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Culture - PHOTO

À Multaqa As-Safir, une exposition documente la vie de ceux restés au Liban-Sud malgré la guerre

Au cœur de Beyrouth, Hassan Fneich et Fatima Joumaa sont en mission. Le jeune couple originaire du Liban-Sud expose l'histoire de sa communauté aux habitants de la capitale, à travers des images témoignant des expériences des habitants pris dans la guerre d’usure entre Israël et le Hezbollah, le long de la frontière sud.

À Multaqa As-Safir, une exposition documente la vie de ceux restés au Liban-Sud malgré la guerre

Une femme du village de Aïta al-Chaab assise, souriante, parmi les décombres de sa maison détruite. Avec l'aimable autorisation de Fatima Joumaa

Deux jeunes artistes du Liban-Sud, Hassan Fneich, un architecte et photographe de 32 ans, et Fatima Joumaa, une cinéaste de 25 ans, ont transformé leurs appareils photo en ce qu'ils appellent de « puissants outils de résistance ».

Leur discours est parfaitement clair. Il emprunte à la rhétorique du Hezbollah prédominante au Sud. « Il y a, aujourd’hui, une nouvelle génération au Liban qui découvre le vrai visage d'Israël pour la première fois », déclare Hassan Fneich à L'Orient Today. « Elle n’était pas née en 2006, lors de la dernière guerre (à grande échelle) entre le Hezbollah et Israël. Si nous documentons ce qui se passe actuellement, c’est pour pouvoir le montrer aux générations futures. »

Preuves visuelles des « crimes d'Israël »

Après près de huit mois de documentation dans le Sud, Hassan et Fatima ont décidé d'organiser une exposition de leur travail à Beyrouth, à Multaqa As-Safir, un espace culturel de Hamra. Ce lieu est situé dans les anciens bureaux d'as-Safir, qui fut l'un des principaux quotidiens de langue arabe du Liban entre mars 1974 et décembre 2016, date à laquelle il a stoppé ses activités pour des raisons économiques. Depuis, les locaux du journal ont été transformés en un espace culturel avec des salles de réunion et un café confortable.


Le couple de jeunes photographes du Sud. Credit photo João Sousa/L'Orient Today

Dans cette exposition, des photos présentées dans des cadres noirs déroulent sur les murs, chacune, l'histoire de la personne photographiée. À côté se trouve un petit texte expliquant où l’image a été prise, avec parfois les noms des personnes qui y figurent.

« Nous avons autofinancé cette exposition parce que nous ne voulions pas qu'un bailleur de fonds nous dicte à quoi elle devrait ressembler », explique Fatima Joumaa, ajoutant que cette décision était motivée par « un désir de liberté créative et d'authenticité ».

« Le monde sait ce qui se passe à Gaza principalement à partir des images qui en sortent », déclare, pour sa part, Hassan Fneich. « Donc, au Liban, nous prenons nos photos comme preuve visuelle des crimes d'Israël. »



Deux agriculteurs s'occupant de leur champ à Khiam dans le district de Marjayoun alors qu’en face la ville israélienne de Metula est attaquée par des roquettes du Hezbollah en février 2024. Avec l'aimable autorisation de Fatima Joumaa

« Les habitants du pays devraient être en mesure de raconter leurs propres histoires et récits et ne pas attendre que les médias occidentaux ou les journalistes étrangers viennent les raconter pour eux », déclare-t-il. L'exposition « est une déclaration contre les récits externes qui dénaturent souvent les expériences des habitants du Sud », ajoute Fatima Joumaa.

Leur travail n'est pas seulement professionnel, mais aussi personnel. Leur connexion aux villages frontaliers du Sud va au-delà de la simple proximité. « Nous faisons partie de cette communauté, nous faisons partie de ce tissu social », affirme Fatima. Les deux jeunes gens se sont mariés au début de la guerre, mélangeant leur vie personnelle et professionnelle dans leurs efforts de documentation.

« Quand Hassan et moi voulions sortir, nous faisions un tour en voiture à Kfar Kila ou Aïta el-Chaab, le long de la frontière sud. Et cela n'a pas changé depuis la guerre », raconte Fatima Joumaa.

Le couple continue d'ailleurs de visiter ces régions, non seulement pour documenter les destructions, mais aussi pour prendre des nouvelles de leurs amis qui y vivent et pour maintenir leur lien avec leurs propres racines.

Hassan Fneich est de Maaroub, dans le caza de Tyr, et Fatima Joumaa est de Houmine al-Faouqa (Nabatiyé), mais le couple vit à Tyr  parce que « c'est plus proche de la plage ».

Ne pas subir le sort des Palestiniens de 1948

Leur travail reflète le contraste frappant entre le passé et le présent – comment l'histoire se répète et comment les Libanais du Sud résistent à cette répétition.

« Beaucoup ont décidé de rester dans leurs villages malgré les bombardements israéliens quasi quotidiens », note Hassan Fneich. « Ils craignent, s'ils partaient, de subir le même sort que les Palestiniens de 1948 à qui on avait dit : “Partez un peu et ensuite vous pourrez revenir”, et qui des décennies plus tard ne sont toujours pas rentrés chez eux. C'est pourquoi tant de résidents du Sud refusent catégoriquement de partir. »


Fatima Joumaa et Hassan Fneich devant leurs images exposées à Multaqa As-Safir, à Hamra. Credit photo João Sousa/L'Orient Today

Le travail photographique du duo vise à mettre en évidence cette « fermeté et cette résistance, ainsi que le contraste entre la résilience de ceux qui sont restés et la tourmente qui les entoure », explique Hassan.

Les images en noir et blanc de femmes en deuil prises par Fatima Joumaa et les portraits d'hommes réalisés par Hassan Fneich lors des cérémonies de commémoration témoignent de leur volonté de capturer la profondeur émotionnelle de leurs sujets.

Le choix d'utiliser le noir et blanc et non la couleur répond à plusieurs objectifs. « J'essaie généralement de jouer avec le contraste des images représentant des femmes et, comme dans l'exposition, de les représenter en noir et blanc – certains détails doivent être cachés pour préserver leur intimité dans le deuil », explique Fatima.

L’engagement du couple s'accompagne de sacrifices personnels. Malgré le danger constant, y compris le ciblage des journalistes, Hassan et Fatima continuent leur mission de documentation.

« Si je me laissais paralyser par la peur, cela signifierait que je cède devant la volonté d’Israël de terroriser les gens », déclare la jeune femme. « Je perdrais une bataille si les frappes m'empêchaient de documenter leurs attaques contre ma ville natale. Nos parents ont vécu les guerres de 2006 et d'avant 2000, c'est donc à notre tour de faire ce qu'ils ont fait : soutenir la résistance et avoir foi en Dieu.»

« C'est une guerre de récits, pas seulement d'armes »

Les personnes âgées sont les sujets préférés de Fatima. « Ils n'ont vraiment pas de filtres. Ils disent les choses telles qu'elles sont, et ce sont les plus drôles. En outre, ils aiment se faire prendre en photo. »


Femme assise sur les décombres de sa maison détruite à Aïta al-Chaab. Avec l'aimable autorisation de Fatima Joumaa

Leurs photographies, comme celle d'une femme travaillant dans son champ, avec la localité de Metula brûlant en arrière-plan, sont plus que des documents visuels. « C'est très symbolique, beaucoup de gens restent dans leur pays parce qu'ils ont la Résistance derrière eux qui les soutient », indique Fatima Joumaa.

« La guerre n'est plus seulement traditionnelle, avec des armes. C'est aussi une guerre du récit », avance Hassan Fneich. Leur engagement à documenter et à partager leur histoire souligne l'importance des voix locales dans le récit historique. Leurs photographies témoignent de l'endurance de leur communauté et rappellent que les histoires sont mieux racontées par les témoins d'un conflit.



Deux jeunes artistes du Liban-Sud, Hassan Fneich, un architecte et photographe de 32 ans, et Fatima Joumaa, une cinéaste de 25 ans, ont transformé leurs appareils photo en ce qu'ils appellent de « puissants outils de résistance ».Leur discours est parfaitement clair. Il emprunte à la rhétorique du Hezbollah prédominante au Sud. « Il y a, aujourd’hui, une nouvelle génération au Liban qui découvre le vrai visage d'Israël pour la première fois », déclare Hassan Fneich à L'Orient Today. « Elle n’était pas née en 2006, lors de la dernière guerre (à grande échelle) entre le Hezbollah et Israël. Si nous documentons ce qui se passe actuellement, c’est pour pouvoir le montrer aux générations futures. »Preuves visuelles des « crimes d'Israël »Après près de huit mois de documentation dans le Sud, Hassan et...
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