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Lifestyle - Hommage

Simon Mendelek, un empire dans une paire de ciseaux

Il a incarné, en pleine guerre, tout l’art libanais de résister aux désastres en ne tenant qu’à un cheveu. La mort de « Simon » ferme un chapitre d’or.

Simon Mendelek, un empire dans une paire de ciseaux

Simon Mendelek, une élégance voyante qui n'appartenait qu'à lui. Photo DR

« Il était plus grand que la vie », « une légende », « un cœur d’or »… Le 16 août dernier décédait Simon Mendelek, sans doute le plus grand nom de la coiffure au Liban après le légendaire Naïm. « Le jour des condoléances, chaque membre de notre famille était occupé à consoler les clientes de Simon, venues elles-mêmes nous consoler », nous confie Tarek, son plus jeune fils.

Un chagrin symptomatique

Dans un pays où chaque ville, chaque village, aligne dans une même rue plus de coiffeurs que de médecins, le chagrin provoqué par la mort subite, en pleine santé, à 74 ans, de cet artiste du cheveu, est symptomatique. De même que la haute couture, la « haute coiffure » semble un phénomène bien libanais, tant l’apparence et le culte de la beauté plastique, au milieu des crises interminables, incarnent au Liban le dernier refuge de la civilisation. La concurrence est rude et tirer son épingle du jeu, trouver sa place au-dessus du lot comme l’a fait « Simon », est en soi un tour de force. « Simon », parce qu’un coiffeur est toujours un intime. Un coiffeur, c’est un prénom, et le sien était celui d’un ami universel, conseiller et réceptacle de confidences, mais par-dessus tout un visagiste hors-pair conscient qu’une bonne coiffure apporte un regain de confiance en soi et console de beaucoup de maux.

Simon Mendelek avec sa femme et ses trois enfants, patriarche d'une famille unie. Photo DR

Une dynastie

Cependant, ce prénom-là, comme l’a relevé l’humoriste Farix (Farid Hobeiche), a fondé une dynastie, rejoint par Georges, son fils aîné, et Mia, sa fille, maître-coloriste et ambassadrice L’Oréal, ainsi que son épouse Fabiola, colonne vertébrale de la famille et cheville ouvrière de son salon. Tarek, le plus jeune, a choisi de travailler dans la musique, poussé dans sa passion par Simon qui a toujours cru en lui. « Ma mère a joué un grand rôle dans le succès de Simon. Elle a tout fait pour qu’il n’ait à se soucier que de son art. Ma mère accueillait les clientes, s’occupait de nous. Elle n’aimait pas se mettre en avant. Elle est toujours au salon, juste pour nous seconder quand on est là », rappelle Georges Mendelek.

Simon Mendelek a également formé son frère, Tony, et sa nièce. Le nom de Mendelek s’affiche ainsi sur une pléthore d’enseignes de qualité et rayonne, depuis Zalka, à l’international.

Fruit du hasard, du talent et du travail acharné

Rien ne préparait pourtant Simon Mendelek à une telle carrière. Rien, d’ailleurs, ne préparait Simon à rien. Son fils aîné raconte la fabuleuse coïncidence qui a fait sa fortune : adolescent pauvre, amoureux d’une jeune fille, il la suit jusqu’à se retrouver avec elle dans un salon de coiffure. Comme il n’y est pas du tout à sa place, la personne à l’accueil lui demande si elle peut l’aider. Il improvise, lui répond, embarrassé, qu’il cherche du boulot. Il est aussitôt embauché et se prend au jeu. Son talent se révèle. « Il faut savoir que Simon va au bout du bout de tout ce qu’il commence. C’était un faux dur et un travailleur acharné qui nous a inculqué par l’exemple la discipline et la valeur du travail », nous confie Georges Mendelek qui, tout comme son frère, Tarek, affirme ne savoir par où commencer quand il s’agit de parler de ce père légendaire à plus d’un titre. « C’était une grande gueule, toutes ses clientes vous le diront. Il pouvait passer pour un fou, un original. Il était avant tout un artiste. Il pouvait faire un esclandre quand un employé ne lui répondait pas à la seconde. À tel point que les clientes du salon me disent aujourd’hui : « Tu ne pourrais pas crier un peu plus fort, qu’on sente la présence de Simon ? » Quand il se lançait dans une coiffure, il faisait tout à l’envers. Il s’habillait de la façon la plus étrange qui soit. Mais les gens qu’il engueulait lui pardonnaient aussitôt ses sautes d’humeur. Son style vestimentaire était inimitable. Ses coiffures étaient prodigieuses, non seulement de beauté mais de pertinence. Il savait exactement ce qui irait à chaque cliente, en fonction de son état d’esprit, de son âge, de ses envies, de la qualité de ses cheveux, de sa couleur de peau et d’autres paramètres qu’il était seul à connaître » témoigne Georges, en substance.

Simon créant une coiffure pour une mariée. Photo DR

Chasse, pêche, gastronomie

« Mais c’était aussi un grand chasseur, un grand pêcheur. C’est un aspect de sa personnalité que peu de gens connaissent. Comme il ne fait rien à moitié, dès qu’il est pris d’une passion, il s’équipe comme un pro et se met en mode apprentissage. Il s’entoure des meilleurs pour apprendre leur technique, les égaler et enfin les surpasser. Nos souvenirs d’enfance sont liés à des équipées de pêche nocturnes qui nous ramenaient au port aux petites heures du matin, épuisés mais heureux. Il a eu les meilleurs chiens de chasse, les meilleurs fusils », témoigne Georges Mendelek. Fils d’un chef cuisinier et d’une boulangère artisanale qui vendait son pain cuit au saj dans une venelle d’Achrafieh, c’était aussi, raconte son fils, un fin gastronome qui pouvait déceler dans un plat le moindre ingrédient de mauvaise qualité, le moindre accord discordant. « Il nous méprisait de commander des plats préparés ou de la junk-food. Il y avait tant de passion et de plaisir dans tout ce qu’il faisait qu’il vous donnait envie de chasser quand vous le regardiez chasser, de manger quand vous le regardiez manger. La légende, c’était Simon l’homme, inséparable de Simon le coiffeur », ajoute celui qui a repris au pied levé la direction du salon et les ciseaux de son père.

Une tendresse pour les SDF

De même, pour se faire embaucher chez Simon, il ne fallait ni se montrer timide ou mièvre ni mettre l’argent en tête de ses priorités. Poser la question du salaire, c’était déjà, à ses yeux, « n’avoir rien dans les tripes ». Simon, raconte sa famille, a connu la grande pauvreté, lui qui a débarqué à Paris sans moyens, au début de la guerre, et s’est retrouvé à la rue, sans toit durant plusieurs jours. « Depuis, il a nourri une tendresse particulière pour les SDF », affirme Georges à qui Simon disait : « Il m’ont appris la vie, ils en savent plus que nous tous. » À Paris, le jeune coiffeur trouve un emploi dans un salon qu’il contribue à développer. On lui propose un partenariat, il préfère rentrer dans son Liban chéri. Il ouvre un salon à Zalka et connaît la fortune que l’on sait. « Quand il a ouvert son salon à Zalka, tout le monde lui a dit que ce n’était pas raisonnable, qu’il fallait être à Beyrouth pour réussir. Il n’y avait encore dans cette région que des jardins de citronniers », ajoute Georges.

Simon et sa fille Mia. Photo DR

« L’homme des moments heureux »

M.T., une cliente de la première heure, abonde pour sa part sur la discrète générosité de ce grand travailleur. « On ne compte pas les écolages et les chirurgies qu’il a payés. Simon était un aristocrate de cœur. En voyant son père se languir des arbres, à Beyrouth, il a décidé d’ouvrir la maison familiale de Mjeidel, un village des environs de Jezzine, aux personnes âgées, pour leur permettre de vivre dans leur environnement. Un jour, un jeune homme était venu demander du travail et il l’avait refoulé. Le téléphone sonne, Simon apprend que ses enfants ont été admis dans un collège où ne vont en général que les enfants d’anciens ou de grandes familles. Il rappelle le jeune homme et l’embauche en lui disant : « Tu m’as porté bonheur, à mon tour de te donner ta chance. ». Il a formé un nombre incalculable de gens qui sont allés ouvrir leurs propres salons, y compris son frère et sa nièce. Il disait « à chacun sa destinée, nul n’a le droit d’empêcher quiconque de chercher la sienne ». Une autre cliente, J.M., songe avec nostalgie que son nom est associé à tous les moments heureux, entre mariages et fêtes.

« Il fait tout de travers »

Georges, pourtant formé à la Saks Academy de Londres, avait tout à apprendre de ce père quasi-autodidacte qui, la soixantaine passée, suivait encore des séminaires de coiffure en Europe. En visite au salon de Zalka, son professeur, qui fut six ans durant en tête du palmarès des meilleurs coiffeurs de Londres, lui avait dit : « Ton père fait tout de travers  ; quand il commence, on ne sait pas où il va mais le résultat est toujours fabuleux. Observe-le toute ta vie. Je t’ai appris des techniques, je ne peux pas t’apprendre le génie ». Quant à Simon, il disait à son fils « apprends de moi, mais n’essaie pas d’être moi ». Emporté par un arrêt cardiaque à la suite d’un AVC dont il s’était brièvement remis, le coiffeur des stars qui a pourtant bien assuré sa relève laisse orpheline toute une constellation de femmes qui l’adoraient et qu’il sublimait en retour.

« Il était plus grand que la vie », « une légende », « un cœur d’or »… Le 16 août dernier décédait Simon Mendelek, sans doute le plus grand nom de la coiffure au Liban après le légendaire Naïm. « Le jour des condoléances, chaque membre de notre famille était occupé à consoler les clientes de Simon, venues elles-mêmes nous consoler », nous confie Tarek, son plus jeune...
commentaires (1)

wow...a great exemple to follow...

Marie Claude

18 h 44, le 04 septembre 2024

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Commentaires (1)

  • wow...a great exemple to follow...

    Marie Claude

    18 h 44, le 04 septembre 2024

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