Les journaux gouvernementaux syriens et les pisse-
copies qui y sévissent ont ceci de fascinant qu'ils semblent être les derniers détenteurs de cet antidote miracle qui les laisse, tranquilles, immunisés, à l'abri de toute mort subite par excès de ridicule. Et ce n'est pas le CPL (et ses alliés) qui s'en plaindraient, eux qui ont trouvé dans ces canards damascènes un porte-voix surpuissant, un véhicule inopiné à même de répercuter en les hypertrophiant le moindre bruit, la plus petite fureur du Tapioca-Alcazar de Rabieh contre ce qui finalement, même pour le plus convaincu des quatorze-marsistes, devient une évidence, constitue un progrès civique, l'expression éminemment démocratique d'un ni... ni... auquel beaucoup (trop ?) de Libanais, silencieusement ou en le criant sur tous les toits, aspirent : un bloc centriste. Mort-né s'il faut croire les sbires-écrivaillons de la famille Assad.
L'idée de cette troisième voix/voie a été lancée par Michel Sleiman. Au premier abord, comme à la dixième lecture, ce geste était on ne peut plus légitime tellement le locataire de Baabda semble déterminé à exercer, dans son esprit mais aussi dans sa lettre, en théorie et en pratique, son rôle d'arbitre, de garant de la Loi fondamentale et, au passage, tant qu'à faire, de cette utopie à laquelle, comme aux chaînes hologrammées d'un fantôme hyperspeedé et ricanant, tout le monde ou presque veut s'accrocher : l'unité nationale. Que l'homme veuille avoir les moyens de son ambition, le seul outil institutionnel à sa disposition à même de lui permettre d'être un peu autre chose qu'une Élisabeth II en cravate, c'est-à-dire un groupe parlementaire : c'est certes légitime, mais c'est surtout sensé. Intelligent. Et conséquent. C'est un minimum.
L'idée à peine lancée, et avant même que le 14 Mars, par calcul tactique ou par honnêteté intellectuelle, n'y applaudisse, ne voilà-t-il pas le généralissime, refusant de perdre la moindre seconde, et visiblement convaincu, lui aussi, des vertus du ridicule, qui l'assassine en deux temps, trois mouvements, lançant ses lieutenants et autres gendres à l'attaque, plus ou moins voilée, plus ou moins républicaine, de la première présidence, de ce chef d'État usurpateur et de ses brillantes idées. Ne les voilà-t-il pas tous, madones violées, Castafiore spoliées, criant au hold-up politique du siècle, accusant pratiquement l'auteur de cette hérésie d'être à la solde de la clique hariro-joumblatto-geageaiste, de l'Union européenne, des États-Unis pré et post-Obama, des pétrodollars sunnites, etc.
Ce qui reste très drôle, dans tous les cas extrêmement révélateur du rachitisme des thèses du camp du 8 Mars, c'est que les cris d'orfraie des cadres CPL et de leurs alliés (l'étrange binôme Sleiman Frangié-Talal Arslane en tête) ont à peine diminué d'intensité quand leur argument principal, à savoir que ce bloc centriste ne serait constitué que de députés chrétiens, qu'il est donc uniquement dirigé contre le chef du Bloc parlementaire du changement et de la réforme (cette blague...), a été prestement et fondamentalement dynamité par un homme que l'on peut soupçonner de tout sauf de collusion avec le 14 Mars - un homme, ceci dit, dont l'œuvre au Sérail pendant quelques tout petits mois reste encore fortement sous-estimée : Nagib Mikati, qui s'est clairement déclaré en faveur de ce bloc du milieu. Sans oublier, naturellement, quelques gros calibres chiites, Ibrahim Chamseddine et Ahmad el-Assaad, qui ont l'immense (et, là aussi, sous-estimé) courage de s'opposer, pacifiquement et démocratiquement, à un Hezbollah qui serait bien inspiré, au passage, d'élever publiquement la voix et d'interdire absolument tout acte de vandalisme contre les biens privés des partisans de l'Option libanaise d'el-Assaad - entre autres.
Quelque chose est encore plus drôle - parce que plus ironique, plus cruel... Les contempteurs du bloc centriste, ceux pour lesquels le concept même d'hommes (et de femmes) du président est une grotesque mascarade, oublient à une vitesse sidérante, en maîtres absolus de la mauvaise foi qu'ils sont, que leur Lider Maximo aurait fait exactement la même chose s'il avait été, par quelque sortilège, légalement cette fois, catapulté au palais de Baabda. Ironie et cruauté parce que le chef du CPL a lui-même, et avec un art consommé, scié la branche, sublime, sur laquelle, en tout pragmatisme, il aurait pu non seulement s'asseoir, mais trôner. S'il avait eu le bon sens de ne pas aller s'enferrer dans cette fumisterie absolue qu'est le document de Mar Mikhaïl dont on fête actuellement l'anniversaire ; s'il avait manifesté un minimum de respect à l'égard de son passé, de ce qu'il a fait, de ses idées et de ses partisans, c'est-à-dire s'il avait évité cet insensé retournement (pas de veste ni de pantalon) de peau et cet alignement époustouflant sur l'axe syro-iranien (sa citation de Jacques Dutronc restera d'ailleurs comme un moment de pure anthologie) ; s'il avait su être l'arbitre entre 14 et 8 Mars ; s'il avait eu l'audace d'un Michel Sleiman, Michel Aoun aurait non seulement été, en toute vraisemblance, à la place de ce dernier : il aurait eu, aussi, l'usufruit d'un bloc centriste qui aurait fait, à chaque fois, pencher la balance comme il l'entendrait.
Malheureusement pour les uns, heureusement pour les autres, l'histoire, cette gueuse, ne repasse effectivement jamais le même plat.