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Agenda - Hommage À Samer Iskandar

Par-delà les mers

Je regarde la mer depuis quelques jours, et elle a un aspect différent. En vrai, elle n’a pas changé, sinon plus polluée, ou alors fidèle à ses humeurs, sa force et son calme qui alternent. Est-ce moi ou mon regard alors, une perspective différente et plus vaste, qui laisse l’espace, celui des mots, des larmes, des souvenirs, je ne sais plus, je ne sais rien. L’espace du deuil, oui.

Il y a des décennies, et pendant des décennies, nous étions de l’autre côté, sur ton bateau, avec la bande de copains, et puis avec les enfants… à contempler, maudire ou aimer cette côte du Liban, à parler, danser, délirer et faire encore des conneries, sur fond de Police, Indochine, Bowie ou Madness, et bien d’autres encore. C’était les pauses qui ponctuaient nos vies parisiennes. Tout résonne bien fort, l’énergie, les 400 coups, les abris, les choses plus sérieuses, tout est intact.

Beaucoup de plénitude, de sérénité ces derniers jours au rythme des cycles de la journée, mais aussi de mes battements de cœur. Je te parlais à travers ces kilomètres qui nous séparent jusqu’à ton lit d’hôpital à la Salpêtrière.

Je te disais que je t’aime, que nous tous, la bande de copains, on t’aime.

Je te disais surtout que tu es notre héros, Sam, ton courage, ta bataille contre ton glioblastome, pendant ces (presque) 3 années, tu étais bien « hors stat », toi le statisticien. Ce vocable qui ne veut rien dire pour qui me lit, sauf tes proches, familiers de cette adversité qui t’a cruellement frappé si jeune, voulait dire que tu es fort, bien fort Sam. Même lorsqu’elle s’est acharnée sur ta mémoire et ta parole, ta pensée, ton identité et ton image, celles qu’on gardera tous, n’ont jamais fléchi. Elles resteront intactes et sur ce triptyque tu seras le plus fort.

Je parlais donc seule ou à la mer et à ses bruits, je ne sais plus, sur fond de Bowie encore et des bateaux plein la vue, mais je sentais que dans l’infini de l’horizon, mes mots te sont parvenus avec une douceur fluide et palpable, notre langage à nous, depuis que nos silences sont devenus précieux. Mes pensées te sont arrivées sans colère et sans rage. Dans cette même mer, dans son reflet et dans ses fonds, se croise et se percute un mélange chaotique de murs de sons, de fumée et de tremblements, mais peu importe. Je vois aussi les étoiles qui brillent, Sam, et le reflet des astres, quelque chose de solide et de paisible, un goût de joie et de sérénité, puissant et doux à la fois. Tout est bien ancré, comme si de ces fonds marins émergeait un sens à toute ta souffrance. Tout vibre sereinement. Je ne comprends pas.

Aujourd’hui, au réveil de ce 13 août 2024, j’ai mieux compris sans rien comprendre et la triste réalité nous a rattrapés et s’est malicieusement imposée à nous tous. Celle-ci ne m’empêchera pas de te le redire, Sam, même de là où tu es, et de mon côté de la mer, où je suis, tu es « hors stat », n’oublie jamais cette vérité et pars avec. Également Sam, ne fais pas toutes les bêtises sur ta Harley là-bas tout seul, laisse-nous-en, ensemble à nouveau là-haut. Pour le reste, ici-bas, on continuera de célébrer ton courage et notre amitié avec tes deux chéries tous les jours, sans attendre les débuts de printemps.

Repose en paix et garde ton doux sourire de là où tu es, Sam, on s’occupera du reste, champ.

Je regarde la mer depuis quelques jours, et elle a un aspect différent. En vrai, elle n’a pas changé, sinon plus polluée, ou alors fidèle à ses humeurs, sa force et son calme qui alternent. Est-ce moi ou mon regard alors, une perspective différente et plus vaste, qui laisse l’espace, celui des mots, des larmes, des souvenirs, je ne sais plus, je ne sais rien. L’espace du deuil, oui....