Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

« Le Concept d’incertitude en Islam », un livre de Malek Abou Hamdan

Malek Abou Hamdan sort un joli livre, Le Concept d’incertitude en Islam. Tentative d’interprétation contemporaine (éd. an-Nahar, 2024), qui traite d’une question difficile. Et pour cause : l’Islam est attaqué de toutes parts à cause de l’amalgame dangereux et stupide fait entre, d’une part, des fondamentalistes extrémistes omniprésents et, d’autre part, l’immense apport de l’Islam à la pensée juridique, sociale, politique, etc.

Ce livre traite d’une question spécifique : le gharar en droit islamique. Il s’agit d’un concept-clé en droit des transactions (fiqh al-mu’âmalât), désignant l’incertitude, l’ambiguïté ou le risque excessif dans un contrat, ce qui peut générer des situations d’injustice. L’islam a ainsi interdit la vente du poisson dans l’eau ou des fruits avant leur maturation. Une telle vente, appelée bay’ al-gharar, pourrait en effet mener à des litiges et à une répartition injuste des bénéfices. Dans son ouvrage, Abou Hamdan analyse une question de droit civil : l’impossibilité de vendre un bien inconnu ou inexistant. Il en découle notamment l’interdiction des transactions boursières entachées d’une forte incertitude. Cela reflète une exigence de transparence dans ses formes les plus rigoureuses et éthiques.

Soyons clairs : on parle ici d’un concept bien précis en Islam. De nombreux concepts, idées, hadith ou même versets font d’ailleurs l’objet de critiques de la part des jurisconsultes musulmans eux-mêmes. Le livre aborde donc une question relative à la finance, d’où l’intitulé de la première partie : La finance islamique, gestion des risques et conceptualisation du « risque permis ». Dans cette partie, plusieurs interrogations trouvent des réponses claires et précises : les rapports entre la loi islamique et la finance ; les grands principes du fiqh islamique des contrats ; les problématiques de la théorie du risque

Ouvrons ici une parenthèse pour citer, en signe de reconnaissance, le plus grand théoricien de la théorie du risque : Léon Duguit, Droit romain : du principe de la théorie des risques dans les stipulations ; Droit français : des conflits de législations relatifs à la forme des actes civils, Durand (Bordeaux), 1882.

Le travail est méticuleux, particulièrement dans la seconde partie où de nombreuses questions trouvent des réponses claires et satisfaisantes. Précisons que le livre est accessible aux lecteurs peu avertis, contrairement aux styles complexes souvent privilégiés, volontairement, par certains auteurs francophones étrangers, plus que par les Français. Ici, le style est simple et modeste, loin de toute ostentation (pardonnez-

moi si le mot « matuvisme » n’existe pas !)

L’auteur approfondit les notions de « risque interdit » et de « risque permis ». Il s’appuie sur le riche héritage du fiqh islamique et mobilise des outils qualitatifs et quantitatifs d’analyse, en s’inspirant de la méthodologie de Max Weber. Il retrace les grandes étapes de la législation islamique, notamment le Coran et la Sunna, qui constituent les sources primaires du fiqh islamique.

L’objectif principal de l’auteur est de comprendre le sens et la finalité du gharar selon les savants musulmans, tout en tentant d’en dégager les implications contemporaines. Il met en lumière la diversité des opinions en Islam, déconstruisant ainsi un autre préjugé erroné. En effet, le fiqh islamique regorge d’écoles et de points de vue divergents. D’ailleurs, pour avoir approfondi cette question dans mes recherches en philosophie du droit, je suis convaincu que de nombreux concepts d’interprétation juridique occidentaux – tels que le raisonnement par analogie ou a contrario – trouvent leurs racines dans la pensée islamique. Des notions comme l’ijma (consensus), le qiyas (analogie), la dalâlat al-Nass (implication évidente), le mafhûm al-muwâfaqa (argument a fortiori) et le mafhûm al-mukhâlafah (argument a contrario) sont révélatrices.

Nous ne disons nullement que ces concepts ont été plagiés de textes islamiques, nous remarquons tout simplement qu’il est surprenant qu’aucune référence (ou même allusion) ne soit faite à ces notions dans les grands ouvrages juridiques occidentaux. L’injustice saute aux yeux. Nulle part dans ce livre ne trouve-t-on une quelconque prétention (comme c’est souvent le cas chez certains auteurs arabes) selon laquelle l’islam aurait tout dit. Pas du tout. Malek Abou Hamdan fait preuve de modestie et de rationalité. On comprend que son objectif est d’exposer les faits sans arrogance. C’est pourquoi le livre regorge de mises en cause, de questionnements, d’incertitudes sur la notion de gharar dans l’avenir et sur ses équivalents en Occident (la théorie du risque). L’auteur ne propose que des idées à développer et à évaluer dans le futur. Lui-même reconnaît une part d’incertitude, ce qui est une grande qualité pour tout chercheur scientifique, notamment lorsqu’il évoque les instruments de gestion des risques proposés en tant qu’alternatives aux dérives, appuyés par des enquêtes de terrain et des publications financières.

L’incertitude doit être un mode de pensée, une éthique de vie. L’auteur met en avant cette idée tout au long de son livre. D’ailleurs, de nombreux chercheurs remettent en cause les fondements mêmes de la finance islamique : pour certains, les opérations de monopole sur les matières premières sont devenues une partie essentielle des activités des banques islamiques, leur permettant de générer des profits en plus de leur mission de base, qui est d’investir les fonds déposés.

La notion de gharar est pertinente et fondée, mais elle n’est pas propre à l’islam. Elle existe en Occident sous d’autres formes, notamment dans le droit civil et le droit administratif (théorie de l’imprévision). Mais concernant le concept de prêt sans intérêt, des doutes subsistent. Pour rester dans la légalité islamique, les banques islamiques et les filiales islamiques des banques conventionnelles ont développé des mécanismes juridico-financiers visant à contourner l’interdiction du prêt à intérêt tout en rémunérant l’apporteur de capitaux. Ces mécanismes reposent sur des concepts tels que la moudaraba, la moucharaka, la mourabaha et l’ijara sans intérêt dans les banques islamiques. S’il parvient à analyser en profondeur tous les enjeux de cette problématique, il aura accompli un double exploit : d’une part, il pourra confirmer (ou non) la légitimité de la pratique des prêts sans intérêt selon l’islam ; d’autre part, il mettra en lumière une fraude massive perpétrée par les banques occidentales.

Georges SAAD

Professeur à l’Université libanaise

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Malek Abou Hamdan sort un joli livre, Le Concept d’incertitude en Islam. Tentative d’interprétation contemporaine (éd. an-Nahar, 2024), qui traite d’une question difficile. Et pour cause : l’Islam est attaqué de toutes parts à cause de l’amalgame dangereux et stupide fait entre, d’une part, des fondamentalistes extrémistes omniprésents et, d’autre part, l’immense apport de l’Islam à la pensée juridique, sociale, politique, etc.Ce livre traite d’une question spécifique : le gharar en droit islamique. Il s’agit d’un concept-clé en droit des transactions (fiqh al-mu’âmalât), désignant l’incertitude, l’ambiguïté ou le risque excessif dans un contrat, ce qui peut générer des situations d’injustice. L’islam a ainsi interdit la vente du poisson dans l’eau ou des fruits avant leur...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut