Critiques littéraires Bande dessinée

Au départ était la grotte...

Au départ était la grotte...

Pigments d’Emmanuel Guibert, Étienne Davodeau, Troubs, David Prudhomme, Edmond Baudoin, Pascal Rabaté et Marc Azéma, Futuropolis, 2024, 160 p.

e visitais, il y a quelques semaines, la réplique de la grotte Cosquer, à Marseille, l’un des principaux lieux de préservation de l’art rupestre de France. L’un de mes compagnons de visite, prenant l’expérience sans la questionner, a cru se trouver dans la grotte originale, face aux dessins originaux, et n’a découvert sa méprise qu’à la sortie de la visite. Je l’ai jalousé, conscient qu’une visite avec cette état d’esprit aurait été une expérience d’une autre dimension.

Car c’est ce lien direct avec les gestes d’un lointain passé que nous recherchons lorsque nous nous confrontons à des dessins préhistoriques. Nous voyons bien que l’exécution des dessins, la synthèse des animaux représentés en quelques lignes n’ont probablement duré que quelques minutes tout au plus. Être face à la trace d’un moment furtif du passé ne laisse pas indifférent. Le sentiment de présence est plus palpable que lorsqu’on fait face, dans un musée, à une peinture académique, fruit de plusieurs semaines de labeur.

Il y a quelques années, sept dessinateurs de bande dessinée avaient été conviés à des visites de grottes ornées, organisées à leur intention. Emmanuel Guibert, Étienne Davodeau, Troubs, David Prudhomme, Edmond Baudoin et Pascal Rabaté s’y étaient rendus carnets de croquis entre les mains, et avaient eu l’occasion de prendre le temps, face aux dessins de leurs lointains ancêtres, de dialoguer avec eux en dessin. De cette expérience était né un livre sobrement intitulé Rupestres.

Aujourd’hui, une autre aventure leur est proposée : il ne s’agira cette fois plus de dessiner sur papier pour faire écho aux dessins d’un lointain passé, mais d’investir à leur tour de leurs dessins les parois d’une grotte vierge. D’autres avant eux l’avaient rêvé, tels Picasso qui, dit-on, était très marqué par sa fréquentation de l’art rupestre. Ce sont donc des auteurs de bande dessinée qui le feront, pendant dix jours d’une expérience collective à l’occasion de laquelle s’est jointe à eux la dessinatrice Chloé Cruchaudet.

De cette seconde aventure en grotte sont nées deux œuvres : un reportage vidéo tourné par Marc Azéma, couvrant les dix journées de dessin, et un nouvel album de bande dessinée, direct prolongement de Rupestres, et cette fois intitulé Pigments.

Dans cet album, chacun témoigne à sa manière de ces journées, lampe torche sur le front dans le noir de la grotte. Chacun observe aussi l’attitude des autres, leurs tâtonnements, leurs instincts, face à ce vertige de reproduire l’expérience d’un passé quasi originel.

On le sent bien, lorsque ces huit dessinateurs ont eu l’opportunité de dessiner sur les parois d’une grotte, leur intention n’était pas la prouesse graphique. L’envie se situait ailleurs. Il s’agissait avant tout de créer du lien. Du lien entre eux et les dessinateurs préhistoriques, mais aussi entre eux et les éléments (les parois rocheuses suintantes), et, plus simplement du lien entre eux. Le dessin retrouvait son essence physique, émotive et destinée au partage.


Pigments d’Emmanuel Guibert, Étienne Davodeau, Troubs, David Prudhomme, Edmond Baudoin, Pascal Rabaté et Marc Azéma, Futuropolis, 2024, 160 p.e visitais, il y a quelques semaines, la réplique de la grotte Cosquer, à Marseille, l’un des principaux lieux de préservation de l’art rupestre de France. L’un de mes compagnons de visite, prenant l’expérience sans la questionner, a cru se...
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