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Culture - Rencontre

En arabe littéraire et en alexandrins, la comédienne Ghina Daou s’empare de « Bérénice »

En tournée depuis plusieurs mois avec sa troupe, sous la direction de Marie Benati, la comédienne Ghina Daou incarnera entre le 14 et le 18 mai, au Lavoir moderne parisien, une Bérénice orientale et arabophone, qui décide d’emprunter le chemin de l’acceptation de soi.


En arabe littéraire et en alexandrins, la comédienne Ghina Daou s’empare de « Bérénice »

Ghina Daou dans la peau de Bérénice et Édouard Dossetto incarnant le rôle de Titus. Photo Simon Lerat

« Que le jour recommence, et que le jour finisse.

Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice. »

Pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire de leurs années lycée, Le Lavoir moderne parisien présente à partir du 14 mai une mise en scène originale de Bérénice, incarnée par la comédienne libanaise Ghina Daou, sous la direction de Marie Benati. Un parti pris esthétique inédit, déjà présenté à Sarcelles, Ivry-sur-Seine et Marseille, qui tisse la langue de Racine avec des passages traduits en arabe littéraire. Dans cette pluralité linguistique se dessinent une continuité de registre, mais aussi les tensions inhérentes aux frottements identitaires et à la domination coloniale. Majestueuse dans sa robe bleu irisée, la comédienne offre une présence intense à la reine de Palestine, amoureuse passionnée de l’empereur Titus, qui finit par la rejeter.

Si Ghina Daou a toujours rêvé de faire du théâtre, elle a commencé par des études de cinéma et de réalisation à l’Université Saint-Joseph (USJ) à Beyrouth. « Il y a 10 ans, je suis arrivée en France pour un master en réalisation, et j’ai ensuite travaillé dans la production, la réalisation et la traduction. Lorsque j’ai joué dans le film de Wissam Charaf, Dirty, Difficult, Dangerous (2022) , j’ai réalisé à quel point le jeu me manquait », confie-t-elle. Sa dernière représentation théâtrale datait de 2009, à Beyrouth, dans la pièce Avant-garde de Morgane Gauvin. « À vrai dire, avant mon audition pour “Bérénice”, c’est un ami qui m’a rappelé les règles de récitation de l’alexandrin. Jouer en arabe littéraire me semblait tout aussi étrange, cela faisait un moment que je ne l’avais pas pratiqué… » poursuit-elle avec humour.

Une lecture politique du drame amoureux de « Bérénice » de Racine par le collectif Orange. Poto Simon Lerat

Ghina Daou est choisie pour le rôle de Bérénice et la troupe se met au travail. « On a abordé la pièce sous un angle linguistique pour commencer et on a proposé, en 2023, des lectures à l’Institut du monde arabe (IMA) et au festival artistique du journal Le Monde. C’était intéressant de choisir quelle partie du texte était gardée en français ou bien jouée en arabe. C’était important pour Marie Benati que le passage d’une langue à l’autre soit justifié », explique la comédienne avec entrain. « Lorsque les personnages palestiniens n’ont pas envie d’être compris par les Romains, ils glissent vers l’arabe. Dans la mise en scène, c’est une langue qui les protège de leur occupant. Ils l’utilisent aussi pour les moments de forte émotion. Quand Bérénice se met à parler arabe à Titus, le rapport de force évolue entre eux. Elle se trouve à Rome, chez lui, mais par la langue, elle prend le dessus car il ne comprend pas ce qu’elle dit. C’est la langue arabe qui redonne de l’élan à l’héroïne ; celle-ci transforme aussi sa langue, qui n’est plus associée à la faiblesse mais à la force », poursuit-elle vivement. Faire résonner la langue arabe dans une pièce canonique du théâtre classique français est loin d’être anodin. « Bérénice n’a jamais été traitée sous un angle politique, elle est plus souvent envisagée dans une approche féministe. Notre lecture du texte de Racine s’interroge sur la xénophobie, mais aussi sur le sentiment d’étrangeté lié au fait de se retrouver dans un pays différent, avec son corollaire, celui du rejet de l’autre », précise Ghina Daou. Néanmoins, c’est par la langue que semblent se résoudre les tensions dramatiques. « Il y a un jeu de miroir poétique entre les deux formes linguistiques, que ce soit l’alexandrin ou l’arabe littéraire, qui reste une langue très soutenue. Marie Benati a souhaité montrer que si les langues séparent les hommes, la poésie les rassemble », ajoute la comédienne.

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Emmener Bérénice dans les vestiges de Niha

Côté scénographie, Marie Benati a choisi d’ancrer l’histoire de Bérénice dans la Rome d’aujourd’hui, au sein d’un empire romain toujours d’actualité, associant avec audace l’antique et le contemporain. Ghina Daou a modifié son costume après la première représentation, estimant que sa robe n’exprimait pas suffisamment sur scène l’énergie d’une reine. « Or je voulais rendre hommage à son pouvoir et à sa puissance, pour mieux porter sa voix », raconte-t-elle. C’est à Beyrouth, lors d’une virée shopping pour un mariage, que la comédienne trouve une robe pour Bérénice. «Les teintes bleutées et brillantes m’ont plu, et j’ai associé la robe avec une perruque aux cheveux longs et noirs. J’ai imaginé que pour se faire accepter et pour plaire, elle a fait le choix de les lisser. Au cœur de l’acte III, elle enlève sa perruque car elle est très affectée par le rejet de Titus. Là, elle comprend qu’elle souhaite reprendre sa vie en main et ne plus changer pour lui et pour l’empire », précise la comédienne. « Bérénice réalise que Titus reste son colonisateur, et qu’ils n’ont pas pu dépasser cette relation de domination : il a choisi d’écouter son Sénat et de ne pas l’épouser. Elle décide alors de cesser de cacher son identité et de redevenir la femme qu’elle était avant de venir à Rome, c’est-à-dire une reine. Ce qui m’émeut le plus dans cette pièce, c’est de voir comment on passe d’une femme colonisée qui essaie de plaire à une femme qui retrouve son identité », ajoute Ghina Daou.

Sous la direction de Marie Benati, une Bérénice orientale et arabophone. Photo Simon Lerat

En parallèle, la comédienne réalise avec la productrice Marine Vaillant, de Special Touch Studios, un documentaire sur ses liens avec le personnage de Bérénice. « Je filme mes répétitions et ma manière d’incarner Bérénice, et je montre ce qui me rapproche d’elle. On prévoit aussi de filmer Bérénice à Avignon cet été, au théâtre du Balcon, entre le 5 et le 26 juillet. Elle vient de ma terre, et à mon arrivée en France, j’ai pu ressentir que je devais changer mon accent, ma manière de m’habiller, que je devais me cacher pour m’adapter. Jouer Bérénice a donné de la cohérence à mon parcours », annonce-t-elle. Originaire de Niha, la comédienne souhaiterait emmener Bérénice dans les vestiges romains de la ville. « J’aimerais tellement la filmer au Liban ! Des éléments historiques nous indiquent qu’elle a visité la Békaa et ses temples. Mon rêve serait de jouer la pièce à Niha, ou dans un amphithéâtre romain au Liban, d’autant plus que son frère, Agrippa II, aurait commandé plusieurs monuments à Byblos et Beyrouth. Pour l’instant, on est en train de mettre en place une tournée méditerranéenne, et nous sommes très soutenus par l’Institut français de Beyrouth », conclut la comédienne, qui a réussi le pari de remettre au goût du jour le vers racinien et l’arabe littéraire.


Fiche technique

Mise en scène de Marie Benati, assistée de Sanae Assif

Avec : Sanae Assif, Ghina Daou, Édouard Dossetto, Leslie Gruel, Adam Karoutchi et Majd Mastoura

Musique : Osloob

Lumières : Raphaël Bertomeu

Scénographie : Pierre Mengelle

Costumes : Constance Bello


« Que le jour recommence, et que le jour finisse. Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice. »Pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire de leurs années lycée, Le Lavoir moderne parisien présente à partir du 14 mai une mise en scène originale de Bérénice, incarnée par la comédienne libanaise Ghina Daou, sous la direction de Marie Benati. Un parti pris esthétique inédit, déjà présenté à Sarcelles, Ivry-sur-Seine et Marseille, qui tisse la langue de Racine avec des passages traduits en arabe littéraire. Dans cette pluralité linguistique se dessinent une continuité de registre, mais aussi les tensions inhérentes aux frottements identitaires et à la domination coloniale. Majestueuse dans sa robe bleu irisée, la comédienne offre une présence intense à la reine de Palestine, amoureuse passionnée de...
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