L'un des pelotons de tête de la course du marathon de Beyrouth 2025, près du front de mer, à Biel. Photo : G.B. / L'Orient-Le Jour
Il n’est pas encore six heures, mais Ali est déjà en retard. Venu de l’ouest de la capitale, l’étudiant de 23 ans a dû se garer en haut de la place des martyrs, fermée à la circulation, et traverse à la hâte le centre-ville quadrillé par un important dispositif militaire. Comme lui, les autres retardataires sont contraints de rejoindre le front de mer en petite foulée pour tenter d’arriver à temps pour le départ, prévu à 6h15. Un échauffement forcé durant lequel Ali fini cul-sec son petit-déjeuner : un café et une canette de chocolat au lait. « Je n’ai pris que ça pour m’alimenter avant la course... j’espère qu’il y aura du ravitaillement sur la route », se demande-t-il.
Un léger manque de préparation qui trahit le fait que Ali s’apprête à son tout premier semi-marathon, conséquence d’un pari lancé un mois plus tôt avec ses amis, qu’il peine à retrouver au milieu de la longue queue formée par les quelques milliers de coureurs amassés en amont de la ligne de départ. « Mon objectif ? Finir la course sur mes deux jambes », ironise-t-il. Sous le fracas d’une sono dont le volume est déjà suffisamment élevé pour finir de réveiller les derniers assoupis, le décompte donne le coup d’envoi simultané du marathon (42, 195 km) et du « semi » (21,1 km), près de six mois jour pour jour après son report.
« Annulations de dernière minute »
Initialement prévu le 3 novembre 2024, le marathon OMT de Beyrouth, 18e du nom, a bien eu du mal à faire son retour dans les rues de la capitale en ce jeudi 1ᵉʳ mai, et ce jusqu’à la dernière minute. Réduite à un simple voile nuageux cachant le lever du soleil, la tempête qui s’est invitée la veille dans le ciel libanais laissait craindre des conditions météorologiques dantesques au moment de la course, au point de susciter quelques sueurs froides chez les organisateurs. « Nous avons dû tout réinstaller deux fois pendant la nuit à cause des rafales, raconte Soraya Barbir, la directrice de l’Association Beirut Marathon (BMA). Toutes les tentes et les drapeaux se sont envolés, les affiches publicitaires aussi… mais nous sommes parvenus à tout remettre en place à temps. Finalement, c'est presque le temps idéal. Avec ces nuages et ce léger vent, les coureurs ne souffrent pas trop de la chaleur », se réjouit-elle.
Des soldats de l'armée libanaise déployés près parcours. Photo : G.B. / L'Orient-Le Jour
Ces intempéries ont en tout cas offert une dernière frayeur à ceux ont déjà dû composer avec les tumultes de la situation sécuritaire du Liban ces derniers mois, y compris ces derniers jours. « Nous avons reçu énormément d’annulations de dernière minute en raison de la récente frappe (de l’aviation israélienne, NDRL) sur la banlieue-sud il y a trois jours. Quand des coureurs internationaux voient qu’on a frappé Beyrouth, ils ne comprennent pas forcément que nos limites sont différentes des leurs et que l’on peut faire la distinction entre la banlieue et le centre-ville », ajoute Mme Barbir, qui exprime l'espoir d'accueillir entre 12 000 et 15 000 coureurs sur les différentes courses du jour.
Comme ce fut le cas pour l’ensemble des compétitions sportives au Liban, l’escalade de la guerre entre le Hezbollah et Israël a eu raison de la tenue de l’événement. Un scénario qui s’était déjà produit en 2019 et 2020 à cause du mouvement de contestation populaire de la thaoura, puis de la pandémie de Covid-19 qui avaient conduit à deux ans de suspension. Reprogrammée au 4 mai, la date de cette 18e édition a finalement dû être accolée au jour férié de la fête du travail en raison de la convocation des élections municipales, qui débuteront ce dimanche dans plusieurs régions du pays.
Des coureurs en plein effort au milieu du parcours du marathon, dans le centre-ville de Beyrouth. Photo : G.B. / L'Orient-Le Jour
Cette succession d’imprévus n’a pas de quoi entamer l’ambiance festive qui accompagne chaque année ce rendez-vous devenu un incontournable de l’agenda sportif libanais où quelques invités de marque se sont joints aux festivités : le Premier ministre Nawaf Salam, venu saluer les coureurs près de la ligne d’arrivée, ou le capitaine de la sélection nationale de basket Amir Saoud, qui a troqué son maillot de Riyadi pour se mêler à la foule de la course de 5 kilomètres, dont l’objectif est de lever des fonds pour des ONG libanaises.
« Nous avions besoin de ce genre de choses »
Dans le sillage des quelques coureurs « d’élite » alignés au départ de la course, le gros des participants arrive au compte-goutte au bout de l’effort. Certains arrivent le sourire aux lèvres, satisfaits de leurs performances, tandis que la douleur se lit sur le visage des autres, parfois au bord du malaise, boitillant, voire le front en sang à cause d’une mauvaise chute avant d’être pris en charge par les nombreux volontaires de la Croix-Rouge. Tout un bataillon d’étudiants physiothérapeutes a également été mobilisé auprès des universités beyrouthines pour détendre les jambes endolories des coureurs.
« Je me suis super bien senti et j’ai battu mon précédent chrono de semi de presque une demi-heure : j’ai fait 2h05 au lieu de 2h33 », se félicite Jimmy, 24 ans, venu de Jbeil. « Avec l’humidité, j’ai ressenti des crampes pendant la course et cela ne m’a pas aidé à battre mon record. Je visais moins de 1h45 et j’ai fini à 1h48... », commente Aya, 32 ans, qui ne préfère pas indiquer sa région d’origine pour seulement mentionner le fait qu’elle vienne « du Liban ». « Il y avait une super ambiance au bord de la route, beaucoup de monde est venu pour nous encourager. Nous avions besoin de ce genre de choses après tout ce que nous avons traversé », reprend la jeune femme. « Ce marathon était différent de ceux des dernières années. Il a de la valeur. Malgré les conditions très difficiles pour nous, nous courons pour notre pays », abonde Jimmy.
Un coureur tentant de récupérer son souffle à l'arrivée du semi-marathon, à Biel. Photo : G.B. / L'Orient-Le Jour
Tandis que les Éthiopiens Diriba Tsega et Lemlem Abebe Asefa, respectivement vainqueurs des marathons masculin et féminin, reçoivent leurs trophées sur le podium, Ali, perclus de courbatures, tente de se réhydrater près d’un stand d’alimentation. « J’ai fait un peu moins de 3h je crois… mais peu m’importe le temps, mon défi c’était de finir, rien de plus, donc je suis satisfait », souffle-t-il, dans l’attente d’un repos bien mérité. À mesure qu’il s’avance dans les artères désormais désertes du centre-ville en direction sa voiture, le bourdonnement des drones israéliens, de retour au-dessus de Beyrouth, recouvre les derniers échos émanant de la sono assourdissante.
Les résultats sportifs :
Sur le plan sportif, les courses d’élite ont donné lieu à une concurrence légèrement moins large qu’à l’accoutumé pour toutes les raisons précitées, auxquelles s’est ajoutée la tenue de marathon de Londres cette semaine, causant l’absence de plusieurs coureurs internationaux et des spécialistes libanais de la discipline.

Chez les hommes, la victoire a été décrochée par l’Éthiopien Diriba Tsega, qui a bouclé le parcours de 42 kilomètres avec un chrono de 2 heures, 15 minutes et 8 secondes, devançant le Kenyan Emmanuel Kiprop Serem (2h 17 min et 2 sec) et l’Éthiopien Bekele Fetene (2h 20 min et 7 sec) qui complètent le podium. La course féminine a quant à elle été dominée par une autre Éthiopienne, Lemlem Abebe Asefa, en 2h 31 min et 3 sec. Ses deux compatriotes, Zewudineshâ Huris Degefa (2h 33 min et 8 sec) et Hawi Megerssa Regassa (2h 33 min et 9 sec) terminent respectivement aux 2ᵉ et 3ᵉ rangs, recevant leurs prix des mains du commandant des Casques bleus de la Finul, le général espagnol Aroldo Lázaro Sáenz.
Enfin, le titre honorifique de Libanais le plus rapide de la journée est revenu à Tony Hanna, troisième de la dernière édition en 2023, et vainqueur cette fois-ci en 2h 30 min et 58 sec. Il a devancé Omar Abou Hamad (2h 40 min et 10 sec) et Samir Salman (2h 42 min et 48 sec). En parallèle, Chirine Njeim a remporté le classement féminin avec un temps de 2h 50 min et 38 sec, précédant Kathia Rached (3h 13 min et 38 sec) et Nada Jisr (3h 19 min et 44 sec).