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Actualités - INTERVIEWS

Hassan Nasrallah : un disciple du christ ne peut que condamner l'injustice qu'incarne Israël "Rien ne permet de dire que les partisans d'une république islamique au Liban - s'ils existent - veulent chasser les chrétiens", ajoute le secrétaire général du hezbollah (photo)

Q: Le Vatican insiste sur le caractère pastoral de la visite du pape. Pensez-vous qu’une telle visite peut ne pas être politique?
R: En dépit des efforts déployés par les parties concernées pour donner à cette visite un caractère pastoral, le fait qu’elle ait lieu en cette période et dans une région aussi troublée ne peut qu’avoir des retombées politiques. D’autant que nul ne s’attend à ce que cette visite occulte les souffrances des Libanais.
Q: Pourquoi, dans ce cas, veut-on à tout prix lui donner un caractère pastoral? Est-ce par crainte des réactions de certaines parties?
R: Il faudrait poser cette question aux parties chargées de l’organisation de cette visite. Peut-être craignent-elles en effet que certains aspects politiques de la visite ne suscitent quelques susceptibilités, d’autant que l’on croit en général que les problèmes politiques sont les plus complexes. Ces parties souhaiteraient peut-être éviter que cette visite ne soit perçue comme étant dans l’intérêt d’une partie des Libanais contre les autres.
Q: Partagez-vous ces craintes?
R: En évoquant une visite de cette importance, nous espérons qu’elle pourra servir l’intérêt de tous les Libanais et non pas seulement celui des seuls chrétiens. Car, à nos yeux, il n’est plus permis de parler de désenchantement chez les chrétiens puisque ce sentiment est devenu commun à tous les Libanais. Il y a, au Liban, un problème général qui touche les Libanais et non une communauté. Je crois que, si la visite est bien organisée, elle peut être dans l’intérêt de tous les Libanais, consolider l’unité nationale et relever le moral des citoyens. Elle doit aussi être à la hauteur des défis qui attendent la région, celle-ci se trouvant actuellement dans une situation dangereuse. Même le secrétaire d’Etat américain, Madeleine Albright, parle d’effondrement du processus de paix et des accords d’Oslo, alors que tout le monde craint une explosion de violence dans la région. Or, nous savons quelle est en général la part du Liban dans ce genre d’explosion. Si le pape appuie la cause du Liban (qui revendique la libération de son territoire occupé par Israël), sa visite aura des répercussions politiques positives. Surtout qu’elle attirera forcément les regards sur notre pays.
Q: Vous n’avez donc pas une position de principe et vous attendez la visite proprement dite pour émettre un jugement?
R: Sur le plan des principes, nous l’avons accueillie favorablement. Le Liban, pays d’ouverture par excellence, est le terrain idéal pour ce genre de visites, surtout celles de grands responsables religieux. Mais nous attendons la visite elle-même et les discours qui la jalonneront pour émettre un jugement plus profond. Nous souhaitons d’ailleurs que les autres parties fassent comme nous.
Q: Ce souhait concerne-t-il en particulier cheikh Saïd Chaabane?
R: Il concerne tout le monde.
Q: A propos de cheikh Chaabane, ne pensez-vous pas que les critiques qu’il a émises ont pu lui être soufflées par certaines parties désireuses de donner un avertissement au pape?
R: Il faudrait peut-être préciser que les milieux chrétiens ont donné aux propos de cheikh Saïd Chaabane plus d’importance qu’ils n’en ont en réalité. Cet uléma a adopté ces positions dans des circonstances très particulières et très tendues, en rapport avec certains troubles sur la scène sunnite islamique. Ce qu’il a dit s’inscrit donc dans ce contexte, d’autant qu’il a, par la suite, fourni des précisions à ce sujet. A mon avis, ce dossier doit être clos et il faut éviter de le ressortir régulièrement pour éviter de susciter des dissensions confessionnelles.
Q: Il n’en demeure pas moins que l’annonce de la visite du pape a réveillé les craintes de certains musulmans, notamment au sujet d’une volonté de parties chrétiennes de rétablir en leur faveur l’équilibre perdu à leurs yeux depuis l’accord de Taëf. Qu’en pensez-vous?
R: Je l’ai dit: sur le plan des principes, nous n’avons pas de réserves ou d’inquiétudes au sujet de la visite du pape. Mais tout dépend de ce que dira le Saint-père au Liban. Quant aux diverses parties libanaises, chacune a ses propres calculs et ses opinions. Je sais par exemple que l’opposition installée à Paris est en réalité hostile à la visite, en dépit de ses déclarations de bienvenue. Car, à ses yeux, elle confère une certaine légitimité à la situation et au pouvoir actuels qu’elle-même rejette. D’autres parties peuvent croire que cette visite pourrait donner un nouveau souffle à la rue chrétienne aux dépens des musulmans... Personnellement, je pense qu’il faut que cette visite ait lieu, sans réserves ou préjugés. Que le pape dise ce qu’il veut et ce n’est qu’après cela que chaque partie pourra porter un jugement. Car, à mon avis, l’annulation de cette visite n’est pas dans l’intérêt du Liban.
Q: Ne craignez-vous pas que cette visite consacre l’occupation du Sud et de la Békaa Ouest?
R: Tout dépendra de ce que dira le pape. Mais je n’ai pas de craintes de ce genre.
Q: L’appel final du synode avait suscité des critiques de la part de certains pôles musulmans. Pensez-vous que l’exhortation apostolique en tiendra compte et, si elle ne le fait pas, quelle sera votre position?
R: Nous ne savons pas si l’exhortation apostolique tiendra ou non compte des remarques. Mais nous savons que certaines parties avaient transmis leurs réserves à travers des notes remises à la nonciature apostolique. Ces remarques sont donc parvenues au Vatican et elles ont été suivies de promesses. Attendons. Mais, de toute façon, s’il y a des remarques, je souhaite qu’elles soient formulées calmement et objectivement. Car ce thème doit être traité dans le cadre du débat et du dialogue entre les différentes parties, au lieu de servir à attiser les dissensions confessionnelles.
Q: Etes-vous de ceux qui ont fait des remarques à la suite de la publication de l’appel final?
R: Nous avions publié un communiqué dans lequel nous avions exposé nos remarques d’une manière objective et nous avions pris soin de dire que nous ne voulions absolument pas attiser les dissensions confessionnelles.
Q: Etes-vous en mesure d’imposer cette ligne de conduite à tous vos partisans?
R: Naturellement.
Q: Comment, dans ce cas, expliquez-vous les propos plus ou moins enflammés de cheikh Sobhi Toufayli?
R: Cheikh Sobhi Toufayli exprime ses propres opinions. Il est absolument libre de le faire.
Q: Est-il membre du Hezbollah?
R: Dans le sens général oui. Mais il n’a plus aucune responsabilité au sein de notre mouvement. Par contre, tous les responsables du parti se conforment aux directives de notre commandement.
Q: Le Vatican qui est aussi un Etat a récemment reconnu Israël et accueilli ses responsables. Cela ne vous amène-t-il pas à être plus réservé à l’égard de la visite du pape?
R: Cette reconnaissance a certes entraîné des remarques de notre part. Mais cela n’a rien à voir avec la visite du pape au Liban. On peut accueillir favorablement cette visite et avoir des réserves sur la politique du Vatican. Ce dernier est un Etat, mais, en profondeur, c’est un recours religieux très important pour les chrétiens. Son importance est d’ailleurs due au fait qu’il se présente comme le représentant du Christ et le dépositaire de son message sur terre. Ce que nous savons du Christ c’est ce que nous avons lu dans le Nouveau Testament. Et il y apparaît clairement que le Christ refuse l’injustice, le viol, le vol, l’assassinat, l’occupation par la force de la terre d’autrui et l’appropriation de ses biens. Celui qui représente le Christ doit donc être fidèle à ce message. Il ne peut dès lors se conformer à des équilibres régionaux ou internationaux, car il est au-dessus de ces considérations. Même s’il est seul, il doit prêcher en faveur du droit et de la justice et dénoncer l’injustice. En ce qui concerne Israël, cet Etat n’existait pas avant 1948. De nombreux juifs sont venus des quatre coins du monde, ont formé des gangs et se sont mis à attaquer les Palestiniens en Palestine. Ils ont perpétré des massacres, ont violé la terre et les biens et ont combattu tout l’environnement. Cet Etat a donc été créé sur la base de massacres, d’agressions et d’occupation par la force de la terre d’autrui. Aucun autre Etat au monde n’a le même parcours. Et nous sommes en droit d’attendre de toutes les autorités religieuses dans le monde, qu’il s’agisse de Najaf ou de Qom, de la Mosquée al-Azhar ou de celles d’al-Zeytoun, du Vatican... qu’elles reconnaissent le droit. Nous ne comprenons pas comment le message du Christ peut s’harmoniser avec l’établissement de relations diplomatiques avec un Etat comme celui d’Israël.

Le massacre
de Cana

Q: Le christianisme repose aussi sur le pardon?
R: Pourquoi le Christ n’a-t-il pas pardonné à ceux qui ont violé le temple et aux religieux juifs, ce qui les a poussés à comploter contre lui? Il y a certes un message de pardon dans le cadre des fautes personnelles. Mais je ne crois pas que le Christ puisse pardonner à des gangs qui tuent et pillent. Je ne crois pas que quelqu’un oserait dire que le Christ pardonne à Shimon Pérès le massacre de Cana.
Q: Le pape avait pourtant pardonné à celui qui avait tenté de l’assassiner...

R: Il s’agit d’une affaire personnelle.
Q: Mais le coupable n’a pas voulu tuer la personne du pape. Il voulait briser le symbole qu’il représente.
R: C’est toujours une affaire personnelle. Le pape peut pardonner à celui qui a voulu le tuer. Mais il ne peut absoudre celui qui a agressé le peuple du Liban ou celui de Palestine. Ces deux peuples peuvent le faire mais nul ne peut s’en charger à leur place. Je répète toutefois que cela n’a rien à voir avec la prochaine visite du pape.
Q: Le Saint-père a récemment déclaré que le Christ faisait partie du peuple d’Israël. Qu’en pensez-vous?
R: J’ai lu cette déclaration et je crois qu’il s’agit surtout de questions qui concernent l’Eglise. Nous n’avons pas l’intention d’ouvrir un débat sur l’Ancien et le Nouveau Testament et le lien entre eux et j’ignore les termes utilisés dans ce genre de discussion. Certes, du côté maternel, le Christ est le fils d’Abraham, d’Issac et de Jacob qui sont israélites. Mais dire cela aujourd’hui pourrait provoquer une confusion chez les chrétiens dans le monde qui croiront qu’il s’agit du même Israël qui agresse les populations et viole les territoires. De toute façon, les relations entre les chrétiens et les juifs sont une question religieuse. Mais cela ne signifie pas, si certains juifs attaquent les chrétiens et les musulmans, qu’il faut leur pardonner, s’incliner devant eux et leur céder nos biens pour éviter d’être accusés d’antisémitisme.
Q: Le Vatican prône la transformation de Jérusalem en ville ouverte, sous tutelle internationale. Qu’en pensez-vous?
R: Cette proposition est inacceptable car Jérusalem est la capitale de la Palestine. Et, au moins sur le plan du droit, la Palestine appartient aux Palestiniens. Il faut donc permettre l’émergence d’un Etat palestinien. Naturellement, je parle en général, car je n’appelle nullement à la création d’un Etat palestinien sous la présidence de Yasser Arafat. Si Jérusalem est la capitale de la Palestine, elle doit être sous la souveraineté de cet Etat, qui lui, doit garantir la liberté de culte.
Q: Comptez-vous dire cela au pape?
R: Nous sommes en train de préparer un document qui sera présenté à la nonciature apostolique avant l’arrivée du pape. Nous y exprimerons clairement notre vision des choses et nos convictions.

La République
islamique

Q: Selon les premiers résultats du synode, le pape compte tenir aux chrétiens un langage modéré, insistant sur l’importance de leur présence dans la région et de la nécessité de bien vivre avec leur environnement. Ce genre de propos ne dérange-t-il pas votre projet final d’instaurer une république islamique au Liban et ne préféreriez-vous pas qu’il tienne un langage extrémiste afin de justifier vos plans?
R: Rien ne permet de dire que le partisan de la création d’une république islamique au Liban – s’il existe – sous prétexte qu’elle résoudrait les problèmes de ce pays, veut chasser les chrétiens. C’est même absolument faux. L’islam et les mouvements islamiques ne sont pas responsables des conflits qui ont éclaté au Liban. Ceux-ci ont éclaté bien avant l’émergence de ces mouvements au Liban. Ce qui se passe dans ce pays n’a rien à voir avec le projet d’établissement d’un Etat islamique. Les conflits confessionnels existent depuis longtemps au Liban, avant l’éveil des mouvements islamiques. A notre avis, l’intérêt du Liban exige qu’il n’y ait pas de discours provocateur. Au contraire, il faut utiliser un langage qui rende confiance aux Libanais et les incite à rester dans leur pays, quel que soit leur sentiment d’abandon ou de frustration. Je dois dire à ce sujet que les habitants du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest sont restés sur leurs terres en dépit des terribles conditions de survie là-bas. A notre avis, les Libanais doivent rester dans leur pays et ils ne trouveront nulle part ailleurs dans ce monde un abri et une terre qui leur conviendraient aussi bien.
Q: Quelle que soit leur appartenance religieuse?
R: Certainement. Nous ne prônons pas seulement un langage interne modéré. Nous veillons aussi, dans nos propos, à ne blesser personne.
Q: Est-ce réellement ce que vous pensez ou n’est-ce qu’une tactique politique?
R: Nous ne sommes pas un mouvement secret qui tient un double langage. Le Coran incarne notre foi et il est à la portée de tout le monde. Or, le Coran nous interdit de combattre ceux qui ne combattent pas, quelles que soient nos divergences religieuses avec eux. Par contre, il nous impose de combattre ceux qui nous agressent. S’il y avait des juifs au Liban qui ne nous agressaient pas, nous aurions établi de bonnes relations avec eux, indépendamment du fait que leurs coreligionnaires occupent la Palestine. Les questions religieuses ne se résolvent pas par la lutte, mais par le dialogue. Nul ne peut imposer par la force ses croyances.
Q: En somme, le but du dialogue islamo-chrétien est soit de convertir les chrétiens à l’islam soit l’inverse?
R: Nous cherchons surtout des points communs. Mais il n’y a pas de condition préalable consistant à chercher à convertir l’autre. D’autre part, le dialogue élimine le fanatisme, place le débat sur un plan spirituel et permet de découvrir de nombreux points communs aux chrétiens et aux musulmans. Déjà, il en existe beaucoup.

Propos recueillis par
Scarlett HADDAD
Q: Le Vatican insiste sur le caractère pastoral de la visite du pape. Pensez-vous qu’une telle visite peut ne pas être politique?R: En dépit des efforts déployés par les parties concernées pour donner à cette visite un caractère pastoral, le fait qu’elle ait lieu en cette période et dans une région aussi troublée ne peut qu’avoir des retombées politiques. D’autant...