Le message est tombé à 15h pour une réunion à... 15h. Le bureau de presse de Nagib Mikati a convoqué mercredi le Conseil des ministres in extremis, afin de « discuter de l'ordre du jour initialement distribué » la veille. Le message, relayé sur X par le Sérail, est tombé au lendemain d'une journée tendue où le Conseil des ministres n'a pu se tenir faute de quorum, l'accès au Grand Sérail de Beyrouth ayant été bloqué par des manifestants en colère, notamment des militaires retraités. Le cabinet s'est donc réuni en catimini pour éviter la foudre des protestataires. Sauf que les choses ne se sont pas passées comme prévu.
Une soixantaine de points étaient inscrits à l'ordre du jour de la séance originelle, en tête desquels figurait l'étude du budget de l’État et une demande du ministère du Travail visant à modifier le salaire minimum. L'ordre du jour ne précisait pas les détails, si ce n'est la mention d'une « formule validée par le Conseil d’État ». La dernière modification salariale remonte à avril dernier, lorsque le salaire minimum était passé de 9 à 18 millions de LL par mois.
Après les manifestations de la veille, M. Mikati a précisé mercredi matin qu’un plan pour le réajustement des salaires de tout le secteur public avait été préparé par son gouvernement. Un communiqué du bureau du Premier ministre a souligné que celui-ci « a bien demandé au Conseil de la fonction publique de préparer un projet complet pour le réajustement des salaires du secteur public ». Les anciens militaires en colère ont réclamé mardi de voir leur dossier figurer en premier à l'ordre du jour, mais aussi « la publication d'un plan de réajustement des salaires 48h avant la tenue de toute prochaine séance » du Conseil des ministres. Ils exigent une amélioration de leurs indemnités de retraite et une revalorisation des salaires de tout le secteur public. Pour faire entendre leur voix, ils ont réussi à torpiller la séance de mardi, ce qui a fortement déplu au Premier ministre.
Examen du budget 2025... et nombreux reports
« Une séance du Conseil des ministres était prévue hier (mardi), et avec tout mon respect pour la liberté d'expression, je me désole de ce qui s'est passé. J'ai décidé de convoquer le Conseil aujourd'hui car les intérêts du peuple et la gouvernance du pays passent avant tout. Nous n'hésiterons pas une seconde à accomplir notre devoir », a ainsi lancé Nagib Mikati en début de la séance de mercredi. « Je répète mon étonnement face aux protestations qui ont eu lieu devant le Sérail et à l'escalade verbale. Car nous n'avons pas encore discuté des articles du budget et nous avons l'intention de prendre des mesures temporaires d'aides sociales aux travailleurs du secteur public », a-t-il promis, affirmant que des décisions en ce sens ont déjà été adoptées. « Lorsque nous commencerons à étudier les articles du budget, nous prendrons des mesures fondamentales pour les droits des travailleurs du secteur public, et des aides sont prévues dans le projet de budget », a-t-il insisté.
Malgré les circonstances tendues de la tenue de ce Conseil, les ministres ont adopté plusieurs mesures inscrites à l'ordre du jour, à commencer par la validation d'une demande du ministère des Finances en faveur du vote d'un projet de loi au Parlement pour la clôture des comptes des budgets et budgets annexes de l'exercice 2020. Cette démarche vise à actualiser les comptes publics. En général, les comptes de clôture d'une année doivent être votés avant l'adoption du budget de l'année suivante. Cependant, cette procédure a rarement été respectée depuis la fin de la guerre civile au début des années 90. Le gouvernement a également approuvé une demande du ministère de l'Éducation pour supprimer les examens officiels de la Direction générale de l'enseignement professionnel et technique pour les certificats de qualification professionnelle complémentaire, ainsi que l’examen d'entrée en première année du certificat complémentaire professionnel. Après avoir terminé l'ordre du jour, le Conseil a commencé l'examen du projet de budget 2025 et écouté le rapport du ministre des Finances sur cette question. Il tiendra plus tard des « séances ouvertes » pour l'examen de ce projet de budget très controversé. Les ministres ont cependant reporté un projet de décret de modification du salaire minimum officiel, ainsi qu'une demande du ministère du Travail sur un projet de nomination de la commission financière de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS).
« Une conspiration »
En réaction à la démarche du cabinet, les anciens militaires n'ont pas tardé à contre-attaquer. « Comment peut-on tenir un Conseil des ministres à 15h aujourd'hui sans l'annoncer à l'avance », s'est étonné le mouvement des militaires retraités, dans un communiqué publié après le début de la réunion. « Cela prouve que ce gouvernement a de mauvaises intentions, notamment son chef (Nagib Mikati) contre les militaires retraités. Il y a là une conspiration, et tout ce qui a été dit sur le fait de nous rendre justice est un mensonge. Nous appelons les ministres à arrêter cette farce », dénonce le texte qui appelle « l'ensemble des militaires retraités à se tenir prêts dès cet instant » et décrète « un état d'urgence ». « Ce qui arrivera étonnera le gouvernement, la mobilisation sera large et atteindra des endroits qui les feront trembler », ajoute-t-il.
Contacté par L'OLJ, l'ex-général Georges Nader, qui avait participé à la mobilisation de mardi et promis que « toute future séance sera bloquée », a indiqué que les anciens militaires se réuniront pour décider de la stratégie à suivre. En attendant, en parallèle à la séance ministérielle, des militaires à la retraite se sont brièvement rassemblés devant la résidence de Nagib Mikati dans le quartier de Mina à Tripoli et ont bloqué la route avec des pneus enflammés, a rapporté notre correspondant dans le Nord, Michel Hallak. Il a ajouté que plusieurs régions du Nord seront probablement le théâtre d'actions similaires contre ce que les manifestants ont décrit comme le « détournement de la session du cabinet ». D'autres anciens militaires se sont rassemblés devant le Grand Sérail à Beyrouth, bloquant certaines routes à l'aide de pneus enflammés.
« Coup d'Etat »
Cette intransigeance a poussé Nagib Mikati à publier un communiqué dans la soirée accusant les groupes qui revendiquent les droits des militaires retraités « de mener un coup contre l'État et l'institution du Conseil des ministres, imposant un blocage total dans le pays ». Il s'est dit « surpris par les mouvements sur le terrain qui suggèrent que le gouvernement commet un crime en se réunissant pour traiter les affaires des citoyens et des administrations publiques ». « Ce qui se passe dans la rue est loin d'être un mouvement revendicatif mais un mouvement douteux qui porte atteinte aux revendications légitimes et à l'intégrité militaire que devraient avoir ceux qui portent le drapeau de la défense des droits des retraités », poursuit le texte. Selon son bureau de presse, M. Mikati « a invité les ministres à tenir une réunion ordinaire mercredi après-midi pour examiner et approuver l'ordre du jour distribué selon les règles et dans les délais fixés par le règlement intérieur du Conseil des ministres ». « Ces réunions se poursuivront conformément aux règles et aux dates que M. Mikati jugera appropriées pour continuer l'examen du projet de loi sur le budget 2025 », ajoute-t-il.