Le premier juge d'instruction de Beyrouth par intérim, Bilal Halaoui, a émis lundi un mandat d'arrêt à l'encontre de Riad Salamé, à l'issue d'une audition de deux heures au Palais de justice de Beyrouth. C'est la première fois que l'ex-gouverneur de la Banque du Liban (BDL) est entendu par le magistrat, depuis que des poursuites ont été engagées le 4 septembre par le parquet financier pour « détournement et vol de fonds publics, faux et enrichissement illicite ». Ces malversations présumées auraient été commises dans le cadre de transactions autour de bons du trésor entre la BDL et la société financière Optimum Invest (OI) en 2015 et 2016. Raid Salamé et OI ont tous deux toujours nié avoir commis des malversations.
L’ancien patron de la banque centrale, qui avait été arrêté le 3 septembre par le procureur général près la Cour de cassation, Jamal Hajjar, restera donc en détention et devrait être à nouveau entendu jeudi par le juge Halaoui. M. Salamé, qui était accompagné de son avocat, Marc Habka, n’a pas aussitôt soumis au premier juge d’instruction une demande de remise en liberté à laquelle la loi lui donne droit. Les différentes sources informées interrogées par L’OLJ n’ont pas été en mesure d’en préciser la raison. Il pourra cependant, et à tout moment, présenter une telle demande durant l’instruction. Le cas échéant, le premier juge d’instruction la transmettra au parquet financier pour un avis consultatif, avant de la trancher. Si elle est refusée, l’ex-patron de la BDL pourra porter un recours devant la chambre d’instruction de Beyrouth. Si elle est acceptée, ce sera au parquet financier à qui reviendra le pouvoir d’user de ce recours.
Huées des déposants
Riad Salamé était arrivé au Palais de justice peu avant 10h, dans une voiture aux vitres teintées, sous les huées d'environ une centaine de manifestants. Certains ont tapé sur les vitres et le capot du véhicule à bord duquel il était embarqué, en criant : « Haramé, haramé, Riad Salamé haramé. » (Riad Salamé est un bandit).
Présent devant le portail du Palais de justice, en concomitance avec l’audience, et dans le cadre d’un sit-in organisé par des déposants, Élias Jaradé, député issu de la contestation, rappelle à L'Orient-Le Jour qu’« en tant que déposant et représentant du peuple libanais », il avait présenté, l’an dernier, une plainte devant la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, basée sur les suspicions de malversations présumées entre la BDL et OI. « J'espère qu'il n'y aura aucun contournement », a-t-il souhaité, soulignant que « le cas échéant, nous ne nous tairons pas ». Un autre manifestant, haut-parleur à la main, a exhorté le juge Halaoui à « mener à bien l'instruction », lui promettant « de la halawé » (halva, une douceur à la pâte de sésame), dans un jeu de mots sur le nom de famille du juge. « Sinon, a-t-il averti, il y aura une revanche qui se déroulera dans le sang. »
Depuis l’annonce de l’arrestation de M. Salamé, le 3 septembre, la juge Aoun ne cesse de critiquer vivement le fait que l’enquête est menée par le parquet de cassation et le juge d’instruction de Beyrouth, alors que selon elle, l’affaire est entre ses mains depuis longtemps.
Selon nos informations, la procureure d’appel se serait rendue le 5 septembre chez M. Hajjar pour lui remettre un écrit « officiel » dans lequel elle réclame d’interroger le 11 septembre l’ex-patron de la BDL. Elle l’aurait exhorté à transférer ce jour-là M. Salamé au Palais de justice de Baabda où elle se trouve en poste, proposant, en cas « de risques sécuritaires », de se rendre au Palais de justice de Beyrouth. Toujours selon nos informations, M. Hajjar n’aurait ni accepté ni rejeté sa demande, lui faisant savoir qu’il étudiera la question. En juin dernier, il avait demandé à Ghada Aoun de lui transmettre tous les crimes financiers qu’elle traite, dont ceux relatifs à la société Optimum Invest. Il avait également interdit à la police judiciaire d’exécuter ses instructions, notamment des mandats de recherche ou d’arrêt. Selon une source du Palais de justice, la procureure voudrait profiter de l’arrestation de M. Salamé pour l’interroger également sur les autres dossiers qui concernent l’ex-gouverneur.
L’atmosphère n’était pas moins tendue à l’intérieur du Palais de justice, où les mesures de sécurité étaient très strictes. Même les avocats, qui voulaient poursuivre des démarches de routine liées à leurs dossiers, n'ont pas pu accéder aux divers greffes à proximité du bureau de M.Halaoui. L'entrée située au rez-de-chaussée, qui conduit au premier étage où se trouve le bureau du premier juge d’instruction, avait été bloquée par des agents des forces de l'ordre. Suite à une altercation entre l'un d'eux et un membre du barreau, un officier a décidé de laisser passer les avocats, mais au compte-gouttes.
Interrogé par la MTV (dont il est également l’avocat), Me Habka a loué la coopération de son client avec la justice, alors que, a-t-il dit, « certains hommes politiques ne veulent pas arriver à la vérité ». L’avocat a en outre critiqué les médias qui présentent M. Salamé comme « voulant échapper à la justice », rappelant que celui-ci s’était rendu à l’audience (tenue par le juge Hajjar le 3 septembre) « de son plein gré ». Contacté par L'OLJ, il n’était pas joignable pour donner davantage de précisions sur l’audition. Une séance à laquelle a assisté le représentant légal de la BDL (le cabinet de l'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar), qui s’est constituée partie civile dans ce dossier sur la base d’une plainte déposée en avril dernier contre Riad Salamé.
Deux avocats convoqués jeudi ?
Fait marquant, la cheffe du contentieux de l’État, Hélène Iskandar, a été empêchée par le premier juge d’instruction de Beyrouth d’assister à la séance de lundi, alors que son service s’était joint, le 5 septembre, au dossier de poursuites ouvert par le parquet financier, en se portant partie civile dans l’affaire. M. Halaoui a motivé sa décision par le fait que la juge Iskandar ne lui avait pas soumis une autorisation du ministre compétent – en l’espèce celui des Finances, Youssef Khalil –, de participer à l’audition. Sur ce point, une source informée affirme à L’OLJ que la juge Iskandar lui a répondu par écrit qu’aucun texte législatif ne le lui impose, soulignant que la loi sur l’Organisation de la justice lui donne le pouvoir de « protéger les droits de l’État quant à la réparation de préjudices causés ». Un autre motif d’empêchement que le juge Halaoui aurait avancé est que Mme Iskandar n’a pas qualité à se joindre à l’affaire. Ce à quoi cette dernière aurait répondu dans son courrier, qu’en tout état de cause, « ce n’est pas au premier juge d’instruction, mais à la partie adverse dans le litige (Riad Salamé) » de soulever cette question. La cheffe du contentieux attend encore la réponse de son confrère , pour savoir si elle pourra assister à l’audience prévue jeudi.
Pour rappel, le prédécesseur du juge Halaoui, Charbel Abou Samra, avait pris, le 3 août 2023, une décision tacite de laisser libre l’ex-gouverneur de la BDL, alors qu’il venait de l’interroger. Hélène Iskandar avait fait appel de sa décision devant une chambre d’accusation qui avait annulé la décision de M. Abou Samra, et convoqué M. Salamé en vue de l’interroger. Ce dernier avait alors porté un recours contre les membres de l’instance, qui ont eu de ce fait les mains liées, ainsi que des membres d’autres chambres d’accusation visés par le même recours paralysant.
Selon un avocat bien informé, M. Halaoui aurait décidé d’auditionner également jeudi prochain deux avocats contre lesquels le parquet financier avait adressé la semaine dernière une autorisation de poursuites au barreau de Beyrouth, qui n’y a pas encore fait suite, arguant de lacunes formelles (voir L’OLJ du 7 septembre). Sans attendre son autorisation, le juge Halaoui pourrait interroger en tant que témoins ces deux avocats, dont l’un travaille avec la BDL, et l’autre est un membre de la famille de l’ex-gouverneur. Ils seraient tous deux suspectés d’avoir opéré, à partir d’un compte appelé « consultations » au sein de la BDL, des virements provenant de la société Optimum Invest, qui auraient finalement bénéficié à M. Salamé, indique l’avocat précité. Par ailleurs, alors que des rumeurs faisaient état d'une fuite en dehors du Liban de l’ancien ministre, et PDG de la banque al-Mawarid, Marwan Kheireddine, poursuivi au Liban dans le cadre d'un autre dossier lié à Riad Salamé, le banquier a démenti à L'OLJ avoir quitté le pays.
« Une occasion pour démanteler la chaîne de corruption » : les réactions politiques
Contrairement à celle de son placement en détention provisoire, le 3 septembre, l'annonce d'un mandat d'arrêt contre Riad Salamé n'a pas fait l'objet de nombreuses réactions dans les milieux politiques. Elle a notamment été saluée par le Courant patriotique libre (CPL), l'un des partis les plus critiques du bilan de Riad Salamé. « L'émission du mandat d'arrêt est logique, étant donné ses infractions évidentes », a écrit le parti aouniste sur son compte officiel sur X. « Le CPL suivra le dossier Salamé, comme il l'a fait depuis le début, jusqu'à ce qu'il rende des comptes et que la vérité soit faite sur les montages financiers et le dossier des fonds des Libanais qui ont été dilapidés. »
Waddah Sadek, député issu du mouvement de contestation, a pour sa part souhaité, à travers la plateforme X, que l’arrestation de M. Salamé soit « une occasion historique pour démanteler la chaîne de corruption qui a pillé le Liban (…), et pour demander des comptes à tous ses partenaires impliqués, d’autant qu’ils sont connus des Libanais par leurs noms et les postes qu’ils occupent ».
Cynthia Zarazir, autre députée de la contestation, qui participait au sit-in devant le Palais de justice, a demandé à la justice « de lever le voile sur le contenu de la boîte noire, appelée Riad Salamé », usant du slogan « Tous, cela veut dire tous ».
LE BOUC NE PARLERA PAS. PERSONNE N,OSERA LE CONDAMNER. DES INTERPELLATIONS DE CHOUF OU MA TSADEK. IL LES TIENT TOUS. TOUS CAD TOUS. LA JUSTICE ? J,EN RIGOLE. TOUT EST DEVENU RIGOLADE DANS LE PAYS.
19 h 27, le 10 septembre 2024