Critiques littéraires

Par-delà son suicide, sur les traces de Cesare Pavese…

Par-delà son suicide, sur les traces de Cesare Pavese…

D.R.

La vie, la pensée et le legs de l’un des plus grands écrivains contemporains italiens sont dans les pages du dernier livre de Pierre Adrian portant le titre explicite d’Hotel Roma. Titre explicite car Cesare Pavese s’était justement suicidé, à l’âge de 41 ans, dans l’une des chambres de cet hôtel de Turin. Ni trop jeune ni trop vieux, las de la vie, l’écrivain s’en est allé, dans l’effacement, par un bel été indifférent.

Comme pour son premier livre La Piste Pasolini, écrit à vingt-quatre ans, et qui fit son immense succès, en raflant les Prix des Deux Magots et François Mauriac, Pierre Adrian tente, le plus méticuleusement, avec un incroyable humanisme et une vaste richesse culturelle, de retrouver tous les détails du parcours de l’écrivain piémontais. Sans rien laisser à l’ombre. En évitant toujours noirceur ou extrême pessimisme.

Cesare Pavese est resté garçon sans jamais être tout à fait homme. Mécontent de son physique qu’il jugeait ingrat, atrabilaire, tourmenté, engoncé dans sa solitude, déçu de ses relations féminines qui ne duraient pas, mais besogneux, modèle de zèle et d’application, ce n’est pas étonnant que son journal intime s’intitule Métier de vivre. Quel métier devant tant de soucis qui lui ont rendu la vie insupportable. Lui l’assoiffé et le recalé de l’amour qui a donné tant de poésie aux hommes, n’a pas su vivre sa vie…

Malheureux dans ce monde dont il rejetait les pulsions guerrières, le fascisme impénitent, les distorsions, les normes sociales, les diktats, il n’en était pas moins un journaliste talentueux, un professeur, un critique littéraire, un romancier (à son actif Le Bel Été, Femmes entre elles, La Lune et les Feux), un scénariste, un poète. Sans oublier sa monumentale œuvre de traducteur de l’anglais en italien. Révélant les trésors des écrits de Walt Whitman à Herman Melville en passant par John Dos Passos, William Faulkner, James Joyce et Charles Dickens. Et dire qu’il eut l’ironie et la coquetterie d’écrire un opus intitulé Travailler fatigue !

Avec cet écrivain aux multiples facettes, toujours là où on l’attend le moins, le septième art lui doit un sacré apport. Ce n’est pas hasard si on croise, dans ces pages et en cette période d’après-guerre au pays de Dante, les noms de Monica Vitti, de certaines actrices américaines, de Sylvana Mangano, d’Antonioni, de Fellini, De Sica. Car Pavese avait le don des mots qui font mouche, des personnages qui captivent et des images percutantes. Pour son regard scanneur et son style incomparable, Annie Ernaux (Prix Nobel 2022) avait le plus beau compliment en parlant de « transparence ».

Son histoire avec les femmes, la grande affaire de sa vie, reste à déchiffrer. Sans être longue, la liste comporte les noms de Tina, Fernanda, Bianca, Connie, Pierina… Toutes histoires avortées et sans suite heureuse, parfois à un cheveu près…

Pavese n’a pas fini de questionner le sens de la vie. Et l’auteur, Pierre Adrian, pour ce livre mélancolique, dramatique, d’une subtile analyse psychologique, touché par la grâce d’une certaine poésie, n’effleure pas ce sujet important et grave du mal-être. Mais au contraire s’y enfonce avec détermination, grâce aux confidences, errances et écrits à horizons ouverts d’un écrivain qui n’a plus pu supporter l’existence. Entre les lieux de vie et de mort de Pavese, on découvre les gares aux départs déchirants, les collines de Longho, Turin et ses cafés, Superga, Seralunga, des bribes de paysage pour une balade d’une Italie entre les années 1930-1950.

Quand Pavese reçoit en 1950, dans un tourbillon mondain, le Prix Strega, la plus haute récompense et reconnaissance littéraire au pays de Moravia, Calvino et Eco, cela pouvait-il le dissuader de se tuer juste quelques jours avant son anniversaire ? Nul ne le dira !

Ce n’est pas une biographie romancée ou conventionnelle. Hotel Roma est un « road-trip » mêlant adroitement quête, enquête, une sorte de pèlerinage aux lieux cultes du disparu, fouillage dans les confidences, les écrits (romans, articles de presse), visite de voyage pour exhumer et décrypter le passé.

Pierre Adrian a le talent de truffer sa narration de sonorités chantantes italiennes, de déambuler avec sa compagne « à la peau mate » (sans jamais la nommer !) pour faire émerger des paysages familiers à Pavese. Paysages tristes ou lumineux qui rapprochent insidieusement le lecteur d’un auteur qui a perdu le goût de vivre. Un livre intense et qui sort du rang.

Hotel Roma de Pierre Adrian, Gallimard, 2024, 185 p.

La vie, la pensée et le legs de l’un des plus grands écrivains contemporains italiens sont dans les pages du dernier livre de Pierre Adrian portant le titre explicite d’Hotel Roma. Titre explicite car Cesare Pavese s’était justement suicidé, à l’âge de 41 ans, dans l’une des chambres de cet hôtel de Turin. Ni trop jeune ni trop vieux, las de la vie, l’écrivain s’en est...
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