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Grégoire Bouillier, en quête de vérité

Après Le Cœur ne cède pas (prix André Malraux 2022) paru chez Flammarion, Grégoire Bouillier remet son double littéraire, l’inspecteur Bmore, sur la piste d’une nouvelle enquête. Quel puissant secret se cache dans la gigantesque toile des Nymphéas de Monet exposée au musée de l’Orangerie ? C’est le mystère que l’auteur-inspecteur entend percer. Mais quand le fin limier sort sa loupe, c’est à une révolution du regard qu’il invite.

Grégoire Bouillier, en quête de vérité

D.R.

Le Syndrome de l’Orangerie de Grégoire Bouillier, Flammarion, 2024, 432 p.

Ils sont des milliers de visiteurs par an, des millions au fil des années, à se rendre au musée de l’Orangerie dans le jardin des Tuileries à Paris pour contempler le chef-d’œuvre de Monet, Les Nymphéas. La toile qui couvre tous les murs de la galerie. Des œuvres impressionnistes, elle est la plus impressionnante.

L’inspecteur Bmore, toujours à la recherche d’une affaire à déterrer, de préférence un fait-divers bien enfoui sous les strates du temps, accompagne sa délicieuse collaboratrice, la pétulante Penny qui n’a jamais aimé les grands panneaux de Monet.

Que n’a-t-il fait là le galant Bmore ? Car face aux tableaux, cherchant à les commenter, le voici saisi d’une drôle de sensation. Là où certains vantent les vertus apaisantes de l’œuvre de Monet, Bmore, lui, est soudain pris d’un état de panique. « Pour moi, tout semblait flou, incertain, brumeux, crépusculaire, malsain, chaotique, funèbre. »

Si le tableau de Monet est capable de lui faire un tel effet, c’est qu’il recèle en lui un secret vénéneux. Voici qu’il déclare à sa charmante collaboratrice : « Je suis très sérieux Penny. Monet a enterré quelque chose ou quelqu’un dans ses Nymphéas. Cette peinture pue la mort ! J’en suis persuadé, même si personne ne s’en doute. Le problème, c’est qu’il faudrait zoomer follement. Étudier à la loupe chaque centimètre carré des huit panneaux. »

Bingo. Bmore vient de trouver le sujet de sa nouvelle enquête.

Et si un cadavre gisait dans la grande vasque des Nymphéas ?

Et si le tableau grandiose qu’offre Monet à l’État français le lendemain de l’armistice en 1918 en symbole de paix était en réalité un monument funéraire ? Une œuvre catafalque ? Un tombeau ?

Qu’à cela ne tienne. Bmore veut en avoir le cœur net et passe à l’action. Quand Bmore est sur une piste, il ne la lâche plus…

On ne dévoilera pas par quelles circonvolutions intellectuelles, prouesses imaginatives et autres recoupements acrobatiques, Bmore va percer le secret du tableau, ce que l’on peut dire c’est que Le Syndrome de l’Orangerie est un des meilleurs romans de la rentrée.

Procédant par intuitions et recoupements, jouant des apartés, maniant la digression, voire l’élucubration avec une joie sans égale, Bouillier embarque le lecteur dans sa quête obsessionnelle. Il l’assaille et le conquiert. Car oui – et il peut aisément en faire la démonstration – il y a un point commun et même un lien d’union évident entre le professeur Tournesol, les camps d’Auschwitz-Birkenau, les maris cocus, James Bond dans Mourir peut attendre (2011), la poésie d’Edgar Alan Poe, le Printemps de Vivaldi, la correspondance d’Émile Zola, les kimonos japonais, les insomnies de Winston Churchill, Blow-up d’Antonioni et la pièce Amédée de Jean Anouilh.

Loin du convenu, loin du convenable, Bouillier se fait voyant. Par sa maestria et son humour, sa pertinence et son acuité, il renverse les a priori et dénonce les contre-vérités sur la peinture. À force d’être vu, le chef-d’œuvre de Monet comme beaucoup d’autres ne se donnent plus à voir. Il faut réinventer notre regard pour de nouveau les contempler. Rappelant de la sorte que la vérité est toujours dans l’œil de celui qui regarde et affaire de dévoilement, en démythifiant les Nymphéas, Bouillier les remagnifie.

Incroyable investigation. Toute puissance du roman qui fait d’un ruisseau un torrent, d’une pièce de bois un bateau, loin des conventions et des discours rabâchés sur la culture de bon goût, ce Syndrome redonne à voir et à penser. Et que vogue la littérature en liberté. On n’est pas loin du chef-d’œuvre.


Le Syndrome de l’Orangerie de Grégoire Bouillier, Flammarion, 2024, 432 p.Ils sont des milliers de visiteurs par an, des millions au fil des années, à se rendre au musée de l’Orangerie dans le jardin des Tuileries à Paris pour contempler le chef-d’œuvre de Monet, Les Nymphéas. La toile qui couvre tous les murs de la galerie. Des œuvres impressionnistes, elle est la plus...
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