La femme qu’il faut à la place qu’il faut, alors qu’à l’origine elle en était à mille lieues. C’est Katharine Graham qui a fait d’une affaire de famille, le «Washington Post», l’un des organes de presse les plus influents du monde. Aujourd’hui à 80 ans, elle reste l’âme du journal qui la consulte sur tout bien qu’elle ne le dirige plus depuis trois ans. Elle vient de publier une autobiographie intitulée «Personal History» (Une histoire personnelle). Un best-seller qui raconte les quatre vies qu’elle a vécues (fille d’un magnat de la presse, épouse d’un homme fascinant, influent et maladivement dépressif, veuve remontant la pente et illustre femme de carrière).
Avec beaucoup de sincérité, de lucidité et de dignité, Katharine Graham révèle les détails d’une existence exceptionnelle. Les circonstances y sont pour quelque chose, mais sa force tranquille y est pour beaucoup. D’autant qu’elle n’avait jamais caressé de rêves de grandeur, ni joué des coudes pour arriver. Au contraire, elle semblait être faite pour l’ombre. Avec une mère (d’éducation luthérienne) distante avec ses enfants et absorbée par la politique, le travail social et les prestigieuses relations littéraires, et, plus tard, un mari catholique, charismatique que la capitale fédérale s’arrachait.
Son père Eugène Meyer (juif), était plus attentif à ses cinq enfants et particulièrement à Kay, pour laquelle il avait des ambitions quoiqu’étant un homme d’affaires, millionnaire, absorbé par son travail. En 1933, il rachète le «Washington Post», alors en mauvaise posture. Les enfants placés sous la tutelle de gouvernantes et d’institutrices qualifiées reçurent une excellente éducation. Dans cette famille il y avait trois sujets tabous: l’argent, le sexe et la religion.
Au moment de voler de ses propres ailes, Katharine, toujours insécurisée par sa mère et pensant que, parce qu’elle était petite de taille et pas très jolie, elle ne trouverait jamais un mari, se lance dans le journalisme. Mais loin de l’entreprise familiale, plus précisément au «San Fransisco News». Retour à Washington, en 1939, elle fait la connaissance du brillant Phil Graham, alors greffier à la Cour suprême. Originaire d’une famille de Floride sans grandes ressources, il était arrivé à faire des études de droit à l’université de Harvard. Elle tombe amoureuse de lui, et lui se dépêche de la demander en mariage et de l’épouser quelques semaines après leur première rencontre.
Les Graham devinrent, de suite, la coqueluche du Tout-Washington et, après s’être vu confier par son beau-père, Eugène Meyer, la direction du «Washington Post», Phil Graham a déployé ses ailes médiatiques: créant la revue «Newsweek» et investissant dans des chaînes de télévision. Cette expansion en fit un décideur de la vie politique washingtonnienne. Son épouse, dépassée par l’écrasante personnalité de son mari, s’est contentée d’être une compagne docile.
Watergate
A partir de 1957, il commence à faire dépression nerveuse sur dépression. Elle le soigne et reste à ses côtés, même en apprenant un jour qu’il a une maîtresse. Mais lorsqu’il lui demande de divorcer et de racheter sa part au journal, elle acquiesce pour la séparation mais refuse net la seconde clause. Elle est encore avec lui quand, quelques semaines plus tard, il se tire une balle dans la tête.
Un mois après cette mort tragique qui la marquera, elle accepte sa nomination comme présidente du «Washington Post». Comme une écolière studieuse, elle s’initie à toutes les étapes de la fabrication du journal, après avoir engagé un directeur chevronné, Ben Bradlee. Avec elle le journal atteint son plus fort tirage et elle prend le risque de publier «Les Papiers du Pentagone», un «scoop» que le «New York Times» avait préféré laisser passer à cause des risques qu’il comportait. Katharine Graham s’en est très bien sortie, comme plus tard avec sa couverture du scandale de Watergate qui vaudra au journal le Prix Pulitzer.
Celle qui n’était que l’épouse de Phil Graham était devenue la Grande Katharine de la presse.
Sa biographie, elle l’a rédigée elle-même (tout en admettant qu’elle n’est pas une professionnelle de l’écriture) pour qu’elle soit ce qu’annonce le titre, «Une Histoire Personnelle». Cet ouvrage est une impressionnante galerie de portraits: des présidents américains aux grands reporters, en passant par le Gotha international, le monde des arts et des lettres. Elle évoque tout cela, ainsi que les différentes phases de sa vie, avec acuité et humour.
Mais l’on reste marqué, tout au long des 627 pages du livre, par son patient apprentissage d’un métier dont elle a de suite saisi les périls et les moindres mécanismes.
Son fils, Donald, qui la remplace depuis trois ans à la tête du «Washington Post», a suivi son exemple. Il a commencé par le bas de l’échelle, arrivant au travail à bicyclette. Aujourd’hui, il est au haut de la pyramide et prend tous les matins le métro pour se rendre de sa maison, en banlieue, au bureau, en plein centre de Washington.
I.M.
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