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Culture - Exposition

Et la vague l’emportera... ou pas

Après avoir été olivier et tornade, Abdel Rahman Katanani devient tsunami. À la galerie Saleh Barakat, l’artiste palestinien a transformé l’espace en une plate-forme où l’on réfléchit aux pourquoi et comment de notre (non)-existence. Dans un Liban enfoncé dans la crise politique, son œuvre est un regain d’espoir.

Abdel Rahman Katanani et son installation immersive.

Exposer le travail de l’artiste palestinien par les temps qui courent peut être vu comme un défi. Vu sous un autre angle, c’est une continuation des places publiques où l’on se questionne, s’interroge et réfléchit.

Abdel Rahman Katanani tord le fil barbelé depuis sept ans, le malmène et le transforme, au creux de ses mains, d’outil de répression, de séparation voire de torture, en pensée vivante et positive. Après en avoir fait des cordes à sauter (jeu des enfants dans les camps palestiniens), des cerf-volants et, plus tard, des oliviers ou des tornades, l’artiste a construit, aujourd’hui, une énorme vague qui peut soit emporter le Liban, soit le transporter vers des rivages plus calmes, plus apaisés. « Ce raz-de-marée qui se gonflait, grossissait, fermente depuis des années, je le voyais venir. Je sentais qu’un bouleversement allait advenir, qui pouvait être une source d’espoir pour le peuple libanais. Cette jeunesse, poursuit Abdel Rahman Katanani, n’est plus contrôlée comme les générations précédentes. Elle est libre de toutes sortes de préjugés sectaires et communautaires. Elle a construit son propre dialogue. Son propre langage ». Il est venu le temps du grand nettoyage et ce que les Libanais accomplissent aujourd’hui n’a pas de précédent. Un phénomène nouveau que la classe des dirigeants n’arrive pas à assimiler. Au peuple d’être totalement conscient de ce moment historique. « De prendre la vague qui les ramènera à des rivages plus tranquilles ou de se laisser emporter par elle et de s’autodétruire. »

Abdel Rahman Katanani aura tout vu, tout ressenti, tout compris. L’artiste visionnaire, qui est né et a grandi dans le camp palestinien de Sabra, s’est élevé, grâce à l’éducation reçue de ses parents qui privilégiaient la culture et le travail aux armes, pour atteindre l’inaccessible et l’ouverture d’esprit. Son enfance passée parmi les tôles et la ferraille, « où le tintement de la pluie sur le zinc se mélangeait aux chansons d’Oum Kalthoum » que lui faisait écouter son père, avouera-t-il, dans un épisode de la web-série Zyara (produite par Cine-Jam) qui lui était consacrée dans cette saison, ne l’a pas empêché de garder le sourire, voire un rire d’enfant. Un rire qui caracole et qui lui fait dépasser les blessures de la vie. Car malgré tous les écueils, l’enfermement, la frustration d’être dépourvu d’une « identité » physique et morale, Katanani a su briser toutes les frontières de la misère et de l’ignorance pour rejoindre les grands espaces ouverts de l’humanisme.

La nature nous apprend tout

Son rire communicatif, son énergie contagieuse, il les diffuse dans ce travail époustouflant, qui prend la forme d’une grande installation aux mille significations et résonances. La reproduction des taudis fabriqués en tôles qui évoquent le camp où il est né, aux multiples couleurs pleines d’espoir, évoquent la prison, un labyrinthe sans fin, grâce au jeu de miroirs, mais aussi un espace qui invite au « brainstorming » collectif. À rappeler que dans ce terme on entend le mot « storm », qui signifie orage. L’orage qui risquerait donc d’emporter ce milieu carcéral invite ainsi à traverser ce labyrinthe, et à entrer dans la vague. Haute et profonde de quatre mètres et demi et large de huit mètres, toute en fils barbelés, il faut la prendre avec tout ce qu’elle suppose de dangers, d’aléas et de risques. Pour nettoyer le pays, mais aussi pour se nettoyer soi-même. Car pour reconstruire un pays, il faut commencer par reconstruire le citoyen. Comme si on élaguait les arbres en hiver pour avoir une meilleure floraison en été. « Pour comprendre l’autre, il faut commencer par retrouver sa propre identité en tant qu’individu et se reconnecter avec la terre, dit Abdel Rahman Katanani. C’est la nature, dans tous ses éléments, quoique très violents, qui nous apprend tout. En demeurant ancré dans la terre, on se rapprochera de l’homme. »

Cette installation immersive est digne des grandes installations internationales dans un espace approprié qu’est la galerie Saleh Barakat. « En octroyant à l’artiste cet espace, j’ai voulu montrer au monde qu’avec les moyens de bord, on peut faire comme les autres galeries internationales sinon mieux », dit le galeriste.

Un « wall of fame » sur les dirigeants du Moyen-Orient et leur rapport avec le pétrole est aussi accroché sur les cimaises de la galerie. Une étude élaborée et contemplative sur ce qui arrive dans la région et sur la place que chaque citoyen devrait adopter avec maturité pour enfin se libérer de tout lien.


Pour mémoire

Abdel Rahman Katanani : d’air, de terre et de fer

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