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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban : un peuple centenaire, des communautés millénaires

L’histoire du peuple libanais, en tant qu’identité collective, ne remonte qu’à 1920, avec la proclamation du Grand Liban – un peu plus d’un siècle – alors que les communautés qui le composent existent, elles, depuis des siècles, voire des millénaires : les druzes depuis le XIe siècle, les chrétiens depuis les débuts du christianisme (les maronites depuis le Ve siècle), les sunnites et les chiites depuis l’émergence de l’islam au VIIe siècle. Dans ce contexte, l’idée d’appartenir à une communauté prévaut, de loin, sur celle d’appartenir à un peuple. Sans peuple, l’État demeure une coquille vide.

Ce n’est pas seulement une question de chronologie. C’est aussi une affaire de nature humaine : l’individu tend spontanément à se définir par des appartenances plus enracinées, plus anciennes, plus intimes. Il ne se satisfait pas d’être simplement « libanais » ; il se rattache à des appartenances plus profondes – chrétienne ou musulmane, puis maronite, orthodoxe, sunnite ou chiite – parfois jusque dans les moindres détails.

D’autant plus que ces identités portent en elles une charge spirituelle, morale et sacrée, là où l’identité nationale libanaise, dépourvue de croyances religieuses, de figures prophétiques ou de personnages mythiques, manque d’une dimension transcendante comparable à celle des communautés.

À cela s’ajoute un autre facteur décisif : la mémoire collective des souffrances partagées. Au sein de chaque communauté, les souffrances – guerres, persécutions, marginalisations – sont perçues comme un héritage commun. Ce lien émotionnel et historique crée un sentiment d’unité communautaire que l’identité nationale, trop récente et souvent abstraite, peine à égaler. En somme, au Liban, les identités sectaires donnent à l’individu une histoire, une foi et une mémoire que « la nation libanaise » n’a jamais su lui offrir.

Contrairement à d’autres sociétés multiculturelles, comme les États-Unis, la France ou l’Australie, où la diversité est le fruit d’une immigration relativement récente, les communautés libanaises, elles, sont enracinées dans cette région depuis des siècles. Le christianisme, l’islam, et leurs confessions, ont pris leur essor dans cette région dont le Liban est une matrice essentielle. C’est ce qui rend le lien identitaire infiniment plus fort, mais aussi les tensions infiniment plus profondes.

On comprend alors pourquoi les mêmes Libanais peuvent cohabiter pacifiquement dans les pays du Golfe ou en Occident, mais replongent dans la rivalité une fois rentrés au pays : ailleurs, les appartenances flottent ; ici, elles pèsent. Car ici, chacune croit détenir une légitimité historique, parfois même sacrée, sur cette terre qu’elle habite « depuis toujours ».

Tant que le Liban n’aura pas opéré une révolution intérieure de sens – une refondation identitaire et citoyenne –, les crises ne cesseront de se répéter, sous des formes différentes mais toujours avec le même fond : l’absence de socle commun. Il ne s’agit pas d’exiger l’uniformité ni de nier la diversité culturelle, mais de reconnaître que sans une identité nationale forte et prioritaire, aucun contrat social ne peut tenir.

Construire cette identité commune exige du courage politique, une vision à long terme, une refonte de l’éducation, des institutions et, surtout, du langage politique lui-même. Il est temps de sortir du registre du vivre-ensemble pour embrasser celui du projet national.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’histoire du peuple libanais, en tant qu’identité collective, ne remonte qu’à 1920, avec la proclamation du Grand Liban – un peu plus d’un siècle – alors que les communautés qui le composent existent, elles, depuis des siècles, voire des millénaires : les druzes depuis le XIe siècle, les chrétiens depuis les débuts du christianisme (les maronites depuis le Ve siècle), les sunnites et les chiites depuis l’émergence de l’islam au VIIe siècle. Dans ce contexte, l’idée d’appartenir à une communauté prévaut, de loin, sur celle d’appartenir à un peuple. Sans peuple, l’État demeure une coquille vide.Ce n’est pas seulement une question de chronologie. C’est aussi une affaire de nature humaine : l’individu tend spontanément à se définir par des appartenances plus enracinées, plus...
commentaires (1)

Cet article met bien en lumière la faiblesse de notre sentiment d’appartenance nationale face aux appartenances confessionnelles. La question du système du millet sous l’Empire ottoman, qui a pourtant largement contribué à institutionnaliser cette logique communautaire.

Boustani Georges

05 h 50, le 25 juin 2025

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Commentaires (1)

  • Cet article met bien en lumière la faiblesse de notre sentiment d’appartenance nationale face aux appartenances confessionnelles. La question du système du millet sous l’Empire ottoman, qui a pourtant largement contribué à institutionnaliser cette logique communautaire.

    Boustani Georges

    05 h 50, le 25 juin 2025

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