Critiques littéraires Bande dessinée

Tout est dans le pantalon

Tout est dans le pantalon

Smoking de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier, Albin Michel, 2024, 168 p.

Le duo formé par la scénariste Loo Hui Phang et le dessinateur Benjamin Bachelier revient avec Smoking. La Révolution Yves Saint Laurent, deux ans après Oliphant (que nous avions chroniqué avec enthousiasme). Nous les avions laissés dans le froid, sur les traces des premiers explorateurs polaires. Ils nous reviennent en plein New York, sur les pas d’Yves Saint Laurent.

Tout est réinventé dans cette nouvelle collaboration, dans le fond comme dans la forme : Oliphant était l’histoire d’individus, livrés à leur condition première, livrés aussi aux exigences du corps dans les grands espaces hostiles. Smoking est, lui, un récit de l’esprit, une balade au cœur d’un changement de paradigme social. Les protagonistes (Yves Saint Laurent et la Betty Catroux en première ligne) sont, de bout en bout du récit, au service des idées sociales qu’ils portent.

Tout débute, sur la table de travail d’Yves Saint Laurent, par un dessin : celui d’une femme vêtue d’un smoking taillé pour elle. Le smoking, jusque-là réservé aux hommes. L’idée de Saint Laurent est claire : il veut proposer aux femmes, à travers ce smoking, un vêtement qui leur permette la même liberté que celle dont jouissent les hommes. Une liberté qui va au-delà du confort de mouvement. Une liberté sociale.

Partant de cette idée, tout l’album est ensuite une plongée dans la portée de ce geste. On suit Yves Saint Laurent dans une balade dans les rues de New York qui est, au fond, une balade dans sa tête. Accompagné de la mannequin et inspiratrice Betty Catroux, il déambule et devise, leurs échanges étant sans cesse rythmés par les refus de divers restaurants de les accueillir, chacun mettant en avant le règlement interdisant l’entrée à des femmes portant des pantalons.

Ce qui donne sa saveur à l’écriture de cet album est le fait que les positions d’Yves Saint Laurent et de Betty Catroux se complètent sans réellement se rejoindre. Ces idées confrontées avec nuances évitent tant la simplicité de la bête confrontation que celle de l’aveugle accord. La tentation aurait pu être de faire de ce récit un pamphlet, court et percutant. Mais Loo Hui Phang n’est pas une scénariste qui fuit la complexité.

Quant à Benjamin Bachelier, s’il nous a habitués à ses démarches exploratrices, elles continuent de nous surprendre. Entre les couvertures de romans pour la jeunesse (Mathieu Hidalf), son travail de peintre (de grandes toiles mêlant abstraction et évocations animales brutes), ses carnets audacieux postés sur les réseaux sociaux et ses bandes dessinées, chacune marquée par des choix graphiques nouveaux, il semble faire sans cesse des allers-retours sur un fil tendu qui relie le territoire de la recherche à celui de la maîtrise. Ce fil est l’antithèse du coussin de lauriers.

Dans Smoking, il propose des pages éclatées, des jeux de découpe de papier assumés qui ancrent le visuel de l’album dans l’idée du « fait main » qui sied si bien au travail du couturier, et un trait fin qui s’approprie, en le rendant narratif, l’élégance de l’univers vestimentaire de Saint Laurent. On en redemande.


Smoking de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier, Albin Michel, 2024, 168 p.Le duo formé par la scénariste Loo Hui Phang et le dessinateur Benjamin Bachelier revient avec Smoking. La Révolution Yves Saint Laurent, deux ans après Oliphant (que nous avions chroniqué avec enthousiasme). Nous les avions laissés dans le froid, sur les traces des premiers explorateurs polaires. Ils nous reviennent...
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