La sale guerre que nous subissons provoque chez les Libanais des sentiments d’amertume, de colère et d’inquiétude.
Amertume de constater que le pays est, une fois encore, embarqué dans un conflit « pour les autres », alors que tout le monde mettait en garde nos dirigeants contre le risque d’escalade. Cette guerre aurait pu être évitée. En jouant avec le feu, le Hezbollah a embrasé le Liban ; en voulant placer ses pions sur l’échiquier du Proche-Orient, l’Iran s’est retrouvé dans l’œil du cyclone. En psychologie, cela s’appelle « l’effet boomerang ».
Colère de voir nos régions saccagées, des sites archéologiques (comme à Baalbeck ou à Tyr) menacés, notre patrimoine anéanti par Tsahal qui a opté pour la politique de la terre brûlée afin de terroriser la population et la pousser à l’exode. « Israël exagère », affirmait De Gaulle en mai 1965, avant de décréter, trois ans plus tard, un embargo sur les armes destinées à l’État hébreu au lendemain de l’attaque de l’aéroport de Beyrouth par un commando israélien qui s’était baladé, comme récemment à Batroun, au nez et à la barbe d’un État impuissant. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’ « exagération », mais de réactions disproportionnées et de furie génocidaire, aussi bien à Gaza qu’au Liban. Comme dans un jeu vidéo où, quoi qu’on fasse, on n’est jamais jugé pour les massacres commis, Netanyahou profite du silence complice de la communauté internationale et de la bénédiction américaine pour massacrer impunément les civils, y compris femmes, enfants, journalistes et secouristes, usant des moyens les plus brutaux ou les plus sadiques pour atteindre ses objectifs. Ce n’est plus le Hezbollah qui est la cible de ses missiles, c’est le Liban tout entier.
Inquiétude quant à l’avenir. « Et maintenant on va où ? » Si cette guerre perdure, elle aura des conséquences catastrophiques sur les déplacés, désormais confrontés aux rigueurs de l’hiver, et sur tous les secteurs de notre économie, déjà saignée à blanc depuis la crise financière et l’explosion du port. Privé de président, confronté à la possibilité d’une nouvelle guerre civile, ligoté par les jusqu’au-boutistes dans les deux camps, le Liban va à vau-l’eau. Considérant avec Brel qu’il est « des terres brûlées donnant plus de blé qu’un meilleur avril », les plus optimistes espèrent qu’une nouvelle page s’ouvrira bientôt, alors que les pessimistes pronostiquent une interminable guerre d’usure… Comme d’habitude, le Libanais fait montre de « résilience », s’adapte, « fait avec », ronge son frein. Or résilience n’est pas vaillance. À force d’encaisser des coups, on finit par s’écrouler. Il est temps que les Libanais, toutes confessions confondues, réagissent enfin, qu’ils fassent front commun contre les complots extérieurs d’où qu’ils viennent, et qu’ils refusent cette spirale de violence et cette habitude de toujours attendre « Godot ». Au lieu d’attendre le salut, forgeons-le de nos propres mains.