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Actualités - ANALYSE

Dans les thèses de Joumblatt, il y a à prendre et à laisser, estime-t-on à l'est

Une vision claire quoiqu’un peu paradoxale: pour le leader de la montagne, M. Walid Joumblatt (dont les thèses sont accueillies à l’Est par des réactions où approbation et réserves se mêlent), il faut certes un dialogue interlibanais préparant un dialogue libano-syrien, mais surtout pas un dialogue syro-chrétien ou islamo-syrien car cela provoquerait des réactions de sensibilité politique froissée. D’autant plus justifiées que le but du processus apparaîtrait comme devant permettre de faire pencher la balance en faveur d’une fraction, comme s’il y avait au Liban un Etat des confessions.
Le ministre souligne que, s’il y a problème au sujet de la présence militaire syrienne, les Libanais, chrétiens et musulmans, doivent en discuter entre eux pour s’entendre: est-ce que cet apport est toujours nécessaire pour assurer la stabilité politico-sécuritaire du pays ou non... On ouvrirait ensuite le dialogue avec la Syrie à partir de la position unifiée qui se serait dégagée de ce débat interne... M. Joumblatt répète que les fruits d’un dialogue syro-chrétien seraient obtenus aux dépens des mahométans dont le propre dialogue éventuel avec Damas viserait à conforter les acquis, le résultat dans les deux cas étant d’attiser les clivages entre les communautés, au détriment de la coexistence et de l’unité nationales.
Allant plus loin, M. Joumblatt confirme qu’à ses yeux Taëf, désormais obsolète, ne peut plus servir de base pour un système politique stable et doit être remplacé par une autre formule donnant au Liban une identité définitive pour qu’il cesse d’osciller entre «libanisme» et «arabisme».
Il se demande ensuite si la libération de Samir Geagea et le retour du général Michel Aoun suffiraient à donner satisfaction aux chrétiens qui ne se sentiraient plus lésés dans leurs droits ni désenchantés. M. Joumblatt leur conseille de se conformer à l’exhortation papale qui les invite à bien s’intégrer dans leur environnement arabe. Il répète que cette orientation est une responsabilité que le patriarche Sfeir doit assumer en premier, après qu’il eut été consacré par la visite papale comme leader aussi bien politique que spirituel.

Réponse

Commentant toutes ces extrapolations, un dignitaire religieux de l’Est développe les vues suivantes:
— «On parle de dialogue chrétien avec la Syrie... Sur ce point, nous ne sommes pas loin de la position de M. Joumblatt. Nous estimons en effet que ce sont seulement les autorités officielles de ce pays qui doivent converser avec Damas. A condition, bien entendu, que l’Etat-interlocuteur représente effectivement toutes les composantes du paysage socio-politique local. A condition aussi que le dialogue ait pour but d’asseoir de solides relations bilatérales basées sur le respect mutuel de l’indépendance et des intérêts bien compris de chaque partie. Si la Syrie estime qu’il y a des failles à combler ici ou là, un équilibre à rétablir, c’est à travers les autorités libanaises qu’elle doit s’efforcer d’apporter les corrections voulues, non à travers une fraction ou une communauté déterminées car quand on a le culte des institutions on ne peut contourner l’Etat. On ne peut pas non plus agir de manière à laisser penser que cet Etat ne représente pas vraiment tous les Libanais, qu’il ne parle pas en leur nom. De fait, comme le dit M. Joumblatt, un dialogue avec la Syrie limité à une seule partie libanaise ferait penser à l’autre qu’il est dirigé contre elle et conduirait à un surcroît de divisions, ce qui n’est évidemment pas dans l’intérêt du Liban ou de l’Etat. Il faut donc que cela soit ce dernier qui traite avec Damas des moyens à mettre en œuvre pour faire les corrections nécessaires afin d’assurer l’égalité entre tous les Libanais sur le plan interne. Le pouvoir doit dès lors représenter toutes les parties, faire la synthèse de leurs intérêts respectifs. Il n’est pas indispensable qu’à cet effet toutes les parties soient d’abord intégrées au pouvoir et il suffit que ce dernier expose honnêtement leurs points de vue à Damas pour qu’on puisse considérer qu’il les représente effectivement».

Justice et égalité

Cette personnalité religieuse relève ensuite qu’il n’est pas «conforme à la vérité de dire que les chrétiens ne se sentiraient pas satisfaits si Samir Geagea n’était pas libéré et si Michel Aoun ne retournait pas. Ce n’est pas une condition obtuse, butée, que les chrétiens posent: ce qu’ils veulent c’est que l’Etat traite avec justice, sur un pied d’égalité, tous les Libanais. Samir Geagea n’était pas le seul criminel de guerre pour être le seul condamné. Le général Michel Aoun n’était pas le seul à avoir gardé des donations financières pour être le seul à se voir réclamer des comptes à ce propos. Bien d’autres ont avoué des détournements de fonds publics sans être inquiétés. D’autre part, il existe nombre de chrétiens qui pensent qu’ils seraient bien mieux représentés par Samir Geagea, par Michel Aoun et par d’autres qu’ils ne le sont actuellement. C’est normal et cela n’a rien d’étonnant quand on voit où en est la situation... De plus, nous demandons en toute fraternité: les druzes accepteraient-ils qu’une figure secondaire les représente à la place de M. Joumblatt, les chiites un autre de moindre calibre que M. Berry... Se rappelle-t-on que jadis les sunnites avaient refusé d’être représentés au gouvernement par MM. Tabbarah et Nsouli, exigeant au sommet d’Aramoun que la présidence du Conseil fût confiée à une figure politique de tout premier plan, en l’occurrence le regretté Rachid Karamé...».
Pour ce qui est de Taëf, ce dignitaire religieux estime que, malgré ses évidentes imperfections, lacunes ou failles «il faut d’abord parachever l’application de ce pacte avant de songer à le remplacer. La présence syrienne fait partie des clauses qui n’ont pas été exécutées. Il n’est pas admissible qu’une fois gain de cause obtenu pour ce qu’elle voulait elle-même, alors que les dispositions intéressant les autres fractions restent lettre morte ou sont tronquées, une partie déterminée prétende maintenant qu’il faut changer le contrat».
«Cela dit, conclut cette personnalité, il est exact qu’un des litiges principaux réside dans la présence syrienne, qui aurait dû s’effacer en septembre 92 au terme de Taëf. Il serait donc bon que, comme le suggère M. Joumblatt, les Libanais en discutent entre eux pour en débattre ensuite avec Damas, pour fixer le calendrier-programme aux termes duquel nos forces régulières propres prendraient l’ordre en charge dans le pays, redonnant à l’Etat figure de souveraineté et d’indépendance».

E.K.
Une vision claire quoiqu’un peu paradoxale: pour le leader de la montagne, M. Walid Joumblatt (dont les thèses sont accueillies à l’Est par des réactions où approbation et réserves se mêlent), il faut certes un dialogue interlibanais préparant un dialogue libano-syrien, mais surtout pas un dialogue syro-chrétien ou islamo-syrien car cela provoquerait des réactions de...