
Marlon Brando et Tarita Teriipaia sur le tournage de « Mutiny on the Bounty ». Photo tirée du compte Instagram officiel @marlonbrando
L’immense Brando, acteur indétrônable, génie excessif, haï ou adoré, fut l’incarnation du sex-symbol masculin de la fin des années cinquante. Il fut également l’éternel rebelle de Hollywood, parrain de tous les parrains, l’illuminé d’un Apocalypse Now qui a enflammé l’univers du cinéma, et le personnage sulfureux, aujourd’hui (enfin) contesté, du Dernier tango à Paris... Ce côté public de Marlon Brandon cachait une autre facette, plus douce, perçue par Patt Morrison, écrivaine et journaliste qui fut très proche de l’acteur durant les dix dernières années de sa vie. Elle le décrit ainsi : « Hors écran, il était quelqu’un d’autre : un homme brillant, décalé, exaspérant, complexe, comique et au cœur tendre. » Et ce cœur que l’on connaît volage, parfois cruel, souvent fou, a battu très fort pour un coin de nature maritime, un atoll de la Polynésie française baptisé Tetiaroa. Aujourd’hui, Patt Morrison y revient sur le site internet de Brando en posant cette question : « Qu’est-il advenu du paradis écologique en mer de Marlon Brando ? » Un jour de 1977, il lui avait confié ses dernières volontés concernant Tetiaroa. Il l’envisageait comme une station tropicale écologique, mais plus important encore, une réserve naturelle, un laboratoire scientifique expérimental en plein air, une « université de la mer ». Le tout au service du lieu et de la planète.
L’île idyllique de Tetiaroa. Photo tirée de la page officielle The Brando
L’Éden
Ayant toujours en tête le rêve de Brando, Patt Morrison a fait récemment l’état des lieux où elle s’est rendue il y a un an pour la célébration du centenaire de la naissance de l’acteur en 1924. Elle écrit : « J’ai été voir les choses sur le terrain, et tout fonctionne aussi bien qu’il l’avait espéré. » Car la naissance de la Tetiaroa Society a aidé dans cette mission, se donnant pour devoir de préserver l’écosystème de l’atoll qui, parallèlement, a suscité l’intérêt de nombreux chercheurs. Ces derniers planchent en particulier sur la possibilité que les atolls puissent être restaurés et retrouver leur état naturel et être ainsi protégés des changements climatiques. Par ailleurs, la société, qui a établi un partenariat avec le Brando Family Trust, précise : « Nous nous associons avec les Brando pour offrir aux visiteurs du site sa belle nature et toute sa culture. Tout en continuant à en faire un modèle de durabilité insulaire/terrestre où les entreprises et les organisations caritatives travaillent ensemble au profit des communautés et de la nature. »
Le Brando Resort Hotel, pour les « rich and famous » exclusivement
Ainsi, et dans cet esprit également touristique, en 2014, un hôtel nommé The Brando Resort Hotel a été créé, soit 10 ans après sa disparition. C’est grâce à son amitié avec Richard Bailey, un hôtelier et entrepreneur local, que Brando avait développé ce rêve, pendant de nombreuses années, de construire un hôtel de luxe à Tetiaroa, en respectant, surtout, un modèle de tourisme durable. En 2009, le Brando Family Trust accorde l’autorisation à Pacific Beachcomber, le groupe hôtelier de Richard Bailey, de construire un resort de trente-cinq villas.
Dans ce cadre idyllique, des personnalités de renom, très éclectiques, ont fait un passage discret mais remarqué, notamment les Obama, Beyoncé et Britney Spears, ainsi que Pippa Middleton, sœur de Kate Middleton princesse de Galles, qui avait passé en 2017 les premiers jours de sa lune de miel avec son époux James Matthews. Ici, le personnel est évidemment d’une grande discrétion. La direction de l’hôtel demande courtoisement aux invités de signer un avis rappelant que les clients viennent ici chercher « une intimité et une liberté complètes ». À cet effet, il est également demandé de s’abstenir de tout « empiètement sur le séjour privé des autres, y compris ne pas les prendre en photos ». Pour cela, la fréquentation de l’île est exclusivement réservée aux clients de l’hôtel, qui pourront découvrir le restaurant étoilé The Brando du chef étoilé Jean Imbert, à la tête d’établissements à la renommée mondiale, dont le Plaza Athénée et la Maison Christian Dior à Paris, l’hôtel Cheval Blanc à Saint-Barthélémy et le Venice Simplon-Orient-Express.
Marlon Brando, heureux dans son coin de paradis. Photo tirée du compte Instagram officiel @marlonbrando
« Cette île ne m’appartenait pas, elle me possédait »
L’histoire de la passion de Marlon Brando pour cette île polynésienne remonte à l’époque où il tournait à Tahiti le film Mutiny on the Bounty sorti en 1960. L’atoll l’a immédiatement fasciné et l’a même profondément affecté. Situé à environ 30 kilomètres de la capitale tahitienne, Papeete, il est composé d’une douzaine de petites îles encerclant un lagon opalescent. Tetiaroa dispose d’une piste d’atterrissage privée. L’accès par la mer n’est possible qu’avec une petite embarcation, qu’il faut manœuvrer avec dextérité afin de franchir une barrière de corail. Tous les visiteurs ont usé de termes dithyrambiques. « Magique, enchanteur, magnifique, il possède tous les tons de bleu terrestres et surnaturels ; la douceur de son vent et de son eau vous immerge comme le sein maternel. » En 1970, Marlon Brando avait engagé un architecte de Los Angeles, Bernard Judge, pour lui construire une maison et un village naturels, sans dégrader l’environnement. Il avait été jusqu’à épouser une native de l’île (sa troisième épouse), avec qui il a fondé une famille tahitienne.
Ayant grandi dans l’État froid du Nebraska où, comme il l’a confié dans une biographie, il aimait s’évader sous d’autres cieux à travers la lecture, il a écrit : « J’ai toujours aimé lire la revue National Geographic. Pour partir très loin, dans des endroits où je n’étais jamais allé et dont je n’avais jamais entendu parler. La culture qui me fascinait le plus et qui me paraissait la plus attractive était la culture polynésienne. (…) Et voici devant moi cet endroit charmant et intemporel, dans les pages d’un magazine, et je me suis dit : Un jour, j’irai là-bas. »
« Vous ne pouvez pas amener la culture ici, vous devez vous adapter à la leur »
Il y a été et a construit de cette île une seconde vie, qu’il avait ainsi inaugurée : « Ma première nuit après l’avoir achetée, j’ai posé ma tête sur une noix de coco que j’avais enfoncée dans le sable et utilisée comme oreiller. C’est merveilleux de dormir nu sur la plage, car le vent souffle sur vous et vous donne des caresses comme vous n’en avez jamais eu de votre vie. (…) J’ai très vite compris que cette île ne m’appartenait pas ; l’île me possédait. » Par amour pour ce paysage idyllique et sa nature exceptionnelle, fasciné par les ressources renouvelables, les pratiques agricoles biologiques et les sources d’énergie alternatives, bien avant le temps, Marlon Brando tenait à avoir le moins d’impact possible sur l’environnement. « Tetiaroa est belle au-delà de ma capacité à décrire », avait-il enfin confié.