
Des centaines de Palestiniens déplacés de force par les soldats israéliens à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 26 janvier 2024. Mahmoud Hams/AFP
Dans une enquête-fleuve, où plus d'une centaine de soldats et fonctionnaires israéliens, des dizaines de victimes palestiniennes de frappes, ainsi que des experts militaires ont été sollicités, le New York Times (NYT) révèle que le gouvernement et l'état-major israéliens ont adopté dans la foulée des attaques du Hamas, en octobre 2023, une série de mesures autorisant le bombardement à l'aveugle d'un grand nombre de civils pour chaque frappe aérienne sur Gaza.
Le 7 octobre 2023, à 13 heures, l'armée israélienne a modifié ses règles d'engagement, déclenchant une campagne de bombardements d’une intensité exceptionnelle contre l'enclave palestinienne. Estimant que cette offensive, qui a provoqué la mort de 1 200 personnes en Israël et l’enlèvement de 250 otages, constituait une menace existentielle, les dirigeants israéliens ont accordé aux officiers de rang intermédiaire le pouvoir de frapper un large éventail de cibles, tout en acceptant un risque accru pour les civils.
Un seuil de 500 victimes par jour
Dès le lendemain, une directive militaire autorisait les frappes sur des cibles à Gaza, même si elles risquaient de provoquer jusqu’à 500 victimes civiles par jour. Ce seuil était fixé à 20 victimes civiles pour un cadre intermédiaire du Hamas. Bien que présentées comme des mesures de précaution, ces limitations ont en réalité été supprimées deux jours plus tard. Les officiers ont alors disposé d’une liberté totale pour mener des frappes jugées légales, laissant à leur discrétion l’évaluation des pertes humaines.
L'article démontre par ailleurs que dans les premières semaines de l'offensive israélienne sur le réduit palestinien assiégé, 90 % des munitions larguées par l’État hébreu étaient des bombes d’une tonne ou plus, souvent américaines. Si ces armes étaient censées détruire les tunnels du Hamas, elles ont également rasé des immeubles entiers, alors qu’une munition plus légère aurait suffi. Ces largages massifs ont entraîné des pénuries de kits de guidage, forçant l’armée à utiliser des bombes moins précises, voire désuètes, datant de la guerre du Vietnam.
Des cibles rapidement épuisées
Débordés, les services de renseignements israéliens ont fait appel à l’intelligence artificielle via des systèmes tels que « The Gospel ». Ces outils, bien que puissants, se basaient souvent sur des données obsolètes ou imprécises, augmentant les risques d’erreurs. Des bases de données comme « Lavender » recensaient les numéros de téléphone et les adresses associées à des individus considérés comme des militants des groupes armés palestiniens, mais les informations étaient parfois inexactes. Dans certains cas, le seul fait d'être listé dans la base de donnée constituait une raison suffisante pour être considéré comme une cible confirmée, simplement parce que son téléphone semblait se trouver à peu près au même endroit qu'une adresse liée à son propriétaire. Le système signalait alors et enregistrait les appels téléphoniques de ce dernier.
Par ailleurs, la pression intense pour identifier rapidement de nouvelles cibles a parfois conduit à des évaluations hâtives. Des unités d’élite consacraient leurs efforts à des figures de haut rang, tandis que d’autres devaient localiser des milliers de combattants de rang inférieur en un temps limité. Dans certains cas, les renseignements manquaient de fiabilité, mettant en danger des civils innocents.
Modèle d’évaluation des risques imprécis
Pour estimer les pertes civiles, l'armée israélienne utilisait un modèle divisant Gaza en 620 secteurs et évaluait la présence humaine à partir des signaux téléphoniques. Mais ce modèle était biaisé par les pannes électriques, les regroupements de populations et des marges d’erreurs dans la localisation des téléphones.
Ainsi, le 16 novembre 2023, un immeuble de trois étages à Zeitoun a été frappé. Sur les 52 occupants, 42 ont été tués. Les estimations militaires, basées sur les niveaux d’activité téléphonique, suggéraient à tort que l’immeuble était vide.
Des cas similaires ont été signalés tout au long des 14 mois d'offensive israélienne à Gaza, poursuit l'article du NYT. Au cours d’une frappe visant un agent de change lié au Jihad islamique, les renseignements n’avaient pas été actualisés depuis sept heures. Bien que la cible ait survécu, deux femmes ont ainsi été tuées par erreur.
Critiques internes
Les officiers américains ont exprimé leur inquiétude face aux erreurs systémiques du modèle israélien. À l’intérieur de l’armée israélienne, certains analystes ont demandé une surveillance accrue au moyen de drones pour limiter les pertes civiles. Malgré ces avertissements, peu d’actions correctives ont été entreprises.
Les systèmes de surveillance, bien que sophistiqués, n’étaient pas exempts de défauts. Des interceptions téléphoniques ou des triangulations de signaux fournissaient des données parfois obsolètes ou incomplètes. Dans plusieurs unités, les officiers manquaient de temps pour vérifier minutieusement les informations avant une frappe, ajoute l'article.
Depuis novembre 2023, des restrictions imposaient des autorisations spéciales pour les frappes risquant de tuer plus de 10 civils. Mais ces seuils, bien supérieurs aux normes précédentes, n’ont pas empêché des pertes massives. En juillet 2024, une frappe ciblant le commandant du Hamas, Mohammad Deif, a provoqué 57 morts.
Deux officiers ont été licenciés pour une frappe ayant tué des travailleurs humanitaires, mais aucune charge judiciaire n’a été retenue contre les responsables militaires impliqués dans des centaines d’autres frappes controversées.
Un bilan humain accablant
Des milliers de civils ont été tués ou blessés dans ces opérations, soulignant les coûts humains d’une stratégie militaire où les technologies modernes n’ont pas toujours préservé les vies innocentes.
Malgré une baisse significative du nombre de munitions utilisées depuis février 2024, les frappes restent intenses et continuent d’alimenter un débat international sur la proportionnalité des attaques. Dans un contexte où les infrastructures de Gaza sont déjà ravagées, les frappes sur des lieux sensibles comme des hôpitaux ou des zones densément peuplées exacerbent une crise humanitaire déjà critique, où le risque de famine est établi par l'ONU.
L'armée israélienne a publié un communiqué confirmant qu'elle avait lancé un raid sur l'hôpital Kamal Adwan, affirmant que l'établissement médical « servait de bastion aux terroristes du Hamas dans le nord de la bande de Gaza », sans fournir de preuves. Elle a également accusé le Hamas de violer le droit international en « utilisant abusivement les infrastructures civiles et la population comme boucliers humains pour ses activités terroristes » afin de justifier l'évacuation de force du personnel soignant et des patients présents dans l'établissement.
Le ministère de la Santé de Gaza a annoncé dans son dernier bilan qu'au moins 45 436 Palestiniens ont été tués et que 108 038 autres ont été blessés depuis le 7 octobre 2023 à Gaza.
Quatorze pays se sont joints ou ont fait part de leur intention de se joindre à la plainte pour génocide déposée par l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice. Des organisations telles que les Nations unies, Human Rights Watch et Amnesty International ont aussi estimé que les actions israéliennes à Gaza étaient compatibles avec le crime de génocide.
Incroyable! y-a-t-il des preuves? C'est de l'antisémitisme!
01 h 59, le 28 décembre 2024