Le point de vue de... Opinion

François, le dernier humaniste

D.R.

Il s’en va, et avec lui disparaît une certaine idée du monde, qu’il était le dernier à défendre.

Celle d’un humanisme debout, fragile mais obstiné, au milieu d’un siècle sombrant dans la brutalité.

Une sorte de Noé, rassemblant dans l’arche de sa bonhomie toutes les reliques sacrées d’un savoir ancien, au seuil de l’extinction.

François n’était pas un pape pour les conservateurs.

Ni pour les progressistes.

Il n’était pas un pape pour une Église recroquevillée, ni pour une foi réduite à des postures identitaires.

Il était autre chose : un homme de son temps qui refusait d’en être captif, une voix dissonante dans un monde où la religion divise plus qu’elle ne relie.

Il n’était pas fait pour coexister avec les Trump, Vance, Orbán, et autres sous-produits poutiniens disséminés à travers la planète.

Pas plus qu’il n’était, comme l’en accusaient certains, à l’avant-garde de la dérive wokiste.

Au contraire.

Il avait vu proliférer, dans ses terres latino-américaines, un christianisme fiévreux, à fleur de peau, presque embrigadé.

Il savait.

Il avait compris que ce siècle ne serait pas celui du triomphe du rationalisme sécularisé, comme l’avaient cru tant de penseurs occidentaux.

Il voyait bien que le religieux – et pas n’importe lequel –, loin de s’effacer, revenait au centre des affrontements, armé d’une crispation identitaire après la mondialisation.

Une culture de l’exclusion battant les tambours de la guerre contre une culture du lien.

Mais ce que François refusait, c’était cette foi falsifiée, transformée en instrument de domination ou en levier politique.

Il savait que, de Rome à Moscou, d’Ankara à Riyad, des pouvoirs autocratiques et populistes s’appuyaient sur les dogmes pour justifier leur emprise.

« Le souverainisme est une attitude d’isolement. Je suis préoccupé parce qu’on entend des discours qui rappellent ceux d’Hitler en 1934. « Nous d’abord. Nous… nous » : ce sont des pensées qui font peur. Les populismes nous mènent aux souverainismes : ce suffixe en « -isme » ne fait jamais du bien », affirmait-il en 2019 face à la montée de l’extrême-droite en Europe.

Il savait que l’Occident, déchiré entre sa mauvaise conscience et sa peur de l’autre, n’avait plus ni boussole ni horizon.

Et pourtant, il ne s’est pas résigné.

Dès le début, François a refusé le faste, choisi une parole plus simple, un ton plus direct.

Mais ce qui l’a rendu véritablement unique, c’est son refus du repli.

Il a pris la parole là où elle était la plus nécessaire, là où elle dérangeait.

Prenant le contrepied de ce « narcissisme » de la haine, il a tenté, presque seul, de réduire les distances.

Il est allé à Al-Azhar en 2017, alors que les fractures entre l’islam et l’Occident n’avaient jamais été aussi vives, prononçant un discours qui aurait pu être un tournant.

Il y dénonçait l’instrumentalisation du religieux et appelait à en faire un levier de paix.

Deux ans plus tard, à Abou Dhabi, il signait avec Ahmad al-Tayeb un texte immense : le Document sur la fraternité humaine.

Un acte de rupture : un pape et un haut représentant de l’islam sunnite affirmant que la diversité religieuse est une volonté divine et que le dialogue n’est pas une option, mais une nécessité existentielle.

Pas un geste vide, mais un engagement réel, une tentative de fissurer l’engrenage des haines et des replis.

Puis vint Najaf, en 2021.

Une rencontre improbable, au cœur d’une terre ravagée par tous les démons.

Le pape face à Ali Sistani, le marjaa‘ de la modération chiite.

Il savait ce qu’il faisait.

Il savait que l’histoire des religions est autant celle des guerres intestines que celle des dialogues.

Il savait que la fracture entre sunnites et chiites était l’un des grands défis de l’époque.

Il n’attendait ni miracle, ni renversement immédiat.

Mais il croyait en la nécessité du geste, en la force du symbole.

François, c’était Gandhi, Luther King, Mandela…

C’était Jésus.

La colombe. Le rameau d’olivier. La main tendue. Même la joue gauche, si nécessaire.

La puissance nue de la paix.

Pouvait-il en être autrement ?

Francesco, comme son homonyme, parlait aux oiseaux.

Parce que les hommes, souvent, n’écoutaient pas.

Cette satanée fascination pour les « -ismes ».

Qu’importe.

Il fallait témoigner et passer le flambeau.

Être le corbeau au milieu du déluge, s’il le fallait.

Telle fut sa ligne : ne jamais céder au désespoir, ne jamais accepter que le monde soit condamné à la guerre des identités.

Son positionnement lui valut l’hostilité de presque tous les camps.

Il irritait les tenants du catholicisme identitaire, exaspérait les populistes, dérangeait les conservateurs.

Il ne cherchait pas à plaire.

Il savait qu’il parlait dans un monde saturé de bruit, où la nuance était un luxe et la complexité une tare.

Il savait aussi que son Église était traversée par des courants contraires, tentée par la nostalgie d’une grandeur révolue ou par la quête d’une pureté doctrinale.

Il a tenu bon.

Non par naïveté, mais parce qu’il refusait de voir l’histoire comme une fatalité.

Il s’en va alors que dominent les figures de l’ « homme fort » : autocrates et démagogues dressant partout des murs.

Avec lui disparaît peut-être la dernière grande voix universaliste, croyant encore à la possibilité d’un horizon commun.

Un missionnaire jésuite de la paix, dans un monde qui ressemble au Japon du Silence de Shusaku Endo.

Nul ne sait ce qu’il restera de son pontificat.

Trouvera-t-il une colombe pour mener l’Arche de Vie à bon port ?

François, la voix perdue dans le silence de l’humanisme, n’a pas renoncé à croire que, tout au bout des ténèbres, il y avait la lumière.

Le voilà à présent confondu avec la Résurrection.

Amen.

Hallelujah.

Il s’en va, et avec lui disparaît une certaine idée du monde, qu’il était le dernier à défendre.Celle d’un humanisme debout, fragile mais obstiné, au milieu d’un siècle sombrant dans la brutalité.Une sorte de Noé, rassemblant dans l’arche de sa bonhomie toutes les reliques sacrées d’un savoir ancien, au seuil de l’extinction.François n’était pas un pape pour les conservateurs.Ni pour les progressistes.Il n’était pas un pape pour une Église recroquevillée, ni pour une foi réduite à des postures identitaires.Il était autre chose : un homme de son temps qui refusait d’en être captif, une voix dissonante dans un monde où la religion divise plus qu’elle ne relie.Il n’était pas fait pour coexister avec les Trump, Vance, Orbán, et autres sous-produits poutiniens disséminés à travers la...
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