Critiques littéraires

L’affaire des inédits retrouvés de Céline


L’affaire des inédits retrouvés de Céline

D.R.

Le 17 juin 1944, une dizaine de jours après le débarquement allié en Normandie, Louis-Ferdinand Céline, redoutant des représailles en raison de ses prises de position pendant l’Occupation, fuit précipitamment la France avec son épouse Lucette, abandonnant une masse considérable de manuscrits dans son appartement de Montmartre – des manuscrits qu’il ne put jamais récupérer et dont il ne cessa de déplorer le vol. En 2019, près de soixante ans après sa mort, ces documents que l’on croyait irrémédiablement perdus réapparaissent comme par miracle. La résurgence de textes d’une telle importance, aussi longtemps après la disparition d’un auteur, est peut-être sans précédent. Il s’agit en effet de la découverte d’un véritable trésor qui aboutira à la publication, par les Éditions Gallimard, de Guerre, Londres et La Volonté du roi Krogold.

Véronique Chovin, l’une des deux ayants droit de l’écrivain, retrace cette affaire aussi improbable que romanesque dans Céline en héritage. Son histoire avec Céline, qu’elle raconte à la troisième personne, commence en 1970, une dizaine d’années après la disparition de l’écrivain, lorsqu’elle se rend, à l’âge de dix-sept ans, à Meudon pour suivre les cours de danse de Lucette Destouches, sa veuve. Véronique était déjà fascinée par l’auteur du Voyage au bout de la nuit, et « elle n’oubliera jamais cette première visite. L’impression irréelle d’avancer dans un rêve, dans un décor de conte… Après un an elle était partie en sachant intuitivement qu’elle reviendrait. »

Ce qu’elle fait en 1989. Et, de cette date jusqu’à la mort de Lucette en 2019, à l’âge de cent sept ans, une amitié intense et inébranlable a lié les deux femmes. L’ouvrage de Chovin est à la fois un éloge de cette amitié et un hommage poignant à celle que son mari appelait le « lutin de gaîté », cette femme qui a su conserver, malgré sa maladie et le poids des ans, sa joie de vivre intacte et un amour indéfectible pour Céline – celui-là même qui lui avait écrit, en 1947, depuis sa prison de Copenhague : « Je t’ai choisie pour recueillir mon âme après ma mort. »

Vers la fin des années 90, Lucette commence à répéter à Véronique : « Après ma mort je veux que ce soit toi qui avec François [l’avocat et écrivain François Gibault] t’occupes des affaires de Céline… Un jour tu verras, ce sera toi, tu tiendras entre tes mains toute la suite de l’histoire, celle de Céline et la mienne. Avec François, tu veilleras sur Céline et sa postérité. » Véronique accepte, tout en se disant qu’il ne s’agit là que d’une formalité, et qu’elle n’aura aucun rôle à jouer dans la postérité de Céline.

Jusqu’à ce jour du 19 juillet 2021, où elle se retrouve avec François dans « un grand bâtiment gris et anonyme », face à un mètre cinquante de documents étalés sur une grande table et sous le regard de deux policiers : six mille feuillets inédits de Céline, ceux-là mêmes qui avaient disparu en 1944. « Des histoires écrites depuis presque quatre-vingt-dix ans qui étaient là sous leurs yeux. Quatre énormes sacs qu’ils avaient remplis, avant, tout étourdis encore, de se diriger vers un taxi. »

Ces manuscrits étaient en la possession de Jean-Pierre Thibaudat, ancien journaliste à Libération, qui les avait gardés en secret pendant quarante ans. Nul ne sait pourquoi il les a conservés si longtemps ; nul ne sait non plus ce qui, en 2020, l’a décidé à briser le silence pour contacter, par l’entremise de son avocat, Véronique et François, leur demandant de lui obtenir un rendez-vous avec Antoine Gallimard afin qu’il devienne l’éditeur scientifique des manuscrits. Les deux ayants droit ont catégoriquement refusé, puis porté plainte, entrant ainsi en possession des précieux documents. Deux ans plus tard, Jean-Pierre Thibaudat révèlera avoir reçu les manuscrits de la famille du célèbre résistant Yvon Morandat, qui avait occupé l’appartement de Céline à Montmartre quelques mois après la fuite de ce dernier.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après le succès remporté par Guerre et Londres, les descendants de Céline, issus de son premier mariage, font leur apparition : ils menacent d’intenter un procès à Gallimard et aux ayants droit.

« Avec Céline, rien n’était jamais simple… » En effet, Céline en héritage se lit comme un roman policier passionnant, à l’intrigue particulièrement enchevêtrée.

Céline en héritage de Véronique Chovin, Mercure de France, 2025, 136 p.

Le 17 juin 1944, une dizaine de jours après le débarquement allié en Normandie, Louis-Ferdinand Céline, redoutant des représailles en raison de ses prises de position pendant l’Occupation, fuit précipitamment la France avec son épouse Lucette, abandonnant une masse considérable de manuscrits dans son appartement de Montmartre – des manuscrits qu’il ne put jamais récupérer et dont il ne cessa de déplorer le vol. En 2019, près de soixante ans après sa mort, ces documents que l’on croyait irrémédiablement perdus réapparaissent comme par miracle. La résurgence de textes d’une telle importance, aussi longtemps après la disparition d’un auteur, est peut-être sans précédent. Il s’agit en effet de la découverte d’un véritable trésor qui aboutira à la publication, par les Éditions Gallimard, de Guerre,...
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