Critiques littéraires

Et le navet va…

Jean Echenoz a écrit l’un de ses romans les plus farfelus, et les plus réussis.

Et le navet va…

D.R.

Bristol de Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit, 2025, 206 p.

Bristol, ici, ce n’est ni le port du sud de l’Angleterre qui dut sa fortune au commerce avec les Indes. C’eût été d’un exotisme facile. Ni ce papier glacé qui en provient, et sert, entre autres, pour les cartes de visite. Faire du romanesque à partir de cela aurait sans doute été trop acrobatique. Quoique rien ne paraisse impossible avec Jean Echenoz. Non, Bristol, c’est Robert Bristol, un réalisateur de cinéma minable, has been, on n’ose le qualifier de « héros », qui est en train de monter un film d’aventures de série B, L’Or dans le sang, avec des acteurs ringards et des problèmes de budget parce qu’une partie du tournage doit se dérouler en Afrique australe.

Il a donc d’autres soucis en tête, ce matin d’automne où il sort de chez lui, rue des Eaux (XVIe arrondissement), à 9h10, afin de se rendre à son bureau rue de Pondichéry (XVe arrondissement), pour remarquer que le corps d’un homme tout nu, pourtant volumineux, vient s’écraser à quelques mètres de lui. Bristol songe à son adaptation du roman de Marjorie des Marais, Nos cœurs au purgatoire. Il faut que la romancière populaire, auteure de 300 best-sellers, accepte le principe, ainsi que d’écrire les dialogues. Pour ce faire, il s’apprête à descendre la voir, dans son château de la Nièvre. Et cela dit, il est relativement confiant : il a placé auprès de Marjorie sa tendre amie Geneviève, sa complice, en tant que secrétaire.

À partir de ce point de départ rocambolesque, l’intrigue jubilatoire imaginée par Jean Echenoz va se développer dans deux directions : l’enquête très mollassonne menée dans l’immeuble de la rue des Eaux par l’inspecteur Julien Claveau, lequel, vampé par Michèle Severinsen (née Micheline Sévère), une ancienne actrice nymphomane, présidente de la copropriété, va finir par s’installer chez elle, alors qu’elle s’ingénie à lui faire soupçonner Robert  ; et les aventures dudit Robert, pour tourner son film.

On le suit à Nevers où Marjorie accepte de participer au projet, et même de le financer largement, à condition que le réalisateur fasse appel, pour le premier rôle féminin, à sa protégée, la jeune Céleste Oppen. Bristol consent et ne se montrera pas insensible à son charme. Au grand dam de Geneviève. Puis en Afrique, à Bonobang, bassin du Limpopo, où les choses ne se passeront évidemment pas comme prévu. Un beau matin, débarquent au lodge loué par la production, en jeep, le commandant Milton Parker et sa milice, fumeur de Partagas et cinéphile avisé, venus grossir les rangs des figurants. Envahissant, il débarquera aussi plus tard, à Paris, sans crier gare, squatter chez Bristol.

Après bien des péripéties, Claveau boucle son enquête dont on ne révélera évidemment pas la fin, et Bristol sort son film : un navet, ignoré par la critique, boudé par le public. Quant à tout ce petit monde, il va se nouer entre eux des relations plutôt inattendues.

Écrit au deuxième degré, en adressant à son lecteur – que Jean Echenoz sait acquis – de nombreux clins d’œil, avec une minutie directement héritée du nouveau roman, Bristol est un véritable régal, qui se dévore d’une traite. L’un des meilleurs romans de l’auteur de Cherokee (Prix Médicis 1983) et de Je m’en vais (Prix Goncourt 1999).


Bristol de Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit, 2025, 206 p.Bristol, ici, ce n’est ni le port du sud de l’Angleterre qui dut sa fortune au commerce avec les Indes. C’eût été d’un exotisme facile. Ni ce papier glacé qui en provient, et sert, entre autres, pour les cartes de visite. Faire du romanesque à partir de cela aurait sans doute été trop acrobatique. Quoique rien ne...
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