
D.R.
Dictionnaire amoureux de Pouchkine d’André Markowicz, Plon, 2025, 592 p.
La collection « Dictionnaire amoureux » éditée chez Plon et dirigée par Gregory Berthier-Saudrais est un puits sans fond de réjouissances. Malgré la centaine de titres présents au catalogue, la formule qui consiste à donner libre cours à un auteur pour témoigner de sa passion ne s’est pas tarie. Au contraire, on en redemande. Le premier dictionnaire consacré à l’Italie fut rédigé par Dominique Fernandez. Il lança la collection et son « dico amoureux » s’imposa comme un classique. Le Dictionnaire amoureux du vin confié à Bernard Pivot fut et reste un énorme best-seller. Le Dictionnaire amoureux du rock d’Antoine de Caunes possède une énergie juvénile qui fait chaud au cœur ; sans compter le Dictionnaire amoureux de la Grèce par l’éminent helléniste Jacques Lacarrière qui est d’une érudition joviale à couper le souffle. Quant au Dictionnaire amoureux du Liban par Alexandre Najjar, il est gravé dans les cœurs.
Quelle magnifique idée d’avoir proposé ce Dictionnaire amoureux de Pouchkine à André Markowicz. Du reste, eût-il pu en être autrement ? Pour ceux qui ne le connaissent pas, André Markowicz est poète et éditeur. Il est surtout un traducteur mondialement reconnu. Dans les années 90, il convainc Hubert Nyssen, patron et fondateur d’Actes Sud, de faire retraduire tout Dostoïevski. Tâche immense qu’il accomplit avec une maestria hors norme. Puis, viendront entre autres traductions les livres de Lermontov, de Gogol, de Pasternak, et bien sûr de Pouchkine.
Mais Pouchkine, c’est une autre histoire. Avec Pouchkine, nous ne sommes pas face à un auteur mais face à un monument, comme le souligne Markowicz en introduction de son texte : « Pouchkine est le plus connu parce que toute personne dont le russe est la langue maternelle le connaît – connaît son nom – avant de savoir lire et, d’une façon ou d’une autre, apprend à lire en le lisant. » Voilà ce que pointe en majesté cet opus consacré à Pouchkine : si l’âme russe et la littérature sont à ce point mêlées, entremêlées, inextricablement liées, c’est par la grâce d’un auteur qui fut à la fois poète, dramaturge et romancier, un homme à l’énergie débordante et au talent considérable. « Pouchkine appartient au fonds commun de tous les Russes – il est, si je puis dire, le lieu commun de la Russie. »
Encore aujourd’hui et sûrement pour longtemps, les petits Russes apprennent des strophes entières d’Eugène Onéguine par lequel Markowicz raconte avoir été bercé dès ses trois ans ! À dix ans, il le connaissait par cœur. Et qu’est-ce qu’Onéguine ? C’est l’histoire d’un amour impossible. Et cet homme, c’est vous, c’est moi : « la nouveauté radicale du roman de Pouchkine est qu’Onéguine est, justement, n’importe qui. C’est ainsi qu’il est présenté au premier chapitre, comme un ami du lecteur censé l’avoir croisé à Pétersbourg, et, à vrai dire, ce n’est pas Onéguine qui est comme le lecteur, c’est le lecteur qui est comme lui. »
Chaque entrée de ce dictionnaire vous fera pénétrer dans l’intimité de Pouchkine dont on apprend qu’il avait les ongles longs, jetait sa canne en l’air quand il était content, était addict au champagne français et tombait fort souvent amoureux. Ce qui lui fut fatal car il mourut en duel à 37 ans. La vie de Pouchkine, la réception de son œuvre, toutes les conditions d’éclosion de son talent, mais encore une analyse de son style (où l’on apprendra ce qu’est le pentamètre iambique blanc), un traité de traduction, se découvrent au gré des entrées de ce dictionnaire. Chacune est passionnante. À lire l’entrée « Saint-Pétersbourg », on comprendra à la fois pourquoi Pouchkine est à l’origine de toute la littérature russe moderne mais aussi pourquoi, pour Markowicz, cette ville-là est l’épicentre de la Russie : Saint-Pétersbourg est la ville de Pierre le Grand autant que de la Révolution (elle deviendra Leningrad), la ville de la poésie autant que de l’Histoire. « Cette sensation étrange que l’air que je respirais avait une langue – une langue qui n’était pas même une langue de mots que je pouvais redire, mais ça, le fait que j’y sentais les rythmes des vers de Pouchkine. Jamais ailleurs je n’ai senti à ce point-là le lien entre un lieu et la poésie. »
Comme un cadeau supplémentaire à cette belle réussite, sont reproduits au fil du texte des dessins de la main de Pouchkine lui-même. La fermeté de son trait, la vivacité de son coup d’œil, nous font pénétrer d’autant mieux dans l’œuvre de l’artiste. Les Français ont Hugo, les Anglais Shakespeare, les Russes ont Pouchkine dont la popularité, quels que soient les régimes en place, est indétrônable.