Encore sous le choc de l’attaque des bipeurs, les Libanais ont du mal à imaginer « l’étape d’après ». Les spéculations vont bon train et l’angoisse ne cesse de monter, surtout lorsqu’ils se rappellent qu’en quelques secondes, près de 3 000 appareils dits « bipeurs » ont explosé entre les mains de leurs utilisateurs dans plusieurs régions du pays, faisant 12 morts, près de 400 blessés graves et les autres légers.
L’attaque israélienne est certainement unique en son genre. Non seulement à cause de l’idée elle-même, mais aussi à cause de son ampleur et surtout à cause de ce qu’elle montre de la capacité israélienne à infiltrer le Hezbollah. Mardi soir, l’attaque semblait si énorme que les Libanais se sont demandé si ce n’était pas le prélude à la guerre élargie, annoncée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour, selon ses propres termes, « ramener les Israéliens du Nord chez eux » par la force.
Toutefois, des sources militaires bien informées estiment que l’attaque des bipeurs est un moyen pour les Israéliens de compenser l’impossibilité de lancer une guerre élargie. Ces mêmes sources mettent ainsi l’accent sur le fait que cette attaque est certainement un coup dur porté au Hezbollah, mais elle est plus spectaculaire qu’efficace sur le plan militaire et elle s‘inscrit ainsi principalement dans le cadre de la guerre psychologique. Certes, le Hezbollah a été piégé dans l’affaire des bipeurs et il doit mener une enquête précise pour déterminer les responsabilités et savoir comment il a pu être ainsi dupé, mais sur le plan purement militaire, cette attaque ne change pas grand-chose à ses capacités et à la situation qui prévaut au Sud.
Les sources militaires précitées affirment ainsi que l’histoire des bipeurs a commencé il y a quelques mois, lorsque les Israéliens ont montré qu’ils avaient infiltré le réseau de communication du Hezbollah. Au point d’ailleurs que le secrétaire général de la formation Hassan Nasrallah avait, dans un de ses discours, déclaré que l’instrument qui aide le plus les Israéliens, c’est bien le téléphone portable et les réseaux téléphoniques en général. C’est la raison pour laquelle le Hezbollah a aussitôt cherché un autre moyen de communication, et c’est là qu’est venue l’idée de se procurer des bipeurs. Les sources précitées estiment qu’en dévoilant l’infiltration du réseau de communication, les Israéliens ont sciemment poussé le Hezbollah vers l’utilisation des bipeurs, sachant qu’ils pouvaient les contrôler. Le Hezbollah a donc acheté près de 5 000 appareils et il les a distribués à ses membres. Comment s’est faite la transaction ? Seul le Hezbollah peut le préciser, sachant qu’en raison des sanctions dont il fait l’objet, il est obligé de recourir à plusieurs intermédiaires pour tout achat, surtout d’une telle ampleur.
Pendant des mois, le Hezbollah se considérait donc bien protégé par le système de bipeurs... jusqu’à l’attaque de mardi. Sur les plans médiatique et psychologique, l’attaque est d’une ampleur impressionnante. Mais, toujours selon les sources précitées, sur le plan purement militaire, elle n’a pas de véritable impact. D’abord, les personnes blessées par l’explosion des bipeurs ne sont pas les combattants qui se tiennent sur le front. Il ne s’agit pas non plus d’unités militaires ou d’armes sophistiquées, ni encore de positions militaires importantes. En dépit de son ampleur, l’attaque ne met pas en cause les capacités militaires du Hezbollah, ni sur le front ni ailleurs. Et le Hezbollah a déjà dû trouver un autre moyen de communication. De même, ajoutent les sources militaires, l’attaque ne permet pas à Netanyahu de déclarer qu’il a réalisé la fameuse ceinture de sécurité d’une profondeur de 5 à 10 kilomètres à la frontière avec le Liban ni de pousser les colons à revenir dans les localités du nord de la Galilée. Elle a certes fait près de 3 000 blessés et 12 morts dont la plupart sont soit des membres, soit des partisans du Hezbollah, mais ce parti en a des milliers d’autres. Et l’élan populaire provoqué par l’attaque dans les régions où le Hezbollah a une forte présence, comme la banlieue sud et la Békaa, ainsi que la région de Nabatiyé, a poussé les gens à faire la file devant les centres médicaux pour donner du sang. En d’autres termes, cette attaque, aussi impressionnante soit-elle, ne remet pas en cause les conditions de l’affrontement qui se déroule sur le front de soutien à Gaza à partir du sud du Liban. En principe, ajoutent les sources précitées, elle n’est donc pas le prélude à une invasion terrestre ou à une guerre élargie, mais elle remplace plutôt une telle opération et elle répond aux exigences américaines de ne pas entraîner la région dans une guerre plus large.
La question qui se pose toutefois est la suivante : pourquoi Netanyahu et ses proches ont-ils décidé de lancer cette attaque maintenant, grillant ainsi un élément de force qu’ils détenaient, à savoir les bipeurs du Hezbollah ? Selon les mêmes sources militaires, il pourrait y avoir plusieurs raisons à cela. D’abord, justement, les pressions américaines sur Netanyahu qui lui demandent de ne pas lancer d’opération terrestre contre le Hezbollah car cela risque de plonger la région dans une guerre régionale. Il y a aussi la situation interne en Israël. Netanyahu est ainsi en conflit ouvert avec son ministre de la Défense et les généraux de l’armée, ainsi qu’avec le service de renseignement militaire Aman. Il aurait toutefois avec lui le Mossad, et c’est avec ce service qu’il a donc décidé de mener cette attaque qui lui permet de reprendre l’initiative sur le plan interne.
Du point de vue de Netanyahu, l’attaque est donc réussie : elle a redonné une image de force israélienne, sans pour autant dépasser certaines limites. Que va-t-il se passer maintenant ? Les sources précitées estiment que le Liban a devant lui une période difficile, jusqu’à l’élection présidentielle américaine et même un peu au-delà, jusqu’à ce que le pouvoir se mette en place aux États-Unis. Il faut s’attendre à des coups de ce genre, forts et spectaculaires, mais sans aller jusqu’à la guerre totale. De son côté, le Hezbollah va sûrement riposter, mais il fera lui aussi attention à ne pas dépasser certaines limites.
« sur le plan purement militaire, cette attaque ne change pas grand-chose à ses capacités et à la situation qui prévaut au Sud. » : vraiment , des dizaines de morts, surtout des milliers de blessés dont des centaines graves (aveugles et amputés) n ont pas un impact? Mettre à nu le système de télécommunications n a pas un impact? Être infiltré par des espions qui peuvent frapper à ce niveau le système logistique n a pas d impact? Un peu de sérieux de grace
22 h 14, le 19 septembre 2024