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Actualités - INTERVIEWS

Rahi : le Vatican ne peut ignorer le rôle de Damas pour régler la crise libanaise "Je ne crois pas que la visite de Taurran à Damas ait été liée à la teneur de l'exhortation apostolique", déclare l'évêque maronite de Jbeil

Q. La visite du pape avait été reportée en 1994 en raison, notamment, de réserves exprimées par certains pôles chrétiens. Ces réserves ont-elles disparu aujourd’hui pour que la date de la visite ait été enfin fixée?
R. «Les raisons du report de la visite du pape en 1994 ont été expliquées dans un communiqué publié à l’époque par le service de presse du Vatican. Elles sont au nombre de trois: la tension interne sur la scène libanaise, les conditions de sécurité précaires et le retard dans l’élaboration des lineaments du synode.
«Aussi, je ne crois pas que le report de la visite il y a trois ans ait été en rapport avec des réserves exprimées par certains pôles chrétiens. Et le fait que la date ait été fixée ne signifie pas que ces réserves n’existent plus. Le Saint-père avait annoncé sa décision de venir au Liban le 14 décembre 1995 lors du déjeuner de clôture de l’assemblée du synode. Il avait dit: «Aujourd’hui, l’étape des travaux du synode est terminée. Il reste à préparer l’étape de la célébration au Liban, qui aura lieu je l’espère le plus rapidement possible». La visite pontificale est donc liée à la clôture officielle au Liban du synode à travers l’annonce de l’exhortation apostolique contenant les résultats de ce synode qui s’est étalé du 12 juin 1991 au 14 novembre 1995.
«Je pense que cette visite, bien qu’elle intervienne dans le cadre du synode, est la réalisation d’un vieux souhait que le Saint-père avait exprimé le 28 juin 1982 lorsqu’il avait dit dans un discours officiel: «J’annonce ici officiellement mon intention de me rendre dans la terre du Liban qui souffre pour servir la paix et pour prier afin que les problèmes qui déchirent la région trouvent une solution».
Q: Ces mêmes pôles craignaient et craignent toujours que la visite pontificale consacre le «fait accompli» au Liban. Partagez-vous cette opinion et qu’est-ce qui a changé aujourd’hui qui pourrait faire que cette visite ne soit plus perçue comme telle?
R: «Je ne partage pas l’avis de ceux qui disent que la venue de Sa Sainteté risque de consacrer le fait accompli. Et les pôles chrétiens qui pensent cela ne veulent pas obtenir l’annulation de la visite mais cherchent à attirer l’attention du pape sur la situation anormale qui paralyse la vie publique au Liban et qui est due aux facteurs suivants: l’occupation israélienne et la présence de forces armées étrangères qui ont des répercussions négatives sur la vie politique, administrative et économique ainsi que la souveraineté réduite dans le processus de prise de décision politique. Les institutions constitutionnelles représentant les pouvoirs législatif et exécutif n’ont qu’un rôle fictif et mettent en œuvre des décisions prises à l’étranger; l’indépendance est donc limitée en raison de tous ces facteurs. Ces pôles chrétiens veulent aussi attirer l’attention du pape sur la crise politique entre les différents pouvoirs constitutionnels et à l’intérieur même de chaque institution, dont l’effet est de réduire à néant les possibilités de changement des personnes pour tenter de résoudre les problèmes, ce qui aggrave la crise de confiance. Cela a élargi le fossé entre le peuple et l’Etat. Il y a aussi les difficultés économiques, la pauvreté qui touche le tiers de la population, la disparition presque totale de la classe moyenne et les étrangers travaillant au Liban qui représentent le tiers de la population. Sans parler des restrictions qui limitent les libertés publiques, la démocratie et l’esprit d’entente, du confessionnalisme et du sectarisme dictant la conduite politique, le recrutement des fonctionnaires et le travail administratif. C’est à croire qu’il y a (dans le pays) un vainqueur et un vaincu. Il ne faut pas oublier la question de la politisation du pouvoir judiciaire, dernier recours pour protéger la justice et la paix civile. En fait, tout est politisé.
«Ceux qui parlent de consécration du fait accompli craignent que la visite du Saint-père soit interprétée comme un geste d’appui et un certificat de bonne conduite délivré aux responsables. Je le répète, je ne partage pas leur avis, car le pape connaît parfaitement la situation au Liban et parce qu’à sa façon ses paroles seront conformes à la réalité.»

Le retrait syrien et la fin
de l’occupation israélienne

Q: Certaines sources affirment que la visite de Mgr Jean-Louis Taurran (ministre des Affaires étrangères du Vatican) à Damas en janvier avait pour objectif d’informer les autorités syriennes des grandes lignes de la visite du pape au Liban. Pensez-vous que les entretiens qu’il a eus en Syrie auront une influence sur la teneur de l’exhortation apostolique, concernant notamment le retrait des troupes syriennes?
R: «Je ne sais pas dans quel cadre est intervenue la visite de Mgr Taurran à Damas et je ne connais pas la teneur de ses entretiens avec les responsables syriens. Je n’exclus pas qu’il ait pu les informer des objectifs, de l’importance et de la portée de la visite du Saint-père. Cela fait partie de l’action diplomatique et internationale entreprise par le Vatican en tant qu’Etat. Et vue sous cet angle, j’estime que la visite de Mgr Taurran à Damas était bien placée. Le Vatican ne peut pas ignorer le rôle essentiel des responsables syriens dans toute démarche visant à résoudre la crise libanaise.
«Je ne crois pas cependant que la visite de Mgr Taurran ait été liée à la teneur de l’exhortation apostolique, notamment pour ce qui a trait au retrait de l’armée syrienne, retrait qui constitue pour le Vatican un postulat admis par les Syriens eux-mêmes. Mais la question est de fixer la date à laquelle ce retrait devrait intervenir. J’ignore sous quelle forme cette question est abordée dans l’exhortation apostolique. Toutefois, je sais que le retrait syrien et la fin de l’occupation israélienne font partie des recommandations votées par les pères du synode en présence du Saint-père».
Q: On dit que la visite du pape est destinée à «tous les Libanais». Mais, dans les faits, même les grecs-orthodoxes n’ont pas été associés aux préparatifs. Pouvez-vous nous dire pourquoi?
R: «La visite du Saint-père est effectivement destinée à tous les Libanais, mais cela ne signifie pas que toutes les fractions libanaises, y compris les grecs-orthodoxes, doivent participer aux préparatifs. Ces derniers, comme toutes les composantes libanaises, ont été informés des détails de la visite par les responsables ecclésiastiques, et plus particulièrement par la nonciature. Ils ont été invités à participer à l’accueil et à toutes les cérémonies et manifestations (prévues dans le programme de la visite)».
Q: Dans une interview accordée à «Al-Safir» en 1991, le nonce apostolique, Mgr Pablo Puente, déclare, dans ce qui semble être une critique de l’attitude des maronites, que le Vatican encourage les chrétiens à adopter une politique qui soit en harmonie avec leur environnement arabe et musulman et appelle à une unité spirituelle et non pas politique des rangs chrétiens. Que pensez-vous de ces propos?
R: «Je n’ai pas connaissance de l’interview que vous mentionnez. Mais je vais exprimer mon avis au sujet des trois parties de votre question. La position de certains maronites ne reflète pas, dans l’absolu, le comportement de l’ensemble de la communauté maronite. Par ailleurs, les chrétiens du Liban sont totalement d’accord avec le Vatican sur la nécessité d’avoir une politique qui soit en harmonie avec leur environnement arabe et musulman. Mais ils ne sont pas d’accord sur le contenu de cette politique et sur les méthodes qu’ils doivent utiliser pour la mettre en œuvre. Enfin, l’unité spirituelle et l’unité politique sont indissociables. Le but des chrétiens n’est pas d’édifier un régime politique chrétien, mais d’imprégner le système politique de valeurs chrétiennes. C’est-à-dire que le régime politique doit être réellement basé sur la liberté, la démocratie, la justice, l’égalité totale des citoyens dans leurs droits et leurs devoirs, le pluralisme religieux et culturel, la dignité de la personne humaine, et le droit à l’autodétermination (...)».

La présence chrétienne
en Orient

Q: Depuis plusieurs années, le Saint-Siège encourage les chrétiens à adopter une attitude «modérée» au Liban, estimant que leur présence physique en Orient est plus importante que leur influence politique. Des voix s’élèvent au sein de l’Eglise maronite pour demander une plus grande autonomie vis-à-vis du Vatican. Les deux faits sont-ils liés selon vous?
R:«La présence des chrétiens en Orient n’a pas de sens si elle n’est pas efficace sur tous les plans: apostolique, culturel, politique et national (...) Sur la présence des chrétiens, les patriarches catholiques d’Orient déclarent: «La présence chrétienne en Orient est un témoignage et un message».
«Concernant les «voix» dans l’Eglise maronite demandant une plus grande indépendance vis-à-vis du Vatican, il faut d’abord expliquer ce que signifie le terme une «plus grande indépendance». Les relations entre les Eglises locales patriarcales, dont fait partie l’Eglise maronite, et le Saint-Siège, sont gérées par des lois ecclésiastiques (...). L’Eglise maronite et les autres Eglises patriarcales jouissent donc d’une indépendance conformément aux lois et leurs relations avec le Saint-Siège s’inscrivent dans les limites de la loi. Et lorsque le Vatican intervient dans les affaires internes des patriarcats, des paroisses et des ordres monastiques, il le fait dans le cadre des responsabilités que lui confèrent les lois. S’il apparaît que ces interventions sont plus nombreuses que prévus c’est que cela est nécessaire. Toutefois, il est évident que, parfois, ces pouvoirs peuvent être utilisés d’une façon abusive. Enfin, je peux dire d’une manière catégorique qu’il n’y a aucun lien (entre les conseils de modération et les appels à plus d’indépendance)».

Propos recueillis par
Paul KHALIFEH
Q. La visite du pape avait été reportée en 1994 en raison, notamment, de réserves exprimées par certains pôles chrétiens. Ces réserves ont-elles disparu aujourd’hui pour que la date de la visite ait été enfin fixée?R. «Les raisons du report de la visite du pape en 1994 ont été expliquées dans un communiqué publié à l’époque par le service de presse du Vatican....