La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens, professait Clausewitz dans son célèbre essai de stratégie militaire. De fait, et à moins d’un verdict des armes qui serait absolument sans appel, c’est la diplomatie qui, tôt ou tard, finit par prendre le relais des généraux. Qu’elle se déroule à chaud ou à froid, la négociation ne pourra alors que prendre en compte les pertes et acquis qu’auront subis ou amassés les protagonistes du conflit ; en émergera généralement un ordre nouveau. Tel semble bien être le cas de ces guerres à tiroirs qui ont embrasé Gaza et le Liban, dont les flammèches ont atteint la Syrie, l’Irak et le Yémen, et qui menacent de connaître leur apothéose avec un choc frontal entre Israël et l’Iran. Le tout, pour un aussi petit pays que le nôtre, est de durer jusqu’à la fin du mortel feuilleton. Ce que le Liban doit éviter à tout prix, à l’heure où la région semble vouée à de vastes bouleversements géopolitiques, c’est en effet de passer pour l’un de ces grands malades, sujet à d’incessantes rechutes, et qu’il serait vain de maintenir sous perfusion. Ou au mieux, pour un simple lot de consolation que l’on concéderait cyniquement à l’adversaire en échange de concessions autrement plus consistantes.
Si le Liban est aujourd’hui la proie d’une guerre aussi effroyable qu’insensée, une guerre qu’il n’a jamais voulue, il n’est pas non plus à l’abri des arrangements susceptibles de sceller l’après-guerre. Ces lendemains, il peut certes paraître incongru, ou pour le moins prématuré, de les envisager alors que se poursuit impitoyablement le blitz israélien, n’épargnant ni écoles, ni hôpitaux, ni campements de journalistes. Et pourtant, c’est l’urgence d’une solution négociée que soulignait hier le secrétaire d’État américain rencontrant Nagib Mikati à Londres, c’est une course contre la montre qu’évoquait le chef de la diplomatie européenne. Par une grinçante ironie toutefois, notre pays serait bien inspiré de tirer enseignement de la source même de ses malheurs. Tenir en respect l’ennemi, protéger les populations et le territoire : se sont écroulés comme château de cartes les mythes longtemps arborés par un Hezbollah, dont la direction historique elle-même a été décimée en même temps qu’étaient détruits ses systèmes de communication. Considérablement affaiblie en termes d’effectifs et de moyens, la milice continue, il est vrai, de combattre, car telle est l’implacable consigne édictée par Téhéran ; mais quelle que soit l’issue des affrontements, restera toujours au Hezbollah ce glaçant argument propre à toutes les forces irrégulières du monde, et qu’il ne s’est pas fait faute de brandir déjà lors de la guerre de 2006 : quelque inégales que puissent être les pertes humaines et matérielles, la guérilla est en droit de revendiquer la victoire (en l’occurrence divine !) dès lors qu’elle n’a pas été anéantie jusqu’au dernier homme.
On l’aura bien sûr compris, c’est au même impératif de survie – mais obéissant cette fois à une tout autre logique – qu’est tenu quant à lui le Liban, s’il doit un jour répondre présent autour du tapis vert sur lequel se joue l’avenir du Proche et du Moyen-Orient. Outre son intégrité territoriale, outre sa stabilité interne en butte aux provocations, c’est son essence même, sa raison d’être, sa singulière formule que notre pays se trouve au défi de préserver coûte que coûte. Maintenant que le Hezbollah est exposé à la furie des intempéries, qu’a même disparu le p’tit coin de parapluie chrétien dont il a longtemps pu bénéficier, preuve est amplement faite que pour tous les citoyens sans exception aucune, il ne saurait exister d’autre ombrelle protectrice que celle de l’État. Et qu’au sein de cet État, il doit y avoir place pour toutes les idéologies – celle du Hezbollah mais aussi celles d’un chiisme libéré du carcan iranien – pourvu qu’elles s’expriment pacifiquement dans le cadre de notre système de démocratie parlementaire.
Infiniment plus précieuse que le milliard de dollars pour le Liban, réuni en un tournemain à la conférence internationale qui s’est tenue jeudi à Paris, est, à ce propos, la plaidoirie prononcée par le président Emmanuel Macron devant les représentants des pays donateurs. Ce n’est pas une civilisation que l’on défend en semant la barbarie, a-t-il affirmé à la claire adresse de Benjamin Netanyahu ; et c’est bien la possibilité d’une civilisation qu’a perçue le maître de l’Élysée dans le pari d’un Liban important pour lui-même, et toujours plus grand que lui-même.
Pour plus d’une raison, ces mots ne pouvaient être le mieux dits qu’en français.
Issa GORAIEB