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Nos Lecteurs ont la Parole

À quoi peut ressembler la Syrie de demain ?

À quoi peut ressembler la Syrie de demain ?

À Damas, en décembre 2024, la vie reprend, sous l’œil vigilant des rebelles. Mohammad Yassine/L’Orient-Le Jour

Pour comprendre les tensions, les turbulences et les luttes intestines qui agitent la Syrie, il faut remonter le temps et entreprendre un voyage à travers l’histoire, ancienne, médiévale et contemporaine, dont les moments forts se situent aux Ve, VIIe-VIIIe, Xe-XIIe et XXe siècles.

On remarquera que ce pays se caractérise par des particularités prononcées d’ordre ethnique et doctrinal, religieux et confessionnel, qui rejaillissent chaque fois, à l’origine de son instabilité. Que ce soit son christianisme – à caractère oriental – ou son islam – à caractère orthodoxe et nettement arabe –, ils ont durablement marqué le pays.

En outre, vu sa position géographique, le local, le régional et l’international y sont interdépendants. La Syrie fut de tout temps un enjeu de concurrence. Pays constamment convoité : hier une Syrie gréco-

romaine, par la suite des oppositions irrémédiables entre Omeyyades et Abbassides, et aujourd’hui les luttes sans merci des grandes puissances et des pays voisins.

Avant Rome, la Syrie était un berceau majeur du christianisme et foyer de plusieurs royaumes araméens (Damas, Hamat, la Djézireh…). Une grande partie des événements cités dans les Actes des Apôtres et les épîtres de Paul et de Pierre ont la Syrie historique comme terrain d’action. Et c’est dans ce pays que les premières églises sont nées et se sont structurées, dont les adeptes sont toujours activement présents. Néanmoins, s’accusant d’hérésie, elles se sont, durant des siècles, condamnées réciproquement.

Après l’avènement de l’islam, venu d’Arabie, les Omeyyades optèrent pour Damas comme capitale de l’Empire (660-750). Quoique de courte durée, cet Empire sera prospère et brillant, mais en lutte permanente avec ses adversaires, tant dans la péninsule Arabique (La Médine…) qu’en Irak (Karbala, Koufa…), et à l’intérieur. Mais Bagdad finit par lui ravir le pouvoir en 750, dans un contexte, il est vrai, tumultueux, qui a vu les Omeyyades massacrés par les Abbassides, lesquels deviennent pour plusieurs siècles les nouveaux maîtres (750-1258).

Toutefois, on ne dira jamais assez l’impact religieux et politique de la période syrienne omeyyade sur le peuple et les dirigeants syriens successifs, ainsi que sur l’imaginaire populaire, tant elle a durablement façonné les mentalités. La Syrie devient sunnite (actuellement 70 % de la population), défendant un arabisme intégral, fidèle en cela à ses ancêtres omeyyades qui décrétèrent l’arabisation totale du pays, trouvant dans l’islam et sa civilisation sa source culturelle et politique. Qui plus est, ces idées qui sont largement répandues dans la population, de nombreux chrétiens, se définissant arabes, y adhèrent. Ne dit-on pas avec fierté : « La Syrie est le cœur battant de l’arabisme » ? À l’inverse, l’islam syrien donnera naissance à des courants islamiques fondamentalistes, dont ses propres Frères musulmans. C’est ainsi que, du point de vue syrien, l’islam et l’arabisme se trouvent unis. C’est en tout cas son originalité qu’elle aime bien préserver.

Sur l’islam, on peut évoquer ibn Taymiyya (1263-1328), syrien lui-même, célèbre juriste, disciple du théologien Ahmad ibn Hanbal. Implacable polémiste, il critiqua vigoureusement les sectes au sein de l’islam. Il fut un interprète littéraliste du Coran et de la sunna, défenseur farouche de l’intransigeance doctrinale, hostile aux chrétiens et aux juifs, qualifiés de polythéistes et d’infidèles, et adversaire des chiites qu’il accuse d’être des ennemis plus dangereux que les juifs et les chrétiens. Parlant des devoirs des musulmans, il écrit : « Le représentant de l’autorité a pour premier devoir d’ordonner à tous ceux qui dépendent de son autorité de faire les prières prescrites par Dieu et de punir ceux qui s’en abstiennent. Ce devoir lui est imposé par l’accord unanime des musulmans. »

La même Syrie a toutefois produit un grand poète et écrivain de pensée sceptique : Abu al-‘Ala’ al-Ma’arri (973-1054).

La suite de l’Empire abbasside fut très mouvementée. Voilà que les Fatimides (chiites, hostiles aux sunnites), rivaux des Abbassides, se proclament les vrais califes de l’islam. Durant deux siècles, ils établissent un califat en Égypte (969-1171) à Fustat et édifient une nouvelle capitale, Le Caire (la Victorieuse). De l’Égypte, ils étendirent leur domination à la Syrie et à la Palestine. Mais sous ces Fatimides, les chiites, influencés par des réformateurs, se scindèrent sur le plan doctrinal en plusieurs branches, marquées par de notables différences. Or cette période est capitale, car elle verra naître en Syrie les alaouites (nusayris), les druzes et les ismaéliens, trois dérivés du chiisme, qui ont subi des persécutions de la part de l’islam orthodoxe. Désormais, les oppositions iront en se renforçant.

Cela ne rappelle-t-il pas les divisions des chrétiens des premiers siècles : théocratie chrétienne d’un côté, théocratie musulmane de l’autre ? Aussi, s’est-on mis à la poursuite des hérétiques.

En effet, de nombreuses batailles ont été menées contre les alaouites. Considérés comme des parias, leur histoire est parfois dramatique. Dans une fatwa, considérée comme « une très curieuse décision », par l’orientaliste René Dussaud, le juriste ibn Taymiyya, précédemment évoqué, les jugea plus infidèles encore que des idolâtres et déclara licite le jihad contre eux. Il écrit : « Cette religion maudite a envahi une grande partie de la Syrie, et ses sectateurs sont connus, célèbres. » Aussi,

fallait-il en finir avec ces mécréants et, au nom du rigorisme sunnite traditionnel, il déclare illicite de contracter mariage avec leurs femmes, et de les enterrer dans les cimetières. Ce qui explique leur refuge dans la montagne, dite des alaouites, où ils survécurent aux persécutions.

Un autre courant chiite qui subit des persécutions, c’est la communauté ismaélienne établie à Banyas, Qadmous, Masiyaf et Salamiyeh. Non loin de la montagne alaouite, Salamiyeh est aujourd’hui leur centre principal. Ayant des dogmes religieux perçus comme hérétiques par l’islam dominant, ils ont vécu isolés dans des territoires difficilement accessibles.

Quant aux druzes, leur histoire commence en 1017, et Swaida (au sud de Damas) est leur capitale, avec d’autres villes au nord de celle-ci : Qanawat et Shahba. Le général égyptien Ibrahim Pacha avait essayé lors de sa campagne de Syrie (1832-1837) de les soumettre, mais en vain. Comme les autres minorités ethniques et religieuses, les druzes tiennent à leur particularisme et leur autonomie,

Le XXe siècle est l’autre moment déterminant dans le destin de ce pays. Il se caractérise par une agitation permanente et une lutte acharnée pour le pouvoir, qui ont fortement ébranlé le pays. Peu de temps après l’indépendance, le 17 avril 1946, le pays a connu une série de coups d’État, toujours en butte à l’instabilité, voire à l’anarchie. Des partis politiques naissent, qui traduisent des idées nationalistes radicalement opposées (panarabisme et pansyrianisme), et des doctrines socialistes, communistes et islamiques. On assiste également à l’ascension des militaires, venant pour la plupart du monde rural et des classes moyennes, dont de nombreux minoritaires. Par la suite, le rôle des partis politiques et des militaires sera décisif.

D’ailleurs, deux ouvrages traduisent bien l’état d’esprit qui règne dans le pays. Rédacteur en chef du quotidien libanais Le Jour puis de L’Orient-Le Jour et correspondant du Monde à Beyrouth, Édouard Saab publie à Paris en 1968 un livre au titre évocateur : La Syrie ou la révolution dans la rancœur. En 1965, paraît à Londres le livre d’un journaliste britannique, un bon connaisseur de la Syrie, Patrick Seale : The Struggle for Syria : A Study in Post-War Arab Politics, 1945-1958.

La première Constitution syrienne promulguée après l’indépendance, adoptée en 1950, stipulait déjà que le peuple syrien fait partie de la nation arabe par son histoire, son présent et son avenir. Dans celle du 12 mars 1973, le législateur s’était contenté d’affirmer que « la religion du chef de l’État est l’islam » et « la doctrine islamique (fiqh) est une source principale de la législation ». Sur l’identité propre, le caractère panarabe de la Syrie était nettement affirmé : « La région arabe syrienne est une partie de la patrie arabe » et « le peuple dans la région arabe syrienne fait partie de la nation arabe », ajoute-t-on.

Cela dit, que prépare-t-on aujourd’hui ? On évoque une nouvelle Constitution, mais quels seront sa philosophie politique et son contenu ? Élargira-t-on le champ de la notion de nation arabe ? Introduira-t-on celle de nation islamique ? Ou bien optera-t-on en faveur de la diversité ethnique et religieuse et le pluralisme politique ?

De quoi donc demain sera-t-il fait ? L’avenir de la Syrie réside dans sa diversité.

Professeur honoraire en sciences politiques de l’Université catholique de Lyon, auteur de nombreuses publications,

spécialiste des chrétiens d’Orient et des assyro-chaldéens.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Pour comprendre les tensions, les turbulences et les luttes intestines qui agitent la Syrie, il faut remonter le temps et entreprendre un voyage à travers l’histoire, ancienne, médiévale et contemporaine, dont les moments forts se situent aux Ve, VIIe-VIIIe, Xe-XIIe et XXe siècles. On remarquera que ce pays se caractérise par des particularités prononcées d’ordre ethnique et doctrinal,...
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