« El-Qaëda en tant que tel a décidé de se concentrer sur l'Afghanistan aux dépens de l'Irak », estime David Claridge, directeur du cabinet Janusian Security Risk Management, au lendemain des élections régionales du 31 janvier. « Les jihadistes ne bénéficieront plus des avantages d'antan. El-Qaëda ne disparaîtra pas de la scène, mais deviendra un mouvement terroriste périphérique, comme c'est le cas dans de nombreux endroits », ajoute cet expert.
Alors que le niveau des violences est tombé dans la majeure partie de l'Irak à un niveau jamais vu depuis l'intervention anglo-américaine de 2003 contre Saddam Hussein, la province de Ninive ainsi que d'autres régions où la minorité sunnite avait boycotté les dernières élections de 2005 demeurent volatiles. La désignation des Assemblées provinciales a profondément changé la carte politique de l'Irak, où les chiites, persécutés sous le régime du « raïs » de Bagdad, sont majoritaires. El-Qaëda avait fait de Mossoul, capitale de la province de Ninive, son dernier grand bastion urbain après avoir été chassé de Bagdad et de la province occidentale d'al-Anbar par les chefs des tribus sunnites soutenus par les Américains.
L'amélioration de la sécurité a été difficile à réaliser à Ninive, une région mosaïque où coexistent difficilement Arabes, Kurdes et Turkmènes. À Mossoul, la population redoute toujours les voitures piégées et se méfie de tout ce qui roule. La police craint les tireurs embusqués et la population a trop peur des commandos jihadistes qui rôdent. « Nous voulons par-dessus tout nous sentir en sécurité », insiste Mohammad Tayyip, un maçon à la retraite âgé de 73 ans, en tirant sur une cigarette en face du dôme vert d'une mosquée. « Donnez-nous la sécurité, et le reste suivra », dit-il.
Rééquilibrage
L'an dernier, el-Qaëda avait été affaibli, mais pas écrasé, par deux grandes offensives des armées irakienne et américaine à Ninive. Et pourtant, tous les attentats commis à Mossoul ne sont pas l'œuvre d'el-Qaëda, qui est également présent dans la province de Diyala. L'état-major américain traque à Mossoul pas moins de 13 groupes insurgés, dont beaucoup sont laïcs, essentiellement sunnites et nationalistes - vestiges du parti Baas de Saddam Hussein.
Les sunnites avaient boudé les urnes en 2005, obtenant seulement 10 des 40 sièges de l'Assemblée de Ninive, alors qu'ils représentent 60 % de la population. Les Kurdes (25 % de la population) s'étaient adjugé 31 sièges. Au scrutin du 31 janvier, le bloc sunnite al-Habda, qui a courtisé de nombreux anciens baassistes de Ninive, a remporté 48,4 % des voix. La principale coalition kurde en a obtenu 25,5 %. Ces résultats rééquilibrent les deux principales communautés ethniques, et si, comme beaucoup le soupçonnent, d'anciens membres du Baas sont au cœur de la rébellion à Mossoul, ce rééquilibrage au sein de l'Assemblée provinciale pourrait les convaincre à abandonner la lutte armée.
La soumission éventuelle des anciens baassistes de Ninive pourrait être de mauvais augure pour el-Qaëda, dont la présence à Mossoul ne servait les intérêts des baassistes que du moment qu'ils recherchaient le chaos. Les anciens partisans de Saddam Hussein sont en effet très hostiles à l'islamisme très strict prôné par el-Qaëda. « Les baassistes nous disent aujourd'hui : Mossoul est une cité cosmopolite et sophistiquée, qui ne veut pas de l'islamisme et qui se retournera contre ses tenants », explique un haut responsable américain dans la ville.
Fait aggravant, el-Qaëda compte aujourd'hui très peu d'endroits en Irak où il pourrait se réfugier. « L'Irak semble disposer d'un gouvernement aujourd'hui. L'époque d'un pays sans État est désormais révolue », souligne Tim Ripley, analyste militaire.
Tim Cocks (Reuters)