C’est officiel. Le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, ne recevra pas une délégation du Courant patriotique libre, qui effectue une tournée auprès des partis politiques et des chefs d’appareils de sécurité pour évoquer la crise des déplacés et les mesures à prendre pour éviter un éventuel dérapage sécuritaire dans un climat de haute tension communautaire.
Dans la forme, la démarche de Joseph Aoun ne devrait pas surprendre, ses rapports avec le CPL étant rompus au vu des accusations de « corruption » et de « traitrise » lancées par le parti contre lui. Il y a aussi et surtout le fait que Joseph Aoun est perçu comme un sérieux présidentiable, une option que rejette catégoriquement le chef du CPL, Gebran Bassil, prêt à tout pour tourner la page Joseph Aoun, au moins après l’expiration de son mandat à la tête de l’armée en janvier 2025. Mais il s’agit de la première fois où le commandant de l’armée passe à l’attaque aussi clairement face au CPL, comme pour prendre sa revanche, près d’un an après le début de la guerre à outrance entre les deux camps. Le niet de Joseph Aoun au parti de M. Bassil a donc de quoi donner le sentiment que rien ne va plus entre les deux parties, douchant les espoirs des plus optimistes quant à une légère ouverture de la formation fondée par Michel Aoun en direction de Yarzé.
Selon les informations de L’Orient-Le Jour, le commandement en chef de l’armée a temporisé avant de fixer un rendez-vous aux représentants du CPL « pour les raisons que tout le monde connaît », lance une source proche des cercles de Yarzé. Une allusion évidente aux rapports gelés entre la formation de Gebran Bassil et le numéro un de l’institution militaire, devenu une véritable bête noire du chef du parti orange. De sources concordantes, on apprend qu’une délégation du CPL était quand même attendue à Yarzé jeudi 31 octobre à 10 heures… à une condition : que la vice-présidente du parti, Martine Najm Koteily, ne fasse pas partie de la délégation. Une prise de position qui a poussé la direction de la formation orange à annuler carrément la réunion avec Joseph Aoun. Selon nos informations, Mme Koteily devait se rendre à Yarzé en compagnie des deux députés CPL Assaad Dergham et Edgar Trabousi, ainsi que de Nagi Hayek, vice-président du parti pour les affaires extérieures.
Dans les cercles de Yarzé, on explique cette position ferme du chef de l’armée à l’égard de Mme Koteily par « ses fréquentes diatribes contre le général », pour reprendre les termes d’une source dans les cercles du chef de l’armée. À en croire plusieurs médias locaux, lors d’une récente interview, la responsable CPL s’en est prise à Joseph Aoun l’accusant de « corruption » et de « trahison ». De son côté, l’intéressée dément ces allégations. « Je n’attaque jamais les gens au niveau personnel. Pour ce qui est de Joseph Aoun, je ne fais que réitérer notre position traditionnelle : non à la prorogation de son mandat et non à son élection à la présidence de la République », se défend-elle dans une déclaration à L’OLJ, précisant que le mémorandum du CPL sur la situation sécuritaire a été envoyé au commandement de l’armée par la poste, alors qu’une copie en a été remise vendredi en personne au chef de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, réputé proche du CPL.
Un message politique à Bassil ?
Comment le CPL explique-t-il l’attitude du chef de la troupe ? « C’est probablement un message politique adressé d’abord à Gebran Bassil », estime la numéro deux du CPL. Elle converge sur ce point avec plusieurs responsables de sa formation. « Nous ne pouvons voir dans sa démarche qu’un message politique adressé au chef du parti et une nouvelle tentative de diviser les rangs du CPL », dit un ancien député pro-Bassil sous couvert d’anonymat.
Le fossé entre Yarzé et les bassiliens s’est creusé davantage quelques mois après les départs de plusieurs députés CPL à coups d’exclusions et de démissions avec, en toile de fond, de grosses divergences de points de vue au sujet de la présidentielle. Il y a aussi le fait que certains parlementaires CPL entretiennent de bons rapports avec le chef de l’armée, en dépit de la bataille sans merci que lui livre leur parti. Tel est notamment le cas d’Assaad Dergham, député du Akkar, région connue pour être un vivier de la troupe. C’est ce qui fait dire à une figure proche de Yarzé qu’il est probable que M. Dergham s’entretienne à titre individuel avec Joseph Aoun dans les prochains jours. Mais cela ne semble réduire en rien la détermination des bassiliens à poursuivre la bataille contre lui. Car à leurs yeux, « le tout dernier épisode a montré que Joseph Aoun ne mérite ni de rester à son poste ni de faire de la politique, et encore moins d’être élu à la présidence de la République », martèle un ancien député CPL.
Les limites de la politique du grand-écart permanent (contre-productive depuis 2019 au moins).
16 h 02, le 03 novembre 2024