Dans le calme et la sérénité du paysage à Bkerké, le patriarche maronite essaye de rester optimiste sur l’avenir du pays, en ces jours de tourmente. Il affirme à ses visiteurs qu’il n’est pas inquiet pour le Liban ni pour son système, assurant que le pays ne peut exister que dans sa diversité.
Devant une délégation du conseil de l’ordre des rédacteurs menée par Joseph Kossayfi, Mgr Béchara Raï tient un discours rassembleur et estime que la priorité devrait être actuellement accordée à la situation des quelque 1,2 million de déplacés. D’emblée, le patriarche évoque le rôle de la presse dans la crise grave que traverse actuellement le pays. Il commence par remercier les journalistes, ceux qui sont en première ligne et les autres, qui ont tous une grande responsabilité aujourd’hui, car « les Libanais ont besoin d’être rassurés et de se calmer. Les médias devraient d’ailleurs mettre en avant les éléments positifs et réduire les éléments négatifs pour redonner de l’espoir aux gens ».
Évoquant le sommet spirituel qui a eu lieu récemment à Bkerké, le patriarche affirme que c’est un pas pour renforcer l’unité des Libanais. Il confie qu’une commission chargée du suivi de ce sommet est en train d’être formée et elle devrait se réunir le plus tôt possible pour préparer un séminaire consacré à la cause des déplacés et aux moyens de faire face à cette crise. Les recommandations adoptées seront soumises à un nouveau sommet spirituel qui leur serait consacré. « Les déplacés n’ont pas seulement besoin de toit pour les abriter, de médicaments et de nourriture, dit-il. Ils ont aussi besoin de respect et d’amour. Les mots sont très importants à cet égard et vous les possédez », dit-il en s’adressant aux journalistes. Craint-il une discorde interne en raison du grand nombre de déplacés ? Mgr Raï précise justement qu’avec les autres chefs religieux, il travaille sur le terrain pour accueillir les déplacés dans les meilleures conditions possibles. « Notre mot d’ordre, dit-il, est que nous voulons vivre ensemble quelles que soient les circonstances. Nous essayons d’accueillir tout le monde sans faire de distinction et nous ne faisons pas de politique. »
En réponse à une question sur l’existence d’un froid entre lui et le Vatican, qui lui aurait même demandé de présenter sa démission, le patriarche maronite affirme qu’il n’y a rien de vrai dans ces allégations. « J’ai rencontré le pape au cours de ma dernière visite au Vatican, pour la béatification des frères Massabki, et c’est moi qui ai demandé au Vatican dans une lettre datant du 28 février 2024 d’accepter que Mgr Boulos Rouhana, le vicaire patiarcal de sarba, me remplace et représente le patriarcat maronite au synode, car il a largement contribué à sa préparation. Je me suis donc entretenu avec le pape et avec le cardinal Parolin, c’est pourquoi je peux affirmer qu’il n’y a aucune démission en cours ni aucune mise à l’écart me concernant. »
Interrogé sur les négociations pour la conclusion d’un cessez-le-feu, le patriarche répond qu’en période de guerre, on ne parle ni de vainqueur ni de vaincu, il y a simplement des négociations diplomatiques. « Hélas, jusqu’à présent, ces négociations sont absentes, déplore-t-il. Elles pourraient avoir lieu avec le nouveau président américain Donald Trump qui a promis la paix au Moyen-Orient au cours de sa campagne électorale. » « La solution est donc dans les négociations politiques, et non dans la victoire ou la défaite », ajoute-t-il. Sur l’absence des chrétiens dans les négociations actuelles ou à venir, Raï précise que « le canard boîte, mais ce n’est pas nouveau. Cela date depuis la vacance au niveau de la présidence. Nous avons à plusieurs reprises évoqué la question du consensus dans l’action du chef du gouvernement et dans celle du président de la Chambre. Et nous avons soulevé la question de l’absence de la composante chrétienne ». N’est-ce pas un peu la faute des chrétiens eux-mêmes ? « Non pas du tout, répond le patriarche. C’est à cause de la fermeture du Parlement. J’ai déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises sur l’importance de cette échéance et sur cette question en particulier. Comment peut-on parler du respect du pacte national alors que la composante chrétienne est absente ? Pour l’élection présidentielle, il est demandé au président de la Chambre de convoquer les députés à des séances électorales consécutives, c’est tout. La séance de juin 2023 était la dernière et on ne sait pas pourquoi le Parlement a été fermé depuis. La Constitution précise que le Parlement se transforme en collège électoral, le quorum est donc forcément assuré et la présence des députés est un devoir. Il y a donc des pratiques fausses, au niveau de la Constitution et de la logique. »
Le patriarche précise que Bkerké n’a pas convoqué les chefs chrétiens pour qu’ils s’entendent sur un candidat. Ce sont ces derniers qui ont évoqué cette question au cours d’une rencontre, mais Bkerké est convaincu que chaque maronite a le droit de se porter candidat.
Au sujet de son appui à la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée, le patriarche précise qu’il a exprimé sa position dans son homélie de dimanche. « J’ai insisté sur le fait qu’on ne peut pas changer le commandant en chef de l’armée dans les circonstances actuelles, en l’absence d’un président de la République et alors que le pays est en guerre. Je n’ai pas d’intérêt personnel dans cela, c’est juste l’intérêt du pays qui compte. Je suis même favorable à la prorogation du mandat de tous les chefs sécuritaires. »
En réponse à une question sur ses craintes pour le Liban et pour son système, Mgr Raï affirme qu’il n’en a pas vraiment. « Le Liban est à tous ses fils. Il ne doit pas y avoir de distinction entre les composantes qui forment le tissu social libanais. Nous devons tous appuyer le Liban dans sa diversité et il doit protéger tous ses fils. Il ne faut pas s’appuyer sur l’extérieur. Nous devons respecter nos frontières et notre Constitution, et le partage des parts sur le plan confessionnel est une erreur. »
Raï affirme aussi qu’il appuie la tenue d’une conférence nationale et même internationale pour étudier trois questions : l’application de l’accord de Taëf, dans la lettre et l’esprit, l’application des résolutions internationales 1701, 1680 et 1559, et enfin l’annonce de la neutralité du Liban. Mais, selon lui, tout cela exige l’élection d’un président pour que les institutions recommencent à fonctionner normalement. « Nous marchons hélas à l’envers », constate-t-il.
la patriarch Raï a confiance dans la pérénité du système. C'est malheureusement là que le bât blesse. On ira vers une solution durable en stoppant l'ingérance des religions dans le système politique et leur autorité sur la vie des citoyens. Le système doit changer. C'est aussi important que le désarmement des milices.
15 h 17, le 19 novembre 2024