Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

ŠAMAŠ, le cri de Zad Moultaka pour la paix, s’expose à Paris

« ŠAMAŠ, crier la paix », de Zad Moultaka, s’expose depuis le 10 décembre à l’Institut du monde arabe, à Paris. Créée en 2017, cette « prière pour que la violence cesse » est d’une incroyable actualité. À voir et écouter jusqu’au 6 avril 2025.

ŠAMAŠ, le cri de Zad Moultaka pour la paix, s’expose à Paris

Le compositeur et artiste plasticien libanais Zad Moultaka. Copyright IMA/Alice Sidoli

« Je ne suis pas sûr que j’aurai créé cette œuvre aujourd’hui, vu la charge qu’elle porte », révèle Zad Moultaka, à la veille de l’ouverture au public parisien de son installation sonore et visuelle, ŠAMAŠ, conçue en 2017 pour représenter le pavillon libanais de la 57e Biennale d’art de Venise.

Après avoir voyagé à Beyrouth et Helsinki, « ŠAMAŠ, crier la paix » fait donc escale à l’Institut du monde arabe, jusqu'au 6 avril 2025.

Le public est invité à entrer dans un temple, plongé dans l’obscurité totale. Petit à petit, des lumières s’allument et une ogive, telle une obélisque, apparaît au centre de la pièce. Il s’agit en fait du moteur d’un bombardier, de plus de six mètres de hauteur. Sur le mur du fond, comme un plan archéologique vu du ciel d’une cité détruite, apparaissent 150 000 pièces libanaises, réincarnation du veau d’or, car guerre rime toujours avec argent.

Organisée en trois temps, cette pièce de presque 12 minutes allie innovations sonores et expériences visuelles, et se répète, indéfiniment, comme un palindrome, quelque chose qui commence, qui se termine, qui recommence sans cesse.

Après Beyrouth et Helsinki, « ŠAMAŠ, crier la paix » fait escale à l’Institut du monde arabe, à Paris. Copyright IMA/Alice Sidoli

La genèse d’une œuvre est un processus « toujours très mystérieux », estime Zad Moultaka, qui tente cependant d’expliquer le processus, « avec des petits bouts de mémoire ». Tout est donc parti d’une phrase du médecin, historien de l'art et essayiste Élie Faure, selon lequel toute civilisation porte en elle le germe de sa destruction, explique le compositeur et artiste plasticien franco-libanais. Il fait en même temps la rencontre physique avec le code d’Hammurabi, considéré comme le premier code de lois, gravé sur une haute stèle de basalte noire il y a près de 4 000 ans en Mésopotamie, et exposé au musée du Louvre. La forme de celui-ci lui rappelle celle du bombardier. Celle de l’hélice en haut du moteur fait, elle, écho au soleil gravé au sommet de la stèle d’Hammurabi, représentant le dieu Shamash, le dieu de la justice. « Les choses commençaient vraiment à se connecter entre elles », explique Zad Moultaka, qui réfléchit alors sur cette installation, laquelle ne devait être que visuelle à l’origine. Mais l’artiste est surtout et avant tout compositeur.

Lire aussi

À Venise, Zad Moultaka célèbre Stravinsky et la transition vers un nouveau monde

Il prend alors le son du bombardier qui passe, très vite (12 secondes), et l’étire jusqu’à 10 minutes. « En filtrant le son, quand on regarde les aigus de ce son-là, étiré, ralenti, on entend un chœur, comme des lamentations, comme des pleurs. Et j'aime bien cette idée, comme si la violence de ce moteur portait en elle les traces des gens qui ont été violentés », explique Zad Moultaka.

Les 32 chanteurs du chœur de l’Université antonine, sous la direction de Toufic Maatouk, entonnent une sorte de lamentation, une espèce de mélopée, d’incantation, de prière, enregistrée avec l'Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique en France, NDLR) et diffusée dans des haut-parleurs, un peu comme des fantômes.

La première partie de l’œuvre s’achève par la destruction violente et terrible, notamment celle du langage, qui tente de se reconstruire, avec des bribes de mots, des mots hachurés, empruntés au sumérien, « comme si une bombe était tombée dans la langue, et l'avait éparpillée, émiettée », explique le compositeur.

« Les bourreaux d'hier sont les victimes d'aujourd'hui, et les victimes d'aujourd'hui seront les bourreaux de demain »

Une installation artistique, poétique et politique qui traverse l'histoire de la civilisation orientale et clame un appel urgent à la paix dans le monde d’aujourd’hui. Copyright IMA/Alice Sidoli

Enfin, l’œuvre se termine par la lecture d’un texte, en arabe, sur la violence, mais en même temps porteur d’un message de paix, dit une petite fille. D’une incroyable actualité, c’est en fait une lamentation sur la destruction de la ville d’Ur, qui date de 4 000 ans.

« J'aimerais que cette installation puisse fonctionner comme un espace cathartique, espère Zad Moultaka. Quand je l'ai créée en 2017, le Liban n'était pas en guerre comme aujourd’hui. J'ai voulu faire quelque chose qui parle de la violence quelle qu'elle soit, parce que les bourreaux d'hier sont les victimes d'aujourd'hui, et les victimes d'aujourd'hui seront les bourreaux de demain. Donc cette œuvre se situe vraiment à cet endroit-là, elle n'est pas pour le Liban, elle ne prend pas partie, la seule partie qu'elle prend, c'est contre la violence quelle qu'elle soit. »

En mémoire

Zad Moultaka, Enkidu, Gilgamesh et le talon d’Achille

Si l’installation de Zad Moultaka a pu être montée – en moins d’un mois – dans les espaces de l’IMA (elle occupe 280 mètres carrés), c’est du fait de la situation au Liban. Une exposition consacrée à Byblos, cité millénaire du Liban, devait en effet ouvrir ses portes le 26 novembre. Mais l’IMA et ses partenaires décident d’annuler l’événement mi-octobre, face à l’ampleur des bombardements israéliens dans le pays du Cèdre depuis la fin septembre et l’impossibilité de préparer et acheminer les 400 œuvres libanaises vers Paris. Élodie Bouffard, responsable des expositions à l’IMA repense alors à l’installation de Zad Moultaka qu’elle a pu voir au musée Sursock, à Beyrouth, en 2018. « Cette œuvre, qui m’a beaucoup marquée, revenait de façon lancinante ces derniers mois, explique-t-elle. Elle résonnait terriblement juste, en interrogeant tout le monde sur le sens de ce désastre. Vu le contexte au Liban, nous voulions présenter cette œuvre à nos publics. »

L’installation a donc été installée en un temps record, grâce à « un travail d’orfèvre, de haute couture » pour réaliser tous les réglages sonores et visuels.

L’exposition consacrée à Byblos est reportée quant à elle à mars 2026.

« Je ne suis pas sûr que j’aurai créé cette œuvre aujourd’hui, vu la charge qu’elle porte », révèle Zad Moultaka, à la veille de l’ouverture au public parisien de son installation sonore et visuelle, ŠAMAŠ, conçue en 2017 pour représenter le pavillon libanais de la 57e Biennale d’art de Venise.Après avoir voyagé à Beyrouth et Helsinki, « ŠAMAŠ, crier la...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut