Entretiens

Tahar Ben Jelloun : « Quand j’écris, c’est le silence. Quand je peins, j’écoute du jazz. »

Tahar Ben Jelloun : « Quand j’écris, c’est le silence. Quand je peins, j’écoute du jazz. »

D.R.

Vent d’Est, La Danse folle de la lumière, et plus d’une quarantaine de toiles de Tahar Ben Jelloun seront exposées entre le 8 avril et le 30 juin 2025 au musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, au Maroc. Cette institution est la première du royaume à se consacrer entièrement aux arts moderne et contemporain, et à répondre aux normes muséographiques internationales, couvrant l’évolution de la création artistique marocaine dans les arts plastiques et visuels, du début du XXe siècle à nos jours.

L’occasion de mettre à l’honneur les toiles chatoyantes et colorées de l’écrivain et poète de renom, lauréat du prix Goncourt en 1987 avec son roman La Nuit sacrée. Directeur adjoint du musée, c’est Abelaziz Elidrissi qui est en charge de cette immersion graphique et verbale dans l’univers de Ben Jelloun, où l’art et la littérature se rencontrent pour révéler les facettes lumineuses du monde.

De l’écriture à la peinture propose une rétrospective transversale dans l’œuvre de l’auteur, avec des effets d’écho entre toiles et manuscrits littéraires. Selon le romancier, c’est le geste graphique qui a entamé son parcours créatif  ; cette quête visuelle lui permet d’explorer une certaine lumière qui traverse le monde, au-delà de la violence viscérale qui le caractérise. D’où « cette recherche du monde dans une certaine joie, avec des couleurs qui dansent et qui chantent si on prend la peine de tendre l’oreille », ajoute-t-il dans un entretien. La rencontre des œuvres et du public sera enrichie par un effet de triangulation, à travers des textes qui paraîtront dans le catalogue de l’exposition. Aziz Daki, cofondateur de la galerie L’Atelier 21 à Casablanca, Jérôme Clément, fondateur d’Arte, et Boubker Temli, galeriste à Marrakech, partageront leur expérience esthétique face aux œuvres plurielles de l’artiste.

Vos œuvres picturales et littéraires ont-elles déjà été exposées conjointement ?

J’ai toujours exposé mes toiles accompagnées de certains de mes manuscrits. Des poèmes, brefs, ont été écrits à la main sur certaines toiles. Ils font partie de l’œuvre. Ils vont ensemble et se répondent, en principe. Je tente de rappeler que je suis écrivain arrivé à la peinture en passant par la poésie et l’amour de la musique, du jazz principalement. Quand j’écris, c’est le silence. Quand je peins, j’écoute du jazz.

L’exposition sera comme un voyage dans mes différents itinéraires. J’ai commencé le dessin avant d’apprendre à lire et à écrire. Je dessine tout le temps, n’importe où. Le parcours proposé au musée sera, je l’espère, un portrait de ce que j’ai fait de plus important. C’est au visiteur de promener son regard et de voir si cela lui convient ou non.

Nous sommes en train de travailler la scénographie, confiée à mes amis Boubker Temli et Abdelaziz el-Idrissi.

Avez-vous opté pour une trajectoire chronologique ou thématique ?

On ira des œuvres anciennes aux plus récentes, ce qui permettra de mettre en valeur une certaine évolution. Ce qui me semble essentiel de préciser en amont de ce travail, c’est l’importance de la ville de Matera, en Italie. Sa visite constitue pour moi un tournant essentiel. J’ai fait des esquisses sur place, puis j’ai peint une série de toiles à partir de ce que cette cité a éveillé en moi.

Il me semble qu’au fil des années, ma peinture a évolué vers une certaine rigueur dans le choix des couleurs et des formes. Dans mes peintures, je suis mon instinct et j’essaie de trouver un équilibre à l’intérieur de la toile. Certains y voient des villes rêvées, d’autres des maisons qui cachent des secrets. Je suis incapable de dire ce qu’il y a derrière chacune des toiles.

Avez-vous toujours pratiqué la peinture et l’écriture de manière simultanée ?

Oui, mes manuscrits sont de grands cahiers où il y a peu, très peu de ratures. J’aime écrire à la main : c’est une façon de dessiner. Les toiles devraient leur répondre, et au cours de la visite de l’exposition, on ira de l’un à l’autre.

Néanmoins, les thèmes de mes romans ou de mes poèmes sont indépendants de ma peinture. Il leur arrive de rejoindre mes préoccupations du moment, mais l’écriture – la douleur du monde — devient complémentaire de ce que je recherche : la lumière du monde. Nous vivons une époque difficile où la brutalité des hommes s’affiche et menace de jour en jour. La peinture arrive comme un souffle d’air pour dire qu’il ne faut pas désespérer. Nous savons que la poésie, l’art sauveront le monde.

J’essaie de faire dialoguer mes textes et mes toiles sous différentes formes, notamment lorsque je trace un poème sur la toile. Quand Juan Miró écrivait une phrase érotique sur une de ses grandes toiles, il s’amusait. Il écrivait avec l’âme d’un enfant, d’où toute la beauté et l’originalité de son œuvre. Moi, j’écris le poème pour éviter la redite.

Dans quelle mesure conservez-vous vos manuscrits, et quel est le sens qu’ils portent selon vous ?

Mes manuscrits sont conservés avec soin. Il y a une quinzaine de grands cahiers, mais aussi des petits carnets. Je les garde précieusement et ai toujours refusé de les vendre, malgré l’insistance de certains collectionneurs. Pour moi, ces manuscrits sont le témoignage d’une époque, quand je les regarde, je me souviens du moment et de l’endroit où j’ai écrit. Ils sont pour moi des souvenirs et des miroirs qui animent ma mémoire.

En ce moment, je travaille sur des villes imaginaires, entourées de formes érotiques. À l’intérieur, la présence de la spiritualité, la lumière et la nécessité de l’espérance.

Quel rapport entretenez-vous avec votre public et vos lecteurs marocains ?

J’ai toujours tenu à aller vers les lecteurs partout dans le monde, et en particulier dans mon pays. Le Maroc est fondamental dans mon travail d’écriture, il me nourrit et me dirige. Le public, je vais le chercher dans les écoles marocaines, dans les collèges. Je parle à la jeunesse pour semer le désir de lire, car comme tout le monde sait, nous lisons peu dans le monde arabe. Néanmoins, chaque fois que je me suis déplacé pour parler de mon travail, le public était là. Alors, je fais ma mission et je répète : il faut lire, lire et lire.

Je suis très touché par les textes que mes amis ont eu la grande amitié d’écrire au sujet de mon travail. Je les trouve magnifiques et je suis ému de les lire.


Vent d’Est, La Danse folle de la lumière, et plus d’une quarantaine de toiles de Tahar Ben Jelloun seront exposées entre le 8 avril et le 30 juin 2025 au musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, au Maroc. Cette institution est la première du royaume à se consacrer entièrement aux arts moderne et contemporain, et à répondre aux normes muséographiques...
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