Le point de vue de... Opinion

Entre le monde et l’Iran… nous

Entre le monde et l’Iran… nous

© Myriam Boulos

Il y a quelques semaines, lors de la commémoration des vingt ans de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, plusieurs personnes ont réitéré qu’elles avaient exclu la possibilité d’un tel assassinat jusqu’à sa survenue. Elles pensaient que le vaste réseau de relations arabes et internationales que Hariri entretenait, ainsi que ses nombreuses amitiés, le garderaient à l’abri de tout mal, et que les tueurs potentiels « tiendraient compte du monde ». Cependant, le 14 février 2005, les tueurs ont commis leur acte, faisant fi de tous ces liens.

Ceux qui ont préféré ne pas « tenir compte du monde » ont fait appel à une tendance profonde dans notre système de valeurs dominant et à une idéologie politique toujours puissante dans notre région, qui supposent justement qu’il ne faudrait pas « tenir compte du monde ». Associant la conscience anarchique à la conscience rurale, improvisée, le fait de « ne pas tenir compte » était souvent perçu comme un acte courageux, une source de fierté pour l’agresseur, puisque le « monde » est autre, une entité hostile dont il ne convient pas de tenir compte. Selon une interprétation poétique du patriotisme, et sous la pression d’une écriture déformée de l’histoire, l’action de rompre les liens avec le monde s’est inscrite dans les catégories de libération, d’indépendance, de rupture de la dépendance et d’opposition à l’impérialisme…

À leur tour, les tueurs de Hariri ont réussi à marquer, par le biais de son assassinat, le début d’une période sombre, au cours de laquelle le Liban a été isolé d’un monde dont il a décidé de faire abstraction  ; une période marquée par la pauvreté et un déclin sur tous les plans. Bachar el-Assad, l’un des principaux auteurs de ce même crime, a plongé le pays et lui-même dans un isolement bien pire.

Aujourd’hui, vingt ans après cet événement, nous commençons à tenir de nouveau compte du monde.

Au Liban, la préoccupation majeure est désormais de regagner la confiance des pays arabes et occidentaux. Eux seuls sont capables d’éliminer les obstacles économiques auxquels fait face le pays et de l’aider à appliquer pleinement la résolution 1701 et à garantir le retrait des Israéliens de son territoire. En Syrie, certains dirigeants du nouveau régime ainsi que ses détracteurs ne cachent pas leur dépendance à l’égard de l’étranger. Ce n’est qu’ainsi que les sanctions imposées aux Syriens seront levées, que les investissements pourront de nouveau affluer vers le pays sinistré et que le nouveau régime pourra adhérer à des normes plus équitables et plus modernes.

Deux situations bien précises renforcent la nécessité de s’appuyer sur l’étranger et de tenir compte du monde : la première est que le « monde » (quelles que soient les puissances qu’il représente) est à l’origine du grand changement qui a conduit à la chute du régime Assad en Syrie et à l’affaiblissement du Hezbollah au Liban. La seconde est que le fait de nous retrouver face à nos conflits internes équivaut à nous laisser crouler sous le fardeau de notre situation civile inquiétante, sans une force capable de servir de source d’arbitrage, tout en faisant face à une faiblesse des consensus, sans lesquels il est impossible de construire des sociétés et des pays.

Le terme « monde » peut signifier tout un tas de choses mais, dans son impact strictement politique sur un pays donné, il désigne quiconque pourrait avoir une certaine utilité pour ledit pays. Les avantages peuvent être ressentis et mesurés expérimentalement, ce qui se reflète sur les libertés de la population, ainsi que sur leurs niveaux de vie, d’éducation et de santé… Si les gouvernements en question sont élus, les facteurs mentionnés ci-dessus revêtent une plus grande importance, parce que les électeurs les tiendront responsables des actions qu’ils auraient ou non menées. Ce qui est sûr, cependant, c’est que le fait de nous approvisionner en armes uniquement (puisque le propriétaire ne dispose d’aucune autre marchandise) exclut cette partie du terme « monde » aux yeux de l’État qui demande de l’aide.

L’Iran a donc choisi, de son plein gré, de s’opposer au monde susceptible d’être bénéfique pour les autres. Si quelques pays, comme la Corée du Nord, semblent être du même avis, leur influence demeure limitée par rapport à l’État de Khomeini.

Après que l’Iran est devenu le centre de l’opposition au monde, il est malheureux de constater que certains exigent que nous remplacions notre nouvelle ouverture au « monde » par une ouverture exclusive à l’Iran. Cela nous ramènerait au temps de l’isolement « glorieux » et à la case départ, celle de la résistance. Cependant, comme nous l’avons découvert à l’époque, nous nous rendrons compte qu’il est impossible de concilier les deux. Pour avoir déjà vécu cela – et à maintes reprises –, aucun élan ancré dans le patriotisme, la résistance et l’hostilité à Israël ne pourra adoucir cette image. On retrouve les résultats de la politique d’indifférence à l’égard du monde dans la situation de l’Iran mais aussi dans notre époque sombre et révolue où cette indifférence se manifestait exclusivement par des massacres généralisés, le règne des milices et l’économie de contrebande – des pratiques qui n’ont pris fin qu’avec la chute de Bachar el-Assad et des autres symboles de l’axe.

Pour cela, contrairement à ceux qui pensent que les liens avec le monde protègent ceux qui les tissent, l’équation est différente sous les régimes isolationnistes qui se caractérisent par une résistance et un patriotisme excessifs. Les liens et les amitiés n’aboutissent qu’au meurtre de celui qui les entretient, comme c’était le cas avec Hariri. Cela nécessite la restauration de nombreux concepts qui prévalent dans notre région, y compris notre compréhension du patriotisme et de la résistance…

Il y a quelques semaines, lors de la commémoration des vingt ans de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, plusieurs personnes ont réitéré qu’elles avaient exclu la possibilité d’un tel assassinat jusqu’à sa survenue. Elles pensaient que le vaste réseau de relations arabes et internationales que Hariri entretenait, ainsi que ses nombreuses amitiés, le...
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