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Culture - Exposition

Quand Katanani « (re)tisse » et « brode » en fils barbelés les Portes de la Galilée

L’artiste plasticien franco-palestinien, connu pour ses sculptures en tôle et fils barbelés, présente de nouvelles œuvres « tissées » avec ces mêmes matériaux recyclés du camp de réfugiés de Sabra au Liban, où il est né et a vécu sa jeunesse.

Quand Katanani « (re)tisse » et « brode » en fils barbelés les Portes de la Galilée

Abdul Rahman Katanani posant devant l'un de ses panneaux en fils barbelés brodé. Avec l'aimable autorisation de la Saleh Barakat Gallery. Photo Mansour Dib

Chaque artiste exprime un rapport au monde fondé sur son histoire personnelle. Celle de Abdul Rahman Katanani, né en 1983 dans le camp de réfugiés de Sabra, près de Beyrouth, devenu français d’adoption grâce à son talent, est fortement imprégnée de son identité palestinienne.

Celui qui s’est fait connaître par ses silhouettes d'enfants jouant au lance-pierre, au ballon ou au cerf-volant découpées dans des plaques en tôle ondulée, ainsi que par ses sculptures tourbillonnantes en fils de fer barbelés, a fait de l’utilisation exclusive de ces matériaux durs et acérés – les seuls auxquels il pouvait avoir accès – les éléments fondateurs de son art, désormais reconnu à l’international.

Une vue de l'exposition « The Story Portals » à la Saleh Barakat Gallery. Photo Mansour Dib

Qui dit Katanani pense aussitôt à des pièces puissantes, puisant leur esthétique contemporaine d’un travail douloureux. Des installations monumentales aussi. À l’instar de cette « Brainstroming » qu’il avait présentée à l’automne 2019 à la galerie Saleh Barakat de Beyrouth. Et dans laquelle l’artiste palestinien reproduisait un fragment du camp dans lequel il avait grandi, avec son amoncellement d’habitations faites de bric et de broc, traversées d’un labyrinthe de passages étroits. Une installation de grande échelle, composée de plaques de zinc et de tôle ondulée, de planches de bois et de miroirs réfléchissant les silhouettes des visiteurs de la galerie qui étaient invités à y déambuler afin de s’immerger dans l’atmosphère grouillante et suffocante de ces territoires enclavés où des populations entières sont parquées. Une œuvre que Abdul Rahman Katanani a réalisée dans l’objectif d’amener les amateurs de son travail à expérimenter, au plus près du réel, les dures conditions d’existence qui ont façonné son être et son art. Mais aussi à réfléchir (d’où le titre Brainstorming), sur un plan plus universel, « sur les questions de la précarité et de la contrainte à vivre dans des espaces fermés qui se posent de nos jours à l’échelle mondiale », confiait-il à la critique d’art Barbara Polla.

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Face à cette installation à travers laquelle l’artiste évoquait sans détours son vécu de réfugié enfermé dans un territoire limité, ainsi que, pire encore, son (ancien) statut d’humain aux libertés restreintes, se dressait également une monumentale «Vague » en fils barbelés.

Longue de 8 mètres et haute de 4 mètres, cette sculpture évoquant une lame de fond venait compléter cette installation décrivant la détresse d’une population palestinienne engluée dans une existence faite de frustrations et de contraintes, et dont la moindre tentative d’échappatoire, de sortie vers de plus amples horizons, se heurte à de menaçants périls…

Des tornades de métal aux panneaux au point de croix

Cinq ans plus tard, revoilà l’artiste quadragénaire, coiffure en pétard et sourire généreux, qui présente une nouvelle série d’œuvres baptisées « The Story Portals »* (« L’histoire des Portiques ») chez Saleh Barakat, le galeriste découvreur de son talent. Si le propos est toujours en lien avec ses origines et les matières utilisées toujours les mêmes, c’est à un travail inédit de tissage qu’il s’est livré cette fois.

L'artiste à l'œuvre et, à gauche, la pièce achevée. Avec l'aimable autorisation de la Saleh Barakat Gallery. Photo Mansour Dib.

Un travail né un an avant les événements cruciaux du 7 octobre 2023, quand Abdul Rahman Katanani entame une suite de panneaux monumentaux inspirés des broderies palestiniennes au point de croix (tatreez), en réponse à un défi lancé par le collectionneur Basel Dalloul de pouvoir reproduire en fils barbelés et plaques d’acier une série de tapisseries utilisées dans le passé pour orner les Portes de la Galilée. Abdul Rahman Katanani s'y lance après avoir fabriqué lui-même, avec l’aide de ses frères, un métier à tisser spécifique.

Puisant dans les motifs (amulette, œil de chameau, cyprès, palmier, dattes ou encore étoile cananéenne... ) et les techniques de broderie et du tissage typiques de la terre de ses ancêtres, l’artiste avait commencé par les reproduire à l’identique en tapisseries métalliques avant de changer totalement de cap, en se dirigeant vers l’abstraction, après l’irruption de la guerre à Gaza.

Chamboulé par la violence qui déferle alors sur la région, Katanani envisage d’abord d’abandonner ce travail au propos plus intimiste et empreint de nostalgie que ce qu’il a l’habitude de produire. Sauf qu’après quelques semaines d’interruption, il reprendra son métier à tisser, ses plaques et ses fils de métal acérés, parfois corrodés, d’autres fois colorés, pour exprimer à travers une suite de panneaux aux motifs déconstruits, comme jetés de manière désordonnée, le sentiment d’irréductible chaos qui enveloppe son monde.

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Travaillant également sur des plaques issues des barils de pétrole ou des carrosseries de véhicules de chantiers  (carcasses de caterpillar entre autres), ses œuvres deviennent aussi le réceptacle des symboles d’une contemporanéité où la convivialité et les éléments naturels de la région ont été remplacés par les batailles pour la domination des grandes puissances et des grandes industries. Celles de l’or noir notamment, nerf de la guerre.

Formée de neuf gigantesques panneaux (de plus de 3,65 mètres de hauteur par 2 mètres de largeur), « The Story Portals » invite les spectateurs à explorer un récit évolutif, reflétant la confrontation personnelle de l’artiste à la réalité contemporaine régionale faite de conflits brutaux et paradoxalement d’un inoxydable esprit de résilience ouvrant d’innombrables portiques de possibilités.

Présentées dans une scénographie mettant en relief leur mélange de grâce et de brutalité, ces pièces monumentales sont emblématiques d’une vitalité créative en permanence renouvelée chez Katanani. Ainsi que d'une formidable capacité à toujours extraire la beauté de l'adversité.

« The Story Portals » de Abdul Rahman Katanani à la Saleh Barakat Gallery, rue Justinien, secteur Clemenceau, Beyrouth. Jusqu’au 15  février.

Carte de visite : Rahman Katanani est né en 1983 dans le camp de réfugiés palestiniens de Sabra, au Liban. Titulaire d'un diplôme en beaux-arts de l'Université libanaise (UL), Institut des beaux-arts (2007), et d'un master des beaux-arts de l'UL en 2013, l’artiste qui vit et travaille à Beyrouth a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives au Liban et à l'étranger, tout en participant régulièrement à des programmes de résidence internationaux. Parmi les expositions individuelles récentes, citons Rituals à la Galerie Magda Danysz à Paris (2021) ; Self Portrait Total à la Galerie Analix Forever en Suisse (2020) ; Brainstorm chez Saleh Barakat Gallery, Beyrouth (2019). Ses œuvres font partie de plusieurs collections importantes, notamment :

Musée de l'Institut du monde arabe, Paris (donation Claude & France Lemand) ; Accor Hotels, France ; Boghossian Foundation, Bruxelles, Belgique ; Dalloul Art Foundation, Beyrouth, Liban ; Dar el-Nimer, Beyrouth, Liban ; Mathaf : Musée arabe d'art moderne, Doha, Qatar et la collection Philippe Jabre, Liban.

Chaque artiste exprime un rapport au monde fondé sur son histoire personnelle. Celle de Abdul Rahman Katanani, né en 1983 dans le camp de réfugiés de Sabra, près de Beyrouth, devenu français d’adoption grâce à son talent, est fortement imprégnée de son identité palestinienne. Celui qui s’est fait connaître par ses silhouettes d'enfants jouant au lance-pierre, au ballon ou au...
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