Mardi matin, sur mon lieu de travail, ma collègue, manifestement préoccupée, m’a interrogée sur mon état. Je lui ai confié un sentiment oppressant, une chape de plomb pesant sur mon cœur, accompagnée d’un pressentiment lourd et implacable qu’un événement tragique était imminent. Une ombre menaçante planait, imprégnant chaque instant d’une angoisse sourde.
Vers 17 heures, ce pressentiment se matérialisa avec une brutalité inattendue. Les nouvelles, semblables à des éclats de verre, se répandirent rapidement, transformant la ville en un paysage de désolation. Le centre-ville, autrefois vibrant de vie, se changea en une ville fantôme, où les rues désertées et l’atmosphère lourde n’étaient perturbées que par les sirènes stridentes des ambulances nous rappelant les jours sombres de guerre que nous vivons depuis toujours, comme des échos amers d’une condition fragile et friable.
Le soir, en parcourant les réseaux sociaux, je tombe sur les débats au sein de mes anciens groupes de la thaoura. Les commentaires empreints de haine m’ont profondément affectée. Certains y voyaient une forme de justice perverse, arguant que les partisans du Hezbollah méritaient ce qui leur arrivait, comme une revanche, un karma pour le 4 août 2020. Ce genre de discours, marqué par la rancœur et la division, est non seulement inacceptable mais également inhumain. Il est impensable de juger la valeur d’une vie sur la base d’appartenances politiques ou religieuses. Une vie humaine qui se perd ou qui souffre est une perte tragique, indépendamment des affiliations.
Par ailleurs, nous assistons à une forme particulièrement abjecte de postmodernité. Je ne peux m’empêcher de penser que si ces détracteurs déployaient la même énergie et la même ingéniosité pour sauver l’humanité que pour fomenter des cyberattaques et distiller la haine, le monde serait un lieu où il fait bon vivre. Malheureusement, l’histoire semble se répéter sans fin. Puis suivra le discours du sayyed où probablement il vantera ses victoires à la Phyrrus ou proférera des menaces voilées qui ajouteront encore à la tension. La population, une fois de plus, vivra dans la peur, sur le qui-vive, recourant aux calmants en attendant la prochaine réplique, inévitable réponse à la précédente. Cette spirale infernale, que certains appellent une « guerre d’existence », comme le décrit Walid Joumblatt, semble sans fin.
Au passage je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers le corps médical et le personnel hospitalier pour leur dévouement ainsi qu’à tous ces jeunes, toutes confessions confondues, qui ont généreusement fait don de leur sang. Leur solidarité et leur humanité sont un phare d’espoir dans ces temps troubles.
Au bout du compte, il y a ceux qui ne sont d’aucun bord, qui n’aspirent qu’à une vie paisible, un désir profond de revendiquer leur libanité et de ressusciter un pays failli. Nous refusons que notre sol soit le théâtre de la destruction infligée par des conflits étrangers. Le peuple libanais mérite non seulement de survivre mais de prospérer, libre du poids écrasant des guerres qui ne sont pas les siennes. C’est dans cette quête de renaissance et de résilience que nous trouverons notre véritable salut.
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