelques voix. C’est là un cas de figure de plus en plus fréquemment évoqué depuis quarante-huit heures et qui présente le double avantage de rassurer une chiraquie passablement déboussolée tout en orientant dans le bon sens une partie des indécis.
Les deux événements constitués par le harakiri du chef du gouvernement, hier, et ce soir l’appel du président de la République pourraient bousculer l’échiquier et donner un nouveau départ à la course. Encore faudrait-il qu’ici et là, on renonce aux discours négatifs et que l’on cesse d’évoquer un pseudo clivage gauche-droite totalement dépassé depuis les temps héroïques de la SFIO et du MRP.
Le changement, tout le monde le souhaite, semble-t-il, l’homme de la rue tout autant que le locataire actuel ou à venir du Palais Bourbon. Mais doit-il porter sur les hommes, les programmes, le mode d’action? Toute la question est là. Et la réponse — aussi injuste que cela paraisse, car rien ne dit que son choix sera le bon —, c’est l’électeur qui la détient.
Christian MERVILLE
Sages et même humbles, les caciques des partis, au lendemain d’un premier tour qui en aura vu de toutes les couleurs, du rose au vert en passant par le rouge Hue, le bleu et, pour les nostalgiques Chouans de Philippe de Villiers, le blanc frappé du lys royal. Nul pour l’heure ne veut crier victoire, encore moins parler de défaite. C’est que l’électeur-cabri vient...