
Notre pays, jadis le phare du monde arabe en matière d’expression et d’innovation littéraire, a donné naissance à des auteurs emblématiques tels que Gebran Khalil Gebran, originaire du village de Bécharré. Joseph Eid/AFP
Toutes les grandes civilisations possèdent une littérature riche qui reflète leur grandeur et leurs valeurs. Tout débute vraisemblablement dans la région de Mésopotamie, surnommée le pays entre les deux fleuves, en l’occurrence le Tigre et l’Euphrate. C’est dans cette région que sont nées les premières cités-États, telles que Ur, Babylone, Uruk et Nippur. L’introduction de la vie urbaine a permis l’évolution de cette ancienne civilisation et donc la production des premières œuvres littéraires majeures, comme l’Épopée de Gilgamesh, rédigée vers 2 100 avant J.-C.
Cependant, il faut attendre le VIIIe siècle avant J.-C. dans la Grèce antique pour voir émerger d’éminents poètes comme Hésiode et Homère. Parallèlement, les anciens Grecs ont inventé de nouvelles formes littéraires, telles que la tragédie et la comédie, avec des dramaturges comme Sophocle, Euripide et Aristophane. La Grèce antique a aussi jeté les bases de la philosophie avec des figures emblématiques telles que Platon, Socrate et Aristote.
En Asie, la Chine ancienne a joué un rôle majeur dans la philosophie et la pensée morale, notamment avec les enseignements de Confucius, qui remontent aux VIe-Ve siècles avant J.-C. De son côté, l’Inde ancienne a aussi joué un rôle dans l’essor de la littérature sanskrite avec des œuvres épiques telles que le Ramayana (environ Ve siècle avant J.-C.) et le Mahabharata (vers IVe siècle avant J.-C.IVe siècle après J.-C.).
À partir du IIIe siècle avant
J.-C., la Rome antique a contribué à l’enrichissement de la littérature latine en s’inspirant des grandes œuvres grecques. Par exemple, Livius Andronicus (vers 280-204 avant J.-C.) a été l’un des premiers à adapter des tragédies grecques en les traduisant en latin. Par la suite, la littérature latine s’est grandement diversifiée, englobant l’épopée, la poésie, le théâtre, la philosophie, la rhétorique et l’histoire. C’est dans ce contexte que la Grande Rome a été profondément marquée par des figures emblématiques telles que les poètes Horace et Ovide, les dramaturges Plaute, Térence et Sénèque, ainsi que les philosophes Épictète et Cicéron. D’autre part, des historiens comme Tite-Live, Tacite et Suétone ont documenté les événements majeurs de l’histoire romaine, tandis que Jules César, dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, a décrit ses exploits en latin avec une prose puissante et percutante.
Au Xe siècle, la littérature arabe a connu son véritable âge d’or. La cour des califes abbassides de Bagdad, notamment sous le règne de Haroun al-Rachid, est devenue un centre culturel majeur, attirant des érudits venus des quatre coins du monde. Cette période se distingue également par la traduction et l’adaptation des textes grecs et perses en arabe, un savoir littéraire qui sera ensuite transmis à l’Europe médiévale. En poésie, al-Mutanabbi reste une figure emblématique de la littérature arabe, avec des vers empreints de musicalité sublime et d’une volubilité intime. Par ailleurs, Les Mille et une nuits offrent une fascinante ouverture sur l’imaginaire et le spectaculaire, faisant de la narration une source exaltante de contemplation et d’évasion.
Durant la période de la Renaissance, les humanistes en Europe ont cherché à renouer avec les idéaux de l’Antiquité gréco-romaine. Ils ont donc traduit des œuvres anciennes qui avaient été oubliées ou négligées pendant le Moyen Âge, en particulier les écrits de Platon, Aristote, Cicéron et Virgile. Vers la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, le théâtre du grand Shakespeare s’est imposé comme un genre littéraire majeur, apportant une nouvelle forme de création littéraire. Par la suite, l’invention et l’expansion de l’imprimerie ont favorisé la circulation des livres à travers l’Europe, permettant une expansion significative de nouveaux genres littéraires, tels que les romans et les mémoires.
En France, le classicisme a pris de l’ampleur au XVIIe siècle, avec des écrivains comme Molière, Corneille et Racine. Ces grands auteurs ont redéfini l’art du théâtre en appliquant des règles strictes de l’unité de temps, de lieu et d’action, des concepts inspirés de l’Antiquité gréco-latine. Le XVIIIe siècle est l’âge des Lumières, une époque profondément influencée par des penseurs comme Voltaire, Rousseau et Montesquieu.
Le romantisme du XIXe siècle a marqué une rupture avec les idéaux classiques et a mis l’accent sur l’humanisme, le subjectivisme et l’individualisme. Victor Hugo, dans son œuvre monumentale Les Misérables, analyse la complexité des sentiments humains et des inégalités sociales à travers le personnage émouvant et touchant de Jean Valjean. Avec Les Fleurs du mal (1857), Charles Baudelaire a redéfini les contours de la poésie en abordant des thèmes jusqu’alors peu explorés, comme la beauté dans la laideur, le spleen lié à la mélancolie profonde et la quête souvent illusoire de l’idéal.
Plus tard, au XXe siècle, des écrivains comme Albert Camus, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont stimulé la réflexion littéraire, souvent en remettant en question nos opinions et nos convictions dans un monde troublant et souvent angoissant. Par la suite, les œuvres d’écrivains tels qu’André Gide, Maurice Merleau-Ponty et Michel Foucault ont contribué au façonnement encore plus grand de la pensée critique en ouvrant la voie à de nouvelles formes d’engagement civique et philosophique.
Finalement, l’histoire nous enseigne qu’une grande littérature ne naît pas du néant. Elle s’épanouit dans un terreau fertile, nourrie par une civilisation puissante et tolérante. En l’absence de liberté d’expression, la littérature risque de perdre son authenticité et sa créativité. En effet, la littérature a un besoin fondamental d’exprimer les sentiments humains de manière éloquente et pertinente, sans crainte ni contrainte. C’est une condition sine qua non pour l’évolution d’une littérature belle et intemporelle, capable de transcender les frontières et de briser les barrières. C’est dans ce contexte que je voudrais évoquer le cas tragique du Liban. Notre beau pays fut jadis le phare du monde arabe en matière d’expression et d’innovation littéraire. Il a donné naissance à des auteurs emblématiques tels que Gebran Khalil Gebran, originaire du village de Bécharré, situé au pied des montagnes éternellement couvertes de neige du Mont-Liban, et parées de magnifiques cèdres millénaires, symbole majestueux de notre drapeau national. Les choses sont en train de changer au pays du Cèdre car, malheureusement, nous nous dirigeons irrémédiablement à contre-courant de notre belle tradition de liberté et de créativité.
Prenons l’exemple flagrant et navrant du festival littéraire francophone organisé au Liban en octobre 2022. Des auteurs éminents, dont plusieurs personnalités juives, étaient invités à cet événement culturel inédit. Cependant, le ministre libanais de la Culture a malencontreusement accusé certains des auteurs francophones de « sionisme », ce qui a poussé plusieurs intellectuels, dont des membres du prestigieux prix Goncourt, à se désister, et ce à contrecœur. Alors, pourquoi s’étonner que le Liban, qui a joui d’une liberté d’expression sans précédent durant la majeure partie du XXe siècle, régresse dans tous les domaines socio-économiques au lieu de progresser ? Il est triste de constater que nous sommes en train de miner délibérément et irréversiblement les fondements les plus précieux de notre identité intellectuelle et culturelle.
Karim S. REBEIZ
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