Après la guerre de 2006, les belligérants ont trouvé, entre eux, des arrangements appelés pudiquement les règles d’engagement par lesquels le Hezbollah se voyait reconnaître la fonction stabilisatrice de gardien de la frontière nord d’Israël. Ça n’était donc pas un prétendu équilibre de forces assuré par les armes qui garantissait la sécurité du sud du Liban. Pourtant, mû par de mauvais calculs, le parti a renoncé à sa fonction en ouvrant, le 8 octobre 2023, le front de soutien de Gaza. Un front dont l’objectif déclaré était de concentrer sur le Liban une partie de la force de destruction israélienne. Objectif atteint, hélas, au regard de l’effroyable catastrophe qui s’est abattue sur le pays. Le Hezbollah a délibérément frappé à la porte de l’enfer, le diable l’a ouverte. Pour la seconde fois consécutive, il a donc entraîné le Liban dans une guerre déséquilibrée qui a transformé le pays en un champ de tir pour une aviation israélienne sans scrupules. Le Hezbollah avait longtemps fait l’apologie de l’unité des fronts qui supposait qu’une attaque contre l’un des membres de l’« axe de la résistance » entraînerait une réaction de tous. Cette thèse a volé en éclats, laissant le Liban livré à lui-même. Il faut croire que les autres tenants de l’unité des fronts ne sont pas friands de suicides collectifs...
Il y eut dernièrement quelques tentatives désespérées de recourir à une thèse de rattrapage suivant laquelle Israël aurait attaqué le Liban en tout état de cause. Cette thèse est contredite par l’initiative assumée du parti d’ouvrir le « front de soutien ». Elle est également contredite par les discours de son leader charismatique, Hassan Nasrallah, qui, jusqu’au bout, a soutenu qu’il ne céderait pas aux injonctions étrangères et maintiendrait le front ouvert tant que la guerre de Gaza se poursuivrait – admettant ainsi sans ambages que la clôture du front du Nord dépendait de Gaza et non d’une attaque potentielle d’Israël. La thèse est enfin contredite par l’histoire puisqu’en 24 ans les deux guerres qui ont éclaté étaient provoquées par la milice.
Équation erronée
Alors que le Liban brûle, le Hezbollah, décapité par une campagne d’assassinats qui n’a pas eu sa pareille dans l’histoire, propose maintenant une lecture très perverse des événements en divisant la population entre ceux qui soutiennent ses armes et ceux qui souhaitent la victoire de l’ennemi. L’équation du choix entre les armes ou la victoire de l’ennemi est aussi révélatrice qu’erronée. Révélatrice puisqu’en posant cette équation, le parti admet qu’il considère qu’il a suscité une telle répulsion auprès d’une grande partie de la société qu’elle en serait venue jusqu’à souhaiter qu’Israël détruise le pays pourvu que sa mainmise s’achève. Le Hezbollah devrait chercher l’origine d’une telle répulsion avant de juger la population libanaise.
Cette équation est, de surcroit, erronée parce que ni le peuple libanais, ni les autorités libanaises n’ont souhaité la guerre ni n’ont eu les moyens de la faire cesser. Le parti n’a laissé de choix à personne pour qu’ensuite il se permette d’accuser les uns ou les autres de mauvais choix. La véritable question posée par cette guerre ne l’est qu’au Hezbollah lui-même qui doit choisir entre le désastre national et son désarmement. Il avait fait, par le passé, le choix du désastre. Le temps est venu pour lui de reconsidérer sa position. Les armes ne sont pas utilisées pour défendre le Liban, c’est le Liban qui est utilisé pour défendre les armes.
Coalition transcommunautaire
Le désarmement du Hezbollah ne pourra pas se faire par la guerre. Il n’est pas plus utile de le faire par souci d’une bonne application des résolutions onusiennes. Il faut demander au Hezbollah de remettre ses armes à l’armée libanaise pour mettre fin aux hostilités et répondre à des considérations nationales. Prendre la décision de se délester de ses armes est certainement difficile parce que, d’une part, celles-ci sont la source d’une puissance à l’échelle locale et parce que, d’autre part, cela s’accompagne d’un détachement du parrain iranien. Sur le plan du rapport de force local, il est du devoir de toutes les parties de faire évoluer le système afin que la communauté chiite trouve, comme chacune des autres communautés, dans le système étatique une réponse à ses préoccupations. Quant au rapport à l’Iran, l’attitude adoptée par celui-ci et par les autres membres de l’unité des fronts ne laisse aucun doute sur le fait que le Hezbollah a été lâché par Téhéran avant qu’il n’ait eu le temps de s’interroger sur les avantages in fine de se libérer de son parrainage.
Pour engager un tel chantier, il faudrait que toutes les forces politiques, convaincues de la nuisance des armes, s’unissent dans une large coalition transcommunautaire capable à la fois d’être intransigeante et de porter un projet rassembleur. Cela suppose de la modestie et une capacité à respecter ses partenaires. Ceux qui agissent comme si le Hezbollah est totalement défait et se préoccupent déjà d’être les seuls bénéficiaires d’un ordre nouveau illusoire pêchent à la fois par arrogance et par réflexe hégémonique. L’incapacité de créer cette coalition sera nécessairement à l’origine d’une occasion manquée. Une de plus dans la longue liste qui émaille l’histoire du Liban.
Cette coalition si elle venait à être formée devra soutenir qu’aucune question ne doit, sur le plan interne, prendre le pas sur celle des armes du Hezbollah. Celles-ci posent une question existentielle. Élire un président ou procéder à des réformes, qu’elles soient économiques ou judiciaires, aussi essentielles soient-elles, est devenu dérisoire puisque c’est de la pérennité même de l’État et de l’existence de la république qu’il s’agit. Le Hezbollah devra choisir entre l’adhésion à l’entité libanaise ou poursuivre sa politique mortifère pour tout le monde. De son choix dépendra le maintien de l’entité libanaise. Ce qui doit être proposé n’est pas une reddition mais une participation commune à une édification de l’État. Un État qui aura appris de ses erreurs et qui aura le courage d’une franchise et d’une réconciliation. Revenir à une république à deux vitesses avec de réguliers basculements dans l’horreur ne doit plus être envisageable. Faire diversion en abordant d’autres sujets avant de résoudre, radicalement, immédiatement et à tout prix celui des armes relèvera d’une hypocrisie suicidaire.
Avocat au barreau de Beyrouth
Excellent article, bravo pour cette belle analyse
21 h 43, le 09 novembre 2024